Spécialiste de l’extraction des arômes « bruns » depuis 1946, l’ETI familiale Prova vient d’inaugurer à Bangkok sa première usine hors de France avec la ferme intention de prendre des parts de marché en Asie sans réduire la voilure en France. Une occasion de revenir sur le parcours et la stratégie de croissance de cette ETI familiale que dirige la petite fille du fondateur, qui a inscrit le développement international dans son ADN.
Confortablement installée sur la banquette d’une brasserie du 9ème arrondissement de Paris – un rendez-vous idéalement localisé sur sa ligne de métro habituelle-, c’est en toute simplicité et sans fausse modestie que Muriel Acat-Vergnet, petite fille du fondateur et actuelle présidente de Prova, explique au Moci comment l’international est une culture bien ancrée dans l’ADN de cette ETI industrielle familiale, dont le siège social est à Montreuil, en proche banlieue Est de Paris.
« Les langues n’ont jamais été un problème chez nous »
Côté racines, il y a les origines, bien sûr. « Les langues n’ont jamais été un problème chez nous puisque ma grand-mère était suisse-allemande et que mon père a épousé une Allemande, relate la présidente de Prova. On sortait du lot déjà dans les années 60-70 car on exportait vers les pays germanophones contrairement à nos compatriotes qui n’osaient pas à cause de cette barrière de la langue ». Son père avait même monté la commission export du Gerep, l’antenne locale du Medef de l’époque dans l’Est parisien.
Et c’est sans aucun complexe que la dirigeante assume aujourd’hui diriger une ETI pure player de sa spécialité, dans le top 10 mondial des producteurs d’arômes bruns, et au capital contrôlé à 95 % par sa famille. Elle prépare déjà ses deux enfants, de 26 et 28 ans, à devenir « des actionnaires éclairés ». Chez Prova, on s’inscrit dans le temps long.
Au chapitre des racines, il y a aussi le savoir-faire unique de cette entreprise. Sa technique d’extraction innovante de la vanille, un savoir-faire historique mis au point par le grand-père, serait « à ce jour inégalée » selon Muriel Acat-Vergnet. Alors que la plupart de ses concurrents utilisent une technique alcool-eau, « nous extrayons la partie oléo soluble de la vanille, ce qui qui nous a permis de décoller avec l’essor de la chocolaterie mondiale car les produits étaient mieux adaptés au chocolat ».
Depuis, l’entreprise a diversifié ses savoir-faire, tout en restant un pure player de l’extraction d’arômes « bruns », autrement dit sucrés mais non issus de fruits. Elle travaille la gousse de vanille, la fève de cacao, le grain de café, le caramel, et fait des mélanges. Mais elle a gardé sa réputation de fournisseur premium du marché.
Leader mondial du cacao, au top 10 pour la vanille
La culture de l’international, c’est aussi le sourcing de ses matières premières. Son approvisionnement vient depuis l’origine de contrées tropicales lointaines, comme Madagascar pour la vanille. « Nous sommes le leader mondial sur le cacao et l’un des dix premiers acheteurs mondiaux de vanille » souligne Muriel Acat-Vergnet.
Le savoir-faire de l’entreprise en matière d’achat de matières premières est un facteur clé pour obtenir des arômes de classe premium, est un atout maître quand on fournit les grands noms de l’industrie agroalimentaire et, de plus en plus, les grands chefs pâtissiers et restaurateurs.
Et pour terminer ce portrait, il y a les performances économiques d’aujourd’hui, bien sûr : 110 millions d’euros de chiffre d’affaires, 75 % à l’export, 375 employés, cinq sites en France entre la production et la R&D. Prova dispose d’un réseau de filiales qui assurent sa présence dans 70 pays : Allemagne, Brésil, Chili, Chine (Shanghai), États-Unis (Boston), Inde, Indonésie, Mexique, Thaïlande. Et nombre de jeunes diplômés V.I.E (volontaires internationaux en entreprise) y ont fait leur apprentissage de « country manager ».
Une usine en Thaïlande pour se rapprocher de marchés en pleine croissance
Beau parcours pour cette entreprise qui fête cette année son 78ème anniversaire. Conditionnés sous la forme de liquides, de poudres ou encore de blocs solides, ses arômes et mélanges d’arômes sont livrés dans le monde entier depuis son usine historique d’Autruy-sur-Juine, dans le Loiret, et son autre site de production de Montrichard, dans le Loir-et-Cher.
Mais l’entreprise a aussi des ailes. Les deux sites français seront épaulés bientôt par une nouvelle unité de production en Thaïlande, qui vise à rapprocher Prova de marchés asiatiques en plein essor et où elle dispose déjà de clients installés. « Notre plus gros client industriel est aux Philippines » illustre la présidente.
Depuis juin, sa nouvelle usine ouverte en Thaïlande, dans une zone franche de Bangkok, teste en effet les machines livrées clés en main par la maison-mère à sa filiale, avec l’ambition de livrer toute l’Asie. « Nous avons souhaité maîtriser cette opération de A à Z » souligne Muriel Acat-Vergnet. Il s’agit du premier investissement véritablement industriel de l’entreprise hors des frontières, pas question de prendre le moindre risque.
Les dix unités de mélange d’extraits (six pour le liquide, quatre pour le solide) ont été conçues en interne, avec des équipementiers européens, et expédiées en pièces détachées par conteneurs à Bangkok. « Nous avons voulu éviter les mauvaises surprises », insiste la présidente de Prova. L’usine, qui emploi 20 personnes, dont son directeur thaïlandais, ambitionne de doubler très vite son effectif. Elle sera approvisionnée en extraits par les usines françaises. « L’extraction est une activité stratégique, elle reste en France », insiste Muriel Acat-Vergnet.
Pour la présidente de Prova, loin de constituer une délocalisation, cet investissement est au contraire une étape essentielle pour permettre à l’entreprise de réaliser ses ambitions de croissance. Si 15 millions d’euros ont été investis à Bangkok, 15 autres millions ont été injectés en parallèle dans une nouvelle unité de production de 9000 m2 à Montrichard, pour conditionner les produits destinés aux métiers de bouche. Le site d’Autruy-sur-Juine a également bénéficier d’investissement pour moderniser les installations.
« Nous grandissons en même temps »
Pas question, donc, de réduire la voilure. En France comme à l’international, « nous grandissons en même temps », souligne Muriel Acat-Vergnet. Celle-ci parie en effet sur l’essor de la demande des métiers de bouche, marché pour lequel « l’international sera le principal levier de croissance » car l’Europe, marché mature, est plutôt en stagnation. Les États-Unis, comme la Chine font partie de ses priorités.
Le choix d’implanter cette usine en Thaïlande s’explique par plusieurs facteurs. Le pays est géographiquement assez central en Asie, plus proche géographiquement que la Malaisie, à trois jours de route de Pékin, et beaucoup moins cher que Singapour. En outre, Prova était déjà connue sur ce marché, ayant notamment travaillé avec la Thaï Flavor Association (TFA), association professionnelle thaïlandaise des arômes, qu’elle a mis en relation avec l’ISIPCA, l’école des aromaticiens de Versailles.
Lorsqu’elle a décidé d’investir, l’ETI française a été accueillie à bras ouverts : le BOI (Board of Investment in Thailand), l’équivalent local de Business France, a aidé l’entreprise à obtenir toutes les certifications pour s’installer dans une Free Trade Zone à Bangkok, qui permet l’import-export en franchise de droits. Cerise sur le gâteau, Prova a pu confier la maîtrise d’œuvre du site à des professionnels français installés sur place.
Pour l’inauguration du site Thaïlandais, début juin, Prova a invité toutes ses équipes et ses clients et distributeurs de la zone. Un grand rassemblement qui a duré une semaine, selon Muriel Acat-Vergnet. De quoi installer l’entreprise en orbite en Asie.
Christine Gilguy