Les nuages s’accumulent sur l’économie américaine, deux mois après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Ses décrets déroutent non seulement « Wall Street » et les principaux partenaires commerciaux du pays, mais commencent aussi à heurter « Main street ». Le point dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Investi le 20 janvier dernier à la Maison Blanche, Donald Trump avait hérité de son prédécesseur une économie des plus vigoureuses : un taux de chômage très bas, une forte croissance et une inflation qui, après avoir flambé depuis 2022, était en passe d’être complètement maîtrisée.
Il n’a ainsi fallu que deux mois pour que le 47ème président des États-Unis fasse vaciller les certitudes de l’appareil productif américain, et réapparaître les spectres de l’inflation et de la récession.
La soudaine poussée de défiance qui gagne la première économie mondiale, illustrée par la chute de la la Bourse de New York, a ceci de particulier qu’elle n’est pas due à un choc externe (prix de l’énergie, faillite bancaire, pandémie, guerre …), mais bien aux seuls actes de Donald Trump et de son administration.
Ce sont avant tout les droits de douane imposés aux frontières qui ont cueilli Wall Street à froid. Si ces mesures tarifaires avaient été largement annoncées par M.Trump lors de sa campagne, les investisseurs et autres analystes n’avaient pas anticipé que la politique protectionniste interviendrait de manière si rapide, et si massive.
Le choc des tarifs douaniers
En additionnant les tarifs actuels visant notamment tous les produits chinois importés (à hauteur de 20 %, depuis un décret du 4 mars) et ceux de 25 % s’appliquant depuis le 12 mars à toutes les importations d’acier et d’aluminium, ces mesures touchent jusqu’ici des importations d’une valeur totale d’un millier de milliards de dollars, selon le think tank Tax Foundation.
Le chiffre monte à 1,4 millier de milliards de dollars en supposant que les droits contre la quasi-totalité des produits canadiens et mexicains, suspendus jusqu’au 2 avril, seront réintroduis. A titre de comparaison, lors de sa première offensive protectionniste entre 2018 et 2020, le sulfureux président avait frappé 380 milliards de dollars de biens.
Conséquence automatique de ce brutal renchérissement des échanges, auquel s’ajoutent les contre-mesures mises en œuvre par des partenaires, dont la Chine, le Canada et l’Union européenne (UE), l’inflation fait son retour. En mars, les perspectives d’inflation sur un an ont grimpé à 4,9 %, en hausse de 0,6 point de pourcentage par rapport à février, atteignant leur niveau le plus élevé depuis novembre 2022.
Les premières victimes sont naturellement les consommateurs américains, lesquels constituent l’un des principaux moteurs de l’économie outre-Atlantique. L’indice du moral des ménages calculé par l’Université du Michigan s’est dégradé en mars, à 57,9, soit une chute de 11% par rapport à février, bien plus que ce que pensaient les économistes. Un bien mauvais présage.
Outre les consommateurs, les PME, a fortiori celles qui dépendent le plus de l’importation de biens intermédiaires dont les coûts augmentent du fait des droits de douane, sont dans l’œil du cyclone. Si les grosses valeurs pâtissent en bourse, les plus petites entreprises, moins à même d’absorber les chocs, souffrent encore davantage : l’indice boursier Russell 2000 des petites capitalisation, a perdu près de 19 % en un mois.
Perspectives économiques sombres
Résultat : les perspectives de croissance s’assombrissent, selon des prévisions publiées ce lundi par l’OCDE : la progression du PIB aux États-Unis devrait ralentir cette année à 2,2 % avant de perdre encore plus de vigueur en 2026 pour atteindre seulement 1,6 %, contre 2,4 % et 2,1 % anticipés précédemment. L’organisation intergouvernementale fait l’hypothèse que les tarifs douaniers augmenteront de 25 points de pourcentage supplémentaires sur presque toutes les importations de biens à partir d’avril.
Certains éminents prévisionnistes vont jusqu’à évoquer un risque de récession imminente, en fonction des futures décisions douanières de la Maison Blanche.
La date du 2 avril prochain s’annonce clé : M.Trump est non seulement censé réintroduire ses droits contre le Mexique et le Canada, mais aussi appliquer ses nouveaux tarifs « réciproques », taxant les produits mondiaux sur la même base que les droits de douane que leur pays d’origine appliquent aux produits américains, en violation des règles de l’OMC.
Le flou demeure toutefois sur la forme et l’ampleur que prendront ces droits de douane réciproques. Au-delà des effets des mesures protectionnistes en elles-mêmes, c’est ainsi l’incertitude extrême instaurée par M.Trump qui déstabilise les acteurs économiques.
L’exemple le plus parlant étant les tarifs contre le Canada et le Mexique, annoncés, reportés une première fois, puis mis en œuvre, avant d’être de nouveau reportés. Un climat qui empêche les entreprises de déployer des stratégies pour s’adapter, et conduit les investisseurs à geler leurs projets.
Incertitudes persistantes
L’indice d’incertitude de la NFIB (National Federation of Independent Business), une association représentant les petites entreprises aux États-Unis, calculé depuis les années 1970, frôle ainsi aujourd’hui son plus haut historique.
Le flou concerne aussi l’objectif des droits de douanes : doivent-ils servir à rapatrier des productions sur le sol américain et à générer des recettes fiscales, comme M.Trump l’affirme parfois, ou bien à convaincre les voisins nords-américains des États-Unis de lutter contre l’immigration irrégulière et le trafic de drogue ?
Pour ce qui est de l’Europe, l’idée est-elle de réduire le déficit commercial américain sur les biens, ou bien de sanctionner les régulations de l’UE contre les géants du numérique ?
Plusieurs lignes co-existent au sein de l’administration américaine, et le discours de Donald Trump fluctue, si bien que les partenaires commerciaux – et donc les acteurs économiques – peinent à déterminer si un compromis est envisageable, ou si ces mesures sont là pour durer.
En dépit des multiples signaux d’alerte, on ne voit à ce stade pas poindre d’inflexion majeure de la doctrine économique trumpienne.
Si l’angoisse de Wall Street n’amène pas, pour l’heure, le président américain à se remettre en question, la résurgence de l’inflation, à laquelle son électorat est très sensible, est à terme susceptible de ramener M.Trump à la raison, estimait vendredi dernier [14 mars] l’ancien commissaire européen au Commerce Pascal Lamy sur le plateau de C à vous.
Quel impact pour l’Europe ?
Outre-Atlantique, l’impact économique de la politique de Donald Trump sur l’Europe demeure incertain. Le recul de l’attractivité des États-Unis pourrait rediriger certains investisseurs vers le Vieux Continent, perçu comme plus stable. Pourtant, les guerres commerciales fragilisent l’ensemble des économies impliquées, limitant tout bénéfice réel.
Les États-Unis – et le dollar – occupent de surcroît une place bien trop centrale dans l’économie mondiale pour que la politique chaotique de Trump puisse constituer une bonne nouvelle. L’OCDE a ainsi réduit ses prévisions de croissance non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour la planète, en premier lieu pour le Mexique et le Canada, et dans une moindre mesure pour la Chine et pour l’Europe.
En matière de sécurité, le désengagement américain d’Europe prive d’ailleurs les Européens des « dividendes de la paix », en les forçant à investir dans leur industrie de défense. Face à la nouvelle donne géopolitique, le Canada remet en question l’intérêt de ses contrats d’achat d’avions de combat américains F-35 conclus avec le fabricant américain Lockheed Martin. D’autres pays européens, tels que le Portugal, l’Allemagne ou encore la Suisse ouvrent aussi le débat. Une dynamique qui pourrait profiter aux constructeurs européens, notamment au suédois Saab, à l’anglais Eurofighter et au français Dassault Aviation.