En créant il y a quatre ans un substitut d’œuf à base végétale, Yumgo s’est immédiatement ouvert les portes de l’export grâce à une stratégie BtoB axée sur l’innovation culinaire, la prospection multicanale et un marketing soigné. Elle réalise aujourd’hui 40 % de son chiffre d’affaires à l’étranger… principalement au grand export.
L’étagère où sont rangés les prix remportés par la startup dans ses locaux de l’Est parisien va bientôt manquer de place. Parmi eux, le prix de l’innovation du SIAL de Paris en 2022 (et de Toronto l’année suivante), celui du SIRHA Green dans une catégorie identique il y a deux ans, un autre rapporté de la Plant Based World Expo de Londres en février dernier…
Créé par la boulanger-pâtissier Rodolphe Landemaine et la spécialiste du développement international Anne Vincent en 2019, Yumgo doit avant tout son succès à une prouesse technique : remplacer les œufs par une préparation 100 % végétale à destination des artisans et des industriels.
« Il y a une forte demande pour les protéines végétales, en particulier à l’international, se réjouit le cofondateur. Les Pays-Bas compteront 50 % de végétariens en 2030 et au 30 % des 18-25 ans le sont déjà au Royaume-Uni ».
Sur ce marché en pleine expansion où la concurrence mondiale est vive, la jeune pousse parisienne de 10 salariés a profité de la pandémie de Covid-19 pour booster sa R&D. Alors qu’il n’existe encore aucun substitut sérieux à l’albumine pour préparer viennoiseries et gâteaux, l’artisan-entrepreneur multiplie expériences et tests. Il se rapproche de l’université d’Angers pour travailler sur la digestibilité, dépose trois brevets à l’Inpi, source des fournisseurs en Europe et prend contact avec des industriels pour la production.
Le Japon, porte de l’international
Les recettes pour les substituts de blancs, de jaunes et d’œufs entiers sont composées d’entre 3 et 6 ingrédients maximum : protéine de pomme de terre, fibre d’acacia, fibre de lin, amidon de pois, huile de colza, farine de pois chiches et de riz… Ces solutions prêtes à l’emploi suscitent d’autant plus d’intérêt que le prix des œufs a flambé depuis le début de la guerre en Ukraine. Sur le marché français, il s’est envolé de 30 % sur la seule année 2022. Des participations à des salons professionnels incontournables comme le SIAL et Anuga en Allemagne, mais aussi le réseau professionnel du dirigeant et une pluie de prix depuis trois ans font gagner Yumgo en visibilité.
Mais alors qu’il est en général conseillé aux petites entreprises primo-exportatrices d’attaquer l’export par des marchés limitrophes, la société réalise l’essentiel de son activité à l’international dans des pays tiers : Royaume-Uni, Japon, Taïwan, Etats-Unis, Canada, Scandinavie, Belgique… A part ces deux dernières zones et la France, la jeune pousse travaille beaucoup en Asie et en Amérique du Nord. « Ma femme est japonaise et j’ai des boulangeries là-bas, explique le dirigeant. Ce pays est un marché compliqué, si vous êtes capable d’exporter au Japon, vous pouvez exporter n’importe où ! »
Conjuguer valeurs fortes et gourmandise
Formé aux Compagnons du Devoir et dans de grandes maisons (Ladurée, Bocuse, Lucas Carton, le Bristol), il rencontre une boulangère japonaise qui promet les échanges entre les deux pays dans ce secteur et qui deviendra sa femme. Après avoir exporté les boulgeries Landemaine (18 en France) au Japon (4 boutiques à Tokyo), Yoshimi Landemaine est aujourd’hui responsable de la R&D boulangerie de Yumgo. Convaincu de l’avenir florissant de la cuisine végétale, le couple lance sa première enseigne Land&Monkeys, 100 % végétalienne à Paris en 2020 et en a ouvert cinq autres depuis avec la volonté de percer sur d’autres marchés européens dans les prochaines années.
Cette activité BtoC soutient celle réservée aux professionnels. « En créant ces boulangeries et Yumgo, nous voulions montrer qu’on peut faire de la boulangerie et de la pâtisserie sans œufs et obtenir des produits gourmands quel que soit son régime alimentaire », résume le dirigeant. Si l’entreprise met en avant des valeurs fortes comme l’environnement et le bien-être animal, elle reste convaincue que c’est le goût et le plaisir qui font la différence. Un credo que partage Anne Vincent, recrutée en 2019 pour développer l’international.
Un produit innovant et taillé pour l’export
Après une carrière dans de grandes entreprises incluant trois années aux Etats-Unis, elle s’attèle à démarcher les artisans du réseau professionnel de l’autre cofondateur et les distributeurs étrangers pour faire connaître les produits Yumgo qui compte aujourd’hui 200 clients professionnels répartis dans une dizaine de pays, dont l’industriel français Délifrance présent dans unen centaine de pays. Derniers succès en date : la signature de partenariats avec Classic Fine Foods, distributeur britannique d’épicerie fine en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, et avec La Rousse Foods, une société 100 % irlandaise, spécialisée dans la fourniture d’aliments fins aux établissements de restauration haut de gamme.
Après une première version liquide prête à l’emploi, la R&D a mis au point un substitut en poudre, particulièrement adapté à l’export. « C’est un produit plus léger et qui prend moins de place donc moins cher à transporter et à stocker, qui se conserve 18 mois contre 150 jours pour des blancs en version liquide et qui est plus simple que l’original sur le plan réglementaire puisque tous les ingrédients sont végétaux », résume la dirigeante au profil atypique qu’a priori rien ne prédestinait à développer l’international d’une jeune pousse innovante de l’agroalimentaire.
La jeune pousse fourmille de projets
Mais cette Belge mariée à un Français, ayant vécu à Atlanta, qui a étudié l’histoire et les sciences politiques avant de travailler dans des cabinets de conseil, le digital et l’industrie pharmaceutique a « tout de suite été accrochée par le projet » de Rodolphe Landemaine, lui-même en dehors des codes habituels de la promotion de la gastronomie française à l’international. Cette dernière non seulement joue plus souvent la carte de la tradition et du luxe que celle de l’innovation à destination des clients BtoB, mais n’est surtout pas très portée sur la cuisine végétalienne.
Selon l’Ifop, en 2021, le pays des viandes en sauce et de la pâtisserie au beurre comptait 0,3 % de végétaliens ou végans, 0,8 % de végétariens stricts (sans poisson) et 2 % suivant des régimes sans viande. Une goutte d’eau comparée à la moyenne de 6 % de végétariens en Europe. Le département de l’Agriculture des Etats-Unis (USDA) estime à 1,8 % la part de végans en Allemagne et 20 % celles des végétariens en Suède. Si la tendance, en particulier à l’international est bien là, et tire le chiffre d’affaires de Yumgo qui sera de « entre 6 et 7 millions d’euros cette année » elle pousse encore à l’innovation.
A la demande des professionnels, l’entreprise lance une mayonnaise sans œufs commercialisée en seaux de 5 litres et développe une gamme d’autres sauces salées. Elle se prépare également à recruter 7 nouvelles personnes en 2024 pour renforcer la communication, le marketing et l’industrialisation, la production étant jusqu’à présent sous-traitée sur trois sites en France. Elle réfléchit aussi aux besoins d’autres secteurs comme la cosmétique. Côté financements, les deux dirigeants s’apprêtent à effectuer l’an prochain une deuxième levée de fonds, « entre 3 et 5 millions d’euros », précise Anne Vincent après une première levée de 1,6 millions d’euros en juillet 2022.
De quoi concrétiser les projets de cette start-up qui veut continuer à se développer à l’international et qui, pour ce faire, a dû selon Rodolphe Landemaine « déconstruire un héritage gastronomique en France, ce qui n’a pas été facile ! ».
Sophie Creusillet