Le président américain Joe Biden a dégainé le 14 mai l’arme de l’augmentation des droits de douane avec des doublement, voire des quadruplements de taux, contre une liste de produits industriels chinois ciblant des « secteurs stratégiques » pour les entreprises et les « travailleurs » américains, dont véhicules électriques et batteries. Une décision jugée par nombre d’observateurs comme électoraliste, mais qui pourrait obliger l’Union européenne à prendre elle-même rapidement des mesures. Revue de détail.
En tout 18 milliards de dollars (Md USD) d’importations chinoises sont concernées par les annonces du président américain qui, selon le communiqué de la Maison Blanche*, vise à « protéger les travailleurs américains et les entreprises contre les pratiques commerciales déloyales de la Chine ». Selon le même communiqué, ces « pratiques déloyales » englobent les transferts de technologie forcés, le vol de propriété intellectuelle et d’innovation, ainsi que le fait « d’inonder le marché mondial avec des exportations dont les prix sont artificiellement maintenus bas ».
Le communiqué indique que les mesures ciblent des « secteurs stratégiques », soit une dizaine au total, notamment ceux dans lesquels l’administrations Biden a créé des dispositifs d’incitation à l’investissement pour construire des usines (860 Md USD déjà « catalysés » dans la filière véhicules électriques, énergie propre et semiconducteurs).
Certains produits en acier et aluminium, véhicules électriques, batteries, semiconducteurs, dispositifs médicaux, minéraux critiques, cellules photovoltaïques, grues portuaires font partie des produits provenant de Chine qui subiront une forte augmentation des droits de douane à l’importation aux États-Unis.
Quadruplement des tarifs sur les véhicules et batteries, doublement sur les cellules photovoltaïques
Sur le plan juridique, l’augmentation des droits de douane annoncée est décidée en vertu de la section 301 de la Loi sur le commerce de 1974.
Sur certains produits en acier et aluminium, les tarifs douaniers passeront de 0-à 7,5 % selon les cas actuellement, à 25 % dès 2024. Précisons que cette mesure avait déjà été annoncée par l’administration Biden.
Sur les véhicules électriques, le niveau des droits de douane passera de 25 % à 100 % (portant les droits totaux à 102,5 %), et de 7,5 % à 25 % sur les batteries lithium-ion de ces véhicules électriques et autres composants de batterie.
Également, les droits de douane sur le graphite naturel et les aimants permanents ainsi que certains minéraux critiques destinés aux batteries passeront de 0 % actuellement à 25 %.
Sur les cellules photovoltaïques destinées à la fabrication de panneaux solaires, en pièces détachées ou assemblées, ils passeront de 25 % à 50 %.
Par ailleurs, les droits de douane sur les grues portuaires (ship-to-shore crane) passeront de 0 à 25 %.
Concernant les dispositifs médicaux, les tarifs sur les seringues et les aiguilles passeront de 0 à 50 % et ceux sur certains équipements de protection individuelle (EPI) – masques, respirateurs, gants en caoutchouc – utilisés dans les établissements médicaux passeront de 0 à 25 %, le tout dès 2024.
Les droits de douane sur les semiconducteurs seront relevés pour leur part de 25 à 50 % en 2025.
Les autorités de Pékin a immédiatement réagi en contestant la justification de ces mesures et en annonçant des représailles. L’an dernier, même si les États-Unis ont réduit le montant des importations de biens en provenance de Chine ces dernières années, celles-ci ont atteint 427 Md USD en 2023, leurs exportations étant trois fois moindre avec 148 Md USD, soit un déficit commercial de – 279 Md USD.
Le montant ciblé par l’administration Biden -18 Md USD –, relativement limité, ne vise donc pas à réduire ce déficit abyssal mais à protéger littéralement et de façon ciblées les investissements industriels en cours aux États-Unis, contre des pratiques chinoises jugées déloyales et volontairement agressives. Sont en particulier cités par la Maison Blanche, outre les programmes d’investissements industriels qu’elle encourage, le fait que la Chine se soit emparer de 70 à 90 % « de la production mondiale pour des intrants critiques nécessaires à nos technologies, infrastructures, énergies et santé – créant des risques inacceptables sur les supply chain et la sécurité économique américaines ». Au passage, elle se positionne en opposition à la politique de hausse des droits de douanes généralisées et indiscriminées, prônée par le camp Républicain dans sa campagne électorale.
En attendant, c’est l’Union européenne (UE) qui risque d’être acculée à suivre le mouvement pour éviter que les véhicules électriques en provenance de Chine, de marques chinoises ou européennes, et les autres marchandises visées par l’administration Biden, ne soient massivement réorientés vers son marché unique. Dans son communiqué, la Maison Blanche prend soin de ménager ses alliés, précisant qu’elle « continuera à travailler avec ses partenaires dans le monde pour renforcer la coopération afin d’adresser les préoccupations partagées à propos des pratiques chinoises déloyales -plutôt que de saper nos alliances ou d’appliquer des tarifs de 10 % de façon indiscriminée qui augmentent les prix des importations de tous les pays, peu importe s’ils ont des pratiques déloyales ou non ».
Alors que Pékin fait la sourde oreille aux appels des Européens – et des Américains- à mettre fin à ses surcapacités, dont les autorités nient l’existence, on l’a encore vu lors de la visite du président Xi en France, Bruxelles a déclenché des enquêtes sur les panneaux solaire, les véhicules électriques et les batteries fabriqués en Chine, donnant l’impression d’une situation d’avant-guerre commerciale– et risque de n’avoir pas d’autre choix que d’augmenter à son tour ses droits de douane au-delà des 10 % actuellement appliqués. L’UE « n’hésitera pas à prendre des décisions fermes » pour « protéger son économie et sa sécurité » avait notamment affirmé la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen le 6 mai, à l’issue d’une rencontre commune, avec le président Macron, du président chinois.
D’ores et déjà, les divisions traditionnelles sur cette question, entre notamment la France et les pays du Sud de l’UE, qui poussent à une politique commerciale plus ferme, et l’Allemagne et les pays du Nord, qui veulent protéger les investissements de leurs industriels en Chine (en particulier dans la filière automobile électrique) risquent de resurgir.
On a pu en avoir un avant-goût dès le 14 mai, en marge d’une visite du chancelier Olaf Scholz en Suède : « En ce qui concerne les droits de douane, nous sommes d’accord pour dire que c’est une mauvaise idée […] de démanteler le commerce mondial » a déclaré le Premier ministre suédois Ulf Kristersson lors d’une conférence de presse commune avec son homologue allemand, selon des propos rapportés par le site d’information Euractiv. De même source, ce dernier a, pour sa part, souligné que 50 % des importations européennes de véhicules électriques en provenance de Chine étaient issus de fabricants occidentaux…
C.G
*L’intégralité du communiqué de la Maison Blanche est disponible (en anglais) en ligne. Cliquez ICI.