A l’heure du « Black Friday », le sujet est d’actualité. Les plateformes d’e-commerce sont devenues des supermarchés mondiaux de la contrefaçon et des escroqueries en tout genre. Navee, une jeune pousse française de la deeptech, défie ces trafiquants avec un outil capable de traquer ces arnaques à grande échelle, grâce à la détection des images volées. Son marché est mondial, et sa vision est globale, à l’échelle d’Internet.
L’histoire des origines de Navee est belle à raconter, elle commence en 2018. Deux jeunes ex. diplômés de grandes écoles françaises, l’un sorti de CentralSupelec, Matthieu Daviet, l’autre de l’ESCP, Matteo Amerio, se retrouvent en Californie. Ils vivent à San Francisco mais sont employés dans une startup française travaillant sur l’intelligence artificielle (IA) appliquée à l’image, basée à Palo Alto, au nord de la Silicon Valley.
A l’époque, se souvient Matteo Amerio, dans un français parfait avec un léger accent italien, les deux compères, qui vivent à San Francisco, découvrent tout à la fois le potentiel de l’IA, mais aussi l’ampleur des problématiques liées à l’usage frauduleux de l’image sur Internet. « A Palo Alto, une annonce d’appartement sur deux publiées sur Internet était fausse, se souvient-il. Pour nous qui n’avions pas beaucoup d’argent, ça pouvait être dangereux vu les prix élevés pratiqués sur le marché ».
« Sur Internet, pas de fraude sans images volées »
Les deux jeunes Européens sont d’autant plus choqués qu’ils sont à Palo Alto tout de même, temple des startups « qui célèbre l’innovation et la technologie ». En fait, « Internet a plein de côtés obscures » indique Matteo Amerio. Mais les deux amis acquièrent une solide conviction : sur Internet, « pas de fraude sans images volées », c’est la clé.
Et à l’époque, tout est à faire car aucune technologie n’est encore capable de détecter l’origine des images publiées sur Internet, les plateformes en lignes se disent impuissantes.
De là l’idée de créer une startup dédiée au développement d’outils capables, grâce à l’IA, de traquer en masse sur les plateformes de e-commerce du monde entier les images volées et copiées dans le but d’écouler contrefaçons et autres faux objets de marques connues.
Navee est née le 26 décembre 2018 en France avec trois grandes cibles : les fausses annonces immobilières, les faux profils et les faux produits. Quitte à bousculer les plateformes parfois réticentes à réduire l’activité des escrocs, source d’importants trafics sur leurs sites.
Entrée dans le comité anti-contrefaçon de l’INTA
Quatre ans de développement plus tard, les outils développés par la startup sont au point. L’entreprise, qui investit massivement dans la R&D, propose aujourd’hui toutes une gamme de solutions « adaptées aux différents besoins de toutes les marques, quelle que soit leur taille », décrit son dossier de presse. Elle est même capable de détecter les faux sur les sites et de les détruire de façon automatique.
Adoubée par les grandes marques du luxe qui bataillent inlassablement contre les contrefacteurs qui trafiquent dans le monde, les distinctions pleuvent sur la startup : France Future 40, Andam Awards et LVMH Innovation Awards (data et IA) en 2020, CentraleSupélec IA l’année suivante.
Elle noue également des partenariats avec des acteurs clés de l’IA et de la lutte contre la contrefaçon tels que CentraleSupelec, l’Unifab (Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle), Google…
Et elle vient, fin octobre, d’intégrer le comité mondial anti-contrefaçon de l’INTA (International Trademark Association), une formidable opportunité de nouer des relations et de participer aux efforts entrepris pour améliorer la communication entre les marques et les plateformes de e-commerce afin d’améliorer l’efficacité des méthode de détection des fausses images.
Dans ce domaine, il faut reconnaître que l’arrivée en Europe du DSA, le Digital Service Act, qui contraint les plateformes de e-commerce à davantage de transparence et de respect des données personnelles, a contribué à améliorer leur disponibilité à collaborer. « Nous sommes en phase de projet pilote avec trois grandes plateformes actuellement avec l’objectif de parvenir à bloquer la moitié des tentatives d’introduire des faux sur leurs sites » atteste Matteo Amerio.
La moitié du chiffre d’affaires à l’export
Le marché qui s’ouvre à elle est gigantesque : rien que pour l’Union européenne, on estime à 119 milliards la valeur des produits contrefaits importés chaque année, soit 5,8 % du total des importations. En France, c’est une activité croissante pour les douaniers : avec 8,2 millions d’articles de contrefaçons saisis en 2022, la progression est de 53 % par rapport à 2021. La Douane et la DGCCRF se sont fendues d’un communiqué d’alerte quelques jours avant le Black Friday.
Le e-commerce est l’un des canaux désormais les plus utilisés pour écouler ces marchandises. Navee, qui fonctionne dans toutes les langues, a permis d’analyser près de 50 millions d’images contrefaites à ce jour et compte une centaine de grandes marques clientes, parmi lesquelles des stars du luxe.
La société génère déjà du chiffre d’affaires : 1 million d’euros en 2022, plus du double en 2023, pour moitié à l’export. « Nous avons des clients partout dans le monde » se réjouit Matteo Amerio. Basée à Paris, elle compte 50 collaborateurs et trois bureaux dans le monde, dont en Asie, l’un des principaux centres névralgiques du business de la contrefaçon mondiale. « 75 % vient de Chine » rappelle le cofondateur de la société. Son ambition est plus que jamais justifiée : révolutionner la contrefaçon en ligne.
Christine Gilguy