Avec le retour de l’inflation outre-Atlantique, les exportateurs français ciblant le marché américain vont devoir faire preuve de résilience et d’adaptation. C’est le principal enseignement d’un wébinaire sur les chaînes de valeur commerciale et logistique outre-Atlantique, organisé, le 7 avril, dans le cadre des Journées export agroalimentaires (JAE), par Business France et le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation.
L’inflation s’est ainsi envolée de 7,9 % en glissement annuel, « du jamais vu depuis 40 ans », rapportait ainsi Christian Ligeard, conseiller aux Affaires agricoles à Washington. De quoi inquiéter à juste titre les exportateurs français, alors qu’Allianz Trade prévoyait il y a à peine quelques mois dans une étude, un potentiel d’exportations agroalimentaires supplémentaires de 4 milliards d’euros pour la France aux Etats-Unis en 2022.
S’agissant des vins et spiritueux, 2021 s’était terminé en apothéose, puisque les livraisons outre-Atlantique avaient bondi de 33,8 % par rapport 2020, représentant ainsi 26,4 % du total des exportations de l’Hexagone dans le monde.
L’an dernier, dans un contexte de forte reprise de l’activité économique (+ 5,7 % en 2021, plus forte hausse depuis 1984), les exportations françaises de boissons alcoolisées avaient profité de la décision de Joe Biden, en mars 2021, de lever durant cinq ans les taxes additionnelles de 25 % instaurées par son prédécesseur, Donald Trump, en octobre 2019, sur fond de conflit Boeing-Airbus.
L’appréciation du dollar est une bonne nouvelle pour l’export
Mais aujourd’hui, la pression sur les salaires très forte outre-Atlantique fait craindre une spirale inflationniste, qui toucherait inévitablement les produits étrangers. S’y ajoute la guerre en Ukraine, avec ses conséquences redoutables sur les prix des carburants et de l’alimentation.
Pour freiner l’inflation, la Banque centrale (Fed) a, certes, relevé, de façon prudente, ses taux d’intérêt. Cette mesure a eu pour effet de raffermir le dollar, ce dont peuvent se féliciter les exportateurs français. Considéré comme une valeur refuge en temps de conflit, la guerre en Ukraine a encore conforté la monnaie américaine. Au total, celle-ci s’est appréciée de 10 % en un an par rapport à l’euro.
« Reste que cette appréciation du dollar est insuffisante pour compenser le quadruplement des coûts du fret entre Le Havre et New York », regrettait Michael Stretz, vice-président de French Food Exports, un importateur basé dans le New Jersey.
Le transport désorganisé
La chaîne logistique aux États-Unis a également été fortement désorganisée pendant la Covid. Après deux ans de forte baisse de l’activité à cause de la pandémie, et alors que l’économie est repartie, le transport maritime (arrivée au port, déchargement…) et terrestre peine à retrouver son rythme de croisière, d’autant qu’il est confronté à une pénurie de main d’œuvre et à des ports engorgés, sur la côte Est comme sur la côte Ouest.
Un manque de moyens humains que l’on constate déjà en France. Selon Michael Stretz, quelque 50 000 postes seraient vacants en France et le port du Havre, en particulier, ne parvient pas à répondre à l’explosion des exportations françaises vers les Etats-Unis.
En outre, dans un environnement bousculé, les lignes maritimes peuvent réserver des surprises désagréables aux exportateurs : des navires qui zappent l’escale prévue en France pour tenir leurs délais de déchargement dans les ports américains ; des conteneurs qui restent à quai parce que des concurrents peu scrupuleux font flamber les prix pour obtenir des places à bord ; des bateaux qui remettent à plus tard leur arrivée à New York pour faire un détour par un autre port…
L’e-commerce et l’expérience Lib Dib
La Covid-19 a eu aussi des conséquences sur les modes de consommation.
Depuis le début de la pandémie, la tendance est ainsi, chez les détaillants, y compris dans la boulangerie-pâtisserie, de se doter des rayons avec des produits haut de gamme. On trouve aussi des produits BVP (boulangerie-viennoiserie-pâtisserie) en grande distribution et de plus en plus de vins qui permettent de se différencier par rapport à la concurrence (appellations, bio…), même si, dans ce secteur, l’achat en volume demeure la priorité.
Les circuits de consommation ont aussi subi de sérieuses évolutions pendant la pandémie, avec la poussée de la livraison à domicile et du pickup (drive en France), le regain des marques de distributeur (MDD) et l’explosion du e-commerce. Tous les acteurs du marché (distributeurs, restaurants, plateformes spécialisées…) ont investi dans l’e-commerce ou ont accéléré leur transition vers ces circuits pendant la pandémie.
Dans les boissons alcoolisées en particulier, où le géant de la distribution RNDC (Republic National Distributing Co) a conclu un partenariat avec la plateforme digitale LibDib (Liberation Distribution).
Lib Dib est un distributeur en gros de boissons alcoolisés, fondé en juin 2016 à San José (Californie), qui se présente comme un guichet unique, destiné aux marques souhaitant vendre directement aux consommateurs. LibDib LLC a annoncé en mars 2022 distribuer « désormais plus de 10 000 vins et spiritueux aux acheteurs à travers les États-Unis » et atteindre la moitié de la population américaine dans dix États : Californie, Colorado et Connecticut, Floride, Illinois, Maryland, New York, Texas, Wisconsin et New Jersey.
L’importateur, maillon incontournable
Dans un environnement changeant, pour les exportateurs, disposer des bons partenaires, expérimentés, informés et connus des Douanes américaines, est crucial. En octobre 2019, l’agence fédérale Food and Drug Administration (FDA) a décidé que toute entreprise étrangère doit être représentée sur place. « Ce peut être un agent, mais nous conseillons un importateur plus facile à joindre en cas de problème, car c’est lui qui est responsable de toutes les marchandises déclarées aux douanes américaines », expliquait Jacques Epangue, chef du pôle Agroalimentaire Amérique du Nord de Business France.
Traditionnellement, s’agissant du circuit d’acheminement des produits sur le sol américain, l’importateur dispose d’un réseau de distribution, et, en aval, les distributeurs à leur tour s’adressent aux détaillants.
Si l’importateur est incontournable, étant la clé d’entrée sur le marché, faut-il lui accorder l’exclusivité sur ses produits pour autant ? Dans un pays aussi vaste que les États-Unis, donc difficile à couvrir, Jacques Epangue ne le conseille pas. « Si vous n’avez pas le choix, négociez plutôt une exclusivité régionale que nationale, ou par type de client (magasin spécialisé, chaîne régionale…), ou encore pour une durée limitée ».
« Identifier où se trouvent ses besoins »
Avant de choisir son importateur aux États-Unis, il est aussi indispensable de s’informer de son emprise territoriale : opère-t-il avec des distributeurs nationaux ou régionaux, quels types de produits sont le plus mis en avant ?
« En principe, il vaut mieux privilégier les distributeurs régionaux et il faut éviter les mastodontes, car votre offre risque d’être écrasée avec celle de la concurrence », estime Jacques Epangue. Pour lui, ce qui est encore plus important, c’est d’identifier « où se trouvent les besoins ».
Aussi, dès qu’un produit est installé, il n’est pas inutile de multiplier les contacts avec les acteurs régionaux. Dans ce tour d’horizon, il ne faut pas négliger les détaillants, afin de s’informer de leurs distributeurs et de leur couverture géographique, nationale ou régionale.
En moyenne, chaque maillon de la chaîne prend entre 20 à 30 % de marge. Si l’importateur est aussi le distributeur, ce qui est possible, la marge sera alors inférieure au total pour les deux échelons, de l’ordre de 40 %.
Il est possible aussi de faire appel à un broker, mais le courtier recherchant des volumes, il est plus indiqué pour les grandes enseignes. Du coup, renchérissait Michel Stretz, pour une PME avec une offre limitée, le risque est que le courtier « vous laisse tomber du jour au lendemain ». A méditer.
François Pargny