Dans l’espace, une Équipe de France qui gagne à l’export a besoin de l’Europe. Tel est le principal message passé lors des Perspectives spatiales 2020, organisées par Euroconsult et le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), le 20 février, à Paris.
Dès l’ouverture de la journée, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal (photo), a mis en garde contre les « concurrences stériles intra-européennes». « Ne nous dispersons pas, organisons nous, c’est le gage d’un succès collectif », a-t-elle affirmé, en se réjouissant du succès des fusées Ariane et Vega, dont la gamme est développée par l’Agence spatiale européenne (ESA).
Coïncidence des calendriers, le jour même, Florence Parly, la ministre française des Armées, signait avec ses homologues allemande et espagnole le contrat pour lancer le prototype du Scaf (le Système de combat aérien du futur), avant de se rendre, le lendemain, à Toulouse au Centre national d’études spatiales (Cnes) pour échanger avec les officiers du nouveau Commandement de l’espace (CDE), créé au sein de l’armée de l’Air.
Le général Frieldling (CDE) partisan de « l’Équipe de France »
« La défense de la France ne va pas sans la défense de l’Europe », a résumé, à Paris, Jean-Marc Nasr, président de la commission Espace du Gifas et directeur général Space Systems d’Airbus Defence and Space.
L’industriel européen est un des grands gagnants de l’année dernière, avec à lui seul six des quatorze contrats de satellites géostationnaires passés dans le monde et le développement de la constellation CO3D du Cnes. Il a aussi installé son premier centre mondial de fabrication de satellites de communication à Cap Canaveral, en Floride, par le biais de sa filiale OneWeb Satellites, cofondée avec le spécialiste américain OneWeb.
A la tête du CDE, le général Michel Friedling a insisté sur le rôle de trait d’union du Commandement de l’espace. Même intégré à l’Armée de l’air, le CDE doit être une « organisation interarmées » et le Cnes « un partenaire essentiel ».
Selon lui, « une meilleure efficacité opérationnelle, une meilleure cohérence et la simplification » que doit apporter le CDE au sein des Armées passera par la constitution d’une véritable « Équipe de France ». A Toulouse, Florence Parly a déclaré que le CDE est « le cœur battant du spatial français » et « aussi en train de devenir le cœur battant du spatial militaire français ».
Les grands programmes militaires de la France : CSO, Ceres, etc.
La Loi de programmation militaire française (LPM) 2019-2025 a ainsi prévu toute une série de programmes, a détaillé Christophe Debaert, architecte du système de défense au sein de la Direction générale de l’armement (DGA) : le renouvellement des satellites français d’observation CSO et de communication Syracuse, le lancement en orbite de trois satellites d’écoute électromagnétique Ceres et la modernisation du radar de surveillance spatiale Graves.
« Le constat est triple », a souligné Michel Friedling : l’espace gagne en importance pour l’économie, le quotidien des Français et notre sécurité ; l’écosystème spatial est bouleversé par l’arrivée de nouveaux acteurs (SpaceX, Amazon…) ; et les infrastructures sont vulnérables, parce que les menaces augmentent, soit en raison de la congestion de l’espace, soit en raison des capacités militaires de certains États (était ainsi citée la Russie, dont le satellite Kosmos 2542 aurait dévié de sa trajectoire pour se rapprocher de l’engin spatial américain USA 245).
Le rapprochement public-privé, Cnes-industrie
« Les budgets croissent dans le monde entier », a renchéri Lionel Suchet, directeur général délégué du Cnes. Une accélération qui est, selon lui, liée à la révolution numérique et la miniaturisation des systèmes, le spatial « ouvrant à de nouveaux usages ».
Pour préparer le futur, le Cnes aurait ainsi besoin de se rapprocher de l’industrie, ce qui l’a amené à créer une sous-direction de la Compétitivité industrielle. Il travaille notamment avec des sous-traitants sur des usages et des infrastructures.
Le Cnes, selon lui, est la seule agence dans le monde, parmi les 70 existantes, à pouvoir traiter « toutes les thématiques, tous les segments techniques et toutes les options civiles et militaires ». La constellation CO3D est ainsi le fruit d’un partenariat Cnes-industrie, qui, en réduisant les coûts, ouvre des marchés à l’export.
De même, Angels, premier nano-satellite industriel français, a été développé conjointement par le Cnes et le fabricant d’équipements électroniques Hemeria avec toute une myriade de sous-traitants (Saft pour les batteries lithium-ion, Steel pour le calculateur embarqué, Sodern pour un viseur d’étoiles autonome, Erems pour l’équipement de régulation et de distribution de puissance, Syrlinks pour un émetteur-récepteur et Mecano ID pour des analyses mécanique et thermique).
Angels a ainsi été placé en orbite le 18 décembre 2019 par un lanceur Soyouz depuis le Centre spatial guyanais (CSG). Autre exemple, toujours soutenu par le Cnes, Safran Aircraft Engines a livré début 2019 ses premiers propulseurs électriques PPS®5000 à Boeing.
C’est bien la preuve que la séparation entre public et privé a perdu de sa pertinence. Jean-Yves Le Gall, le président du Cnes, a mis ainsi en avant Kinéis, un programme qui a bénéficié d’une levée de fonds de 100 millions d’euros pour lancer sa constellation de 25 nano-satellites en 2022, dédiée à l’Internet des objets. C’est un projet industriel, sous maîtrise d’œuvre de Thales Alenia Space, avec le concours d’autres entreprises et de banques privées, de Bpifrance ou encore de l’Ifremer.
J-M. Nasr : « si l’Équipe de France est importante, l’Equipe d’Europe est essentielle »
« Nous sommes un secteur en pleine mutation. La mayonnaise semble prendre, mais attention qu’elle ne retombe pas », a cependant mis en garde Jean-Marc Nasr.
Face à une concurrence internationale, qui n’est plus seulement celle des États-Unis et de la Chine, a-t-il poursuivi, « la dispersion de l’industrie et des États européens est un risque plus qu’une opportunité ». Pour lui, « si l’Équipe de France est importante, l’Équipe d’Europe est essentielle ».
Et d’ajouter, à l’intention des PME qui pourraient se sentir délaissées, « dans une équipe de rugby tout le monde compte, il n’y a pas de vedette indépendamment des autres ».
Cette année, le CSG de Kourou sera utilisé pour le premier vol de Vega-C et toute une série de lancements traditionnels : 5 Ariane 5, 4 Soyouz et 3 Vega. Le premier vol d’Ariane 6 est aussi prévu au premier semestre. Pour autant, la partie est loin d’être gagnée.
A côté d’Ariane 6, fleuron technologique pour contrer les SpaceX, Blue Origin, Virgin Galactic ou autres CZ-5, il y a la puissance de la Chine, a rappelé Eric Trappier, président du Gifas et P-dg de Dassault.
Le géant asiatique occupe, en effet, depuis deux ans le premier rang pour les lancements. En s’appuyant sur les géants du numérique, elle aurait été aussi capable de dresser une feuille de route ambitieuse. Enfin, d’autres pays, comme l’Inde et le Japon développent aujourd’hui des politiques spatiales. Eric Trappier est un fervent défenseur d’une Europe de la défense et d’une Europe spatiale.
Les bonnes nouvelles de l’Agence spatiale européenne
Face à une concurrence de plus en plus mondiale, Jean-Yves Le Gall s’est aussi félicité de la réussite du Conseil Space19+ des ministres de l’Agence spatiale européenne (Esa), le 28 novembre dernier à Séville. Sur les 14,5 milliards levés, la France a apporté 2,664 milliards et l’Allemagne 3,294 milliards.
En 2020, son budget, d’un montant de 6,68 milliards euros, sera alimenté par ses 22 États membres (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, l’Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, la Roumanie, Royaume-Uni, Suède, République Tchèque et Suisse).
Comme toutes les nations de l’Union européenne (UE) n’ont pas adhéré à l’agence et que tous les contributeurs ne sont pas dans l’UE, la participation de cette dernière prend tout son sens. Elle sera de 23 % dans le budget 2020 de l’Esa, s’est ainsi félicité le directeur général de l’agence, Johann-Dietrich Wörner.
Les ambitions de l’Union européenne
Pour parfaire l’Équipe d’Europe, il faut donc intégrer l’UE, qui dispose de son programme organisme spécialisé : son agence, appelée Global Navigation System Agency (GSA), gère, en l’occurrence, les constellations Galileo, système de navigation concurrent du GPS américain, et le Service complémentaire de navigation par satellites géostationnaires Egnos. Malgré une panne de six jours en juillet dernier, Galileo « serait peu à peu en train de supplanter le GPS », affirmait à Paris Jean-Yves Le Gall.
L’UE estime aujourd’hui qu’il est de sa mission de s’intéresser à l’espace, comme le montre la création au sein de la nouvelle Commission européenne d’une direction générale chargée de l’industrie de la défense et de l’espace.
Appelée Défis, cette dernière dépend du commissaire en charge le Marché intérieur, du numérique, des services, de l’industrie, de la défense et de l’espace, le Français Thierry Breton, ancien ministre de l’Économie et patron de grands noms de la technologie hexagonale : Bull, Thomson, France Télécom, Atos.
La coordination des agences européennes Esa et GSA
Les Européens sont bien conscients que la GSA et l’ESA doivent coordonner leur action. La gouvernance et les relations entre les deux agences européennes est « un premier éléphant que nous devons soulever », a reconnu Pierre Delsaux, directeur général adjoint de Défis. L’Europe spatiale « ne peut se faire que si on travaille ensemble » et, pour ce responsable à Bruxelles, « on va trouver un bon accord », tout simplement « parce qu’on n’a pas le choix », a-t-il martelé.
Outre Galileo et Egnos, la Commission européenne veut contribuer à la réalisation d’autres programmes comme Copernicus pour l’observation de la Terre, mais aussi Govsatcom (Governmental Satellite Communications) programme européen de communications gouvernementales par satellites, visant à offrir aux États des informations sécurisées, ainsi que l’initiative de Surveillance de l’espace (SSA), dont l’objectif est notamment de traquer les débris dans l’espace.
La question du budget et les instruments spécialisés de l’UE
Un deuxième « éléphant », plus difficile à soulever selon Pierre Delsaux, est celui du budget de l’Union européenne.
Le Cadre pluriannuel financier (CFP) pour la période 2021-2027 est aujourd’hui en discussion. «C’est maintenant que les décisions pour les dix à venir se prennent », a pointé Pierre Delsaux, qui n’a pas caché que les discussions entre les États membres s’annonçaient difficiles.
Pour se montrer ambitieuse, l’UE peut utiliser trois instruments : le Fonds spatial, le programme de recherche Horizon Europe, le Fonds de la défense.
S’agissant du Fonds spatial, le Parlement européen, a détaillé Christophe Grudler, membre de sa commission Industrie, recherche, énergie, « a proposé 16,9 milliards d’euros, alors que le chiffre de 16 milliards est sur la table ». Selon lui, les négociations devraient tourner autour de 15 milliards.
En ce qui concerne Horizon Europe, avec une enveloppe qui devrait tourner autour 85 milliards d’euros, il ne proposera plus comme par le passé de « fléchage spécifique pour l’espace », ce qui signifie qu’il « faudra proposer des projets, être meilleur pour avoir des fonds que dans d’autres secteurs », a prévenu Pierre Delsaux.
Enfin, le fonds de Défense. Les discussions sont aussi engagées, avec des perspectives différentes. « On parle de 13 milliards, mais à l’heure actuelle il n’y a que 8,5 milliards de sûrs », a rapporté Christophe Grudler.
Partisan d’une Europe puissance, la France semble vouloir faire le forcing. Ce qui rend le député européen optimiste. « On dépassera les 10 milliards », a-t-il assuré, confiant. Une bonne nouvelle pour le spatial européen, si elle se confirme.
François Pargny