Lancée en 2016 en France, la Lovebox, petit objet connecté qui permet de recevoir des mots doux de ses proches, a séduit le cœur des Américains et continué à répondre à leur forte demande malgré la crise sanitaire mondiale, utilisant même la route ferroviaire de la soie. Après une année 2020 rocambolesque, la startup éponyme y réalise désormais 80 % de son chiffre d’affaires grâce à l’e-commerce. Et entend conquérir de nouveaux marchés.
« L’an dernier, nous avons vu arriver des commandes depuis l’île de Guam en Micronésie et d’Afghanistan, à notre plus grand étonnement avant de comprendre qu’elles provenaient de soldats américains en poste dans des bases militaires », relate Romain Hué, directeur des opérations de cette jeune pousse grenobloise.
Des soldats loin de chez eux pendant de longues périodes : une clientèle idéale pour cette petite boîte en bambou branchée sur le secteur qui permet de recevoir des messages (textes, gifs, photos) envoyés depuis une application mobile. Et qui cartonne aux États-Unis où elle est commercialisée via le site marchand de l’entreprise : 5 millions d’euros (M EUR) de chiffre d’affaires en 2020 (sur un chiffre d’affaires total de 6 M EUR) et une croissance de 154 % par rapport à 2019.
L’effet confinement et l’essor de l’e-commerce pendant la pandémie ne sont évidemment pas étrangers à ce succès sur le marché américain, mais ne l’expliquent pas à eux seuls. Tout commence en 2015 lorsque Jean Grégoire, cofondateur et CEO, étudiant à l’école des Mines, part en postdoc au MIT (Massachusetts Institute of Technology, près de Boston) et imagine la future Lovebox dans un « Fab Lab » de Boston pour envoyer des messages à sa copine restée en France. Lors d’une exposition organisée par ce Fab Lab, il rencontre une autre Grenobloise, Marie Poulle diplômée en commerce et management (qui a quitté la direction des opérations en 2019).
Un projet né entre les États-Unis et la France
Ensemble, ils créent la startup en 2016 et lancent les premières Loveboxes France sur Internet. Mais le marché américain, où est né le projet, est toujours très présent. En atteste la campagne de financement sur la plateforme américaine Kickstater en 2017 (271 000 euros collectés pour un objectif initial de 50 000 euros) : 20 % des 2 881 contributeurs sont américains.
La même année la jeune pousse créée par les deux jeunes Frenchies intègre l’accélérateur The Refiners, à San Francisco. Deux participations au CES de Las Vegas permettent de faire connaître cette petite boîte connectée aux États-Unis. L’accueil est enthousiaste et, en 2018, Lovebox décide de se concentrer sur le développement des ventes sur son propre site internet www.lovebox.love, pensé pour le marché américain.
« C’est un marché d’early adopters, très consommateurs, qui adorent les gadgets et qui vivent dans un pays immense où les familles sont éparpillées », témoigne Romain Hué qui a vécu quelques années à Miami. Les ventes s’envolent, en particulier avant Thanksgiving, Noël et la Saint Valentin. Des pics saisonniers qui obligent à bien gérer son stock et à disposer de services logistiques bien rôdés.
Lors du premier confinement, elle crée une filiale en deux semaines
Fabriquées à Shenzhen, les Lovebox sont ensuite expédiées dans l’entrepôt d’un prestataire en Alsace avant d’être réexpédiées aux États-Unis (mais aussi au Canada, au Royaume-Uni et en Australie). Quand la pandémie de Covid-19 survient, cet entrepôt situé dans une région particulièrement touchée ferme ses portes. Panique parmi les 16 employés de la startup : plus aucune marchandise ne peut être expédiée.
« En urgence absolue nous avons décidé de créer une filiale pour pouvoir facturer nos clients américains via notre site et de trouver un logisticien aux États-Unis, explique le directeur des opérations. Nous avons créé cette filiale en deux semaines et trouvé par notre réseau un logisticien dans la banlieue de Los Angeles. »
C’est donc depuis la Californie que sont désormais expédiées les Loveboxes aux clients états-uniens. Mais pas canadiens, toujours servis depuis la France. « Pour éviter un afflux de marchandises achetées sur des sites de e-commerce américain, le Canada a mis en place des taxes à l’importation élevées pour protéger son marché. Résultat : le client paye plus de taxes sur un produit qui vient des États-Unis que d’Europe. » La demande augmentant, la startup songe néanmoins à y ouvrir une filiale et travailler avec un logisticien local.
Un avion-cargo chargé de Loveboxes réquisitionné par la Chine
Dans l’e-commerce, et encore plus en période de confinement quasi mondial, le transport et la logistique sont cruciaux. En 2020, les perturbations et la flambée des prix du fret ont donné des sueurs froides à toute l’équipe de la startup.
Avant que la pandémie de Covid-19 ne survienne, les Loveboxes étaient expédiées depuis la Chine en avion. « Les prix ont été multiplié par cinq et nous n’avions pas budgétisé cette hausse des coûts de transport », se souvient le directeur des opérations. « Fin novembre 2020, alors que nous n’avions pratiquement plus de stock, le vol de l’avion-cargo qui devait nous réapprovisionner a été annulé deux fois après que des cas de Covid ont été détectés parmi l’équipage et l’avion a ensuite été réquisitionnés par les autorités chinoises. Notre contact chinois n’avait jamais vu ça. » Résultat : la marchandise patiente quatre jours dans un entrepôt de l’aéroport avant de pouvoir partir, sans aucun dédommagement possible.
La startup se rabat sur le transport maritime, qui connaît lui aussi des tensions (flambée des prix, pénurie de containers, retards…). Encore plus depuis le blocage du canal de Suez par un porte-contneur en mars dernier qui a provoqué des retards monstres. « On parle de six mois avant une retour à la normale », estime Romain Hué qui craint de se trouver à nouveau avec un stock vide.
Finalement le transitaire avec lequel elle travaille, IFB, à Mulhouse, propose une dernière solution pour assurer le transport depuis Shenzhen via Pékin : le train. « C’est 25 % plus cher que le maritime, mais plus rapide que le bateau : 32 jours, contre 54 jours ». Si ce test est concluant, les petites boîtes à mots doux de la jeune pousse tricolore emprunteront à nouveau cette route de la soie ferroviaire, tout en continuant à utiliser aussi l’aérien en cas d’urgence.
La demande afflue d’autres pays dans le monde
Malgré ces péripéties, le béguin des consommateurs américains pour cet objet et la réactivité de l’entreprise pour satisfaire leur demande malgré la crise, a constitué un important levier de croissance permettant d’affronter et de financer ces défis logistiques.
Pour autant, se concentrer sur un seul marché ne peut constituer une stratégie durable. Objet transposable d’une culture à l’autre, personnalisable et facile d’utilisation, la Lovebox peut adapter son application et son design à tous les marchés. Et la demande afflue, au hasard de découvertes du produit sur les réseaux sociaux. « Des clients colombiens et péruviens sont venus vers nous, ce qui peut s’expliquer par le travail que nous menons avec une influenceuse de la communauté latina de Miami, également très suivie en Amérique du Sud. Mais les Philippines, on ne s’y attendait pas du tout ! ».
Après cette année 2020 épique, l’international devrait à nouveau occuper la startup. Avant la crise, elle devait partir en mission de prospection avec Business France aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite pour prendre la température du marché.
L’Inde, énorme marché très prometteur pour ce type de produits, est également dans le viseur. Romain Hué a vécu deux ans à New Dehli et connaît bien les aléas de ce pays où les tracasseries administratives et logistiques sont légion. « J’ai fait un test en envoyant trois boxes à des amis sur place, aucune n’est arrivée ! »
Le Moyen-Orient, l’Amérique latine, le Canada, mais aussi le Japon, pays du gadget par excellence, autant de marchés potentiels. Dans un premier temps, ce sera l’Europe, en particulier l’Allemagne qui devrait concentrer l’attention de la startup. « Nous aimerions aussi nous redévelopper en France ! » Ironie de l’aventure de cette société française : elle est en effet encore peu présente sur son marché d’origine.
L’international, au cœur même du projet d’un ingénieur français qui a inventé la Lovebox aux États-Nuis pour abolir les distances et dirige actuellement son entreprise depuis l’Australie, était au cœur du projet de la Lovebox. Il lui a permis d’affronter la crise plus sereinement. Et de lui offrir des perspectives.
Sophie Creusillet