Le groupe autrichien BWT (Best Water Technology), un leader européen des systèmes de traitement de l’eau, vient de racheter 100 % d’Edafim, l’un des deux fabricants français de fontaines à eau et refroidisseurs. Une opération mutuellement consentie, qui vise à faire de la PME française l’épicentre de la nouvelle division internationale du groupe autrichien dans cette gamme de produits. Revue de détail avec le P-dg d’Edafim, Alain Auger.
Encore une pépite française qui part dans le giron d’un groupe étranger ? Alain Auger, dirigeant d’Edafim (notre photo), PME spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de fontaines à eau récemment rachetée par BWT, balaye l’argument sans aucune hésitation : « rester européen était important pour nous », dit-il. Mais « accélérer notre internationalisation » l’était tout autant pour l’entreprise.
Et, en l’absence de solution française satisfaisante pour le dirigeant, l’arrimage à un groupe européen mais à taille humaine était la meilleure solution à ses yeux. D’autant que l’actuel direction et les effectifs d’Edafim sont conservés par l’Autrichien, et qu’il va valoriser le site sur le territoire français.
« BWT, c’est l’équivalent d’une ETI non cotée, ses dirigeants ont une vision à long terme », argumente Alain Auger, qui aime cette culture d’entreprise germanique, loin des exigences des investisseurs financiers. Le dirigeant de BWT, Andreas Weissenbacher, 62 ans, aux mannettes de cette entreprise depuis 32 ans, est le principal actionnaire de ce groupe de 5500 personnes réalisant de l’ordre du milliard d’euros de chiffre d’affaires sur le marché des systèmes de traitement de l’eau (filtration, purification, adoucisseurs…), dont il est un leader européen.
La future usine vitrine écoresponsable du groupe
Les synergies produit sont évidentes. Jusqu’à présent, le groupe autrichien importait ses fontaines à eau d’Asie à raison de 5000 unités par an, principalement destinées au marché des bureaux. L’acquisition à 100 % de la PME française et de ses actifs, y compris la SCI possédant l’usine, lui offre l’occasion d’acquérir en un temps record un savoir-faire et des moyens de production qu’il ne possédait pas, avec l’ambition d’en faire le socle de base de sa nouvelle division internationale « machines à boissons ».
Edafim était d’autant plus attractive pour un groupe qui a fait de « change the world-sip by sip » (Ndlr : changer le monde-gorgée par gorgée) sa baseline, que son dirigeant a mené toute une démarche pour rendre encore plus écoresponsable sa production, en lien avec les attentes du marché : l’injection plastique a été rapatriée d’Asie en France et « toutes nos pièces plastique sont désormais faites à partir de plastique recyclé en Europe », précise Alain Auger.
En outre, la PME française a engagé, juste avant la crise sanitaire, 4 millions d’euros d’investissement dans une nouvelle unité de production de 5000 m2 sur son site historique de Livron-sur-Drôme, où elle a vu le jour en 1983. Elle y a aménagé l’an dernier.
Cerise sur le gâteau : sa source d’énergie sera 100 % verte. « Dans six mois, le bâtiment sera couvert de panneaux photovoltaïques qui produiront plus d’électricité que l’usine n’en consomme » confirme Alain Auger. Un point qui a particulièrement séduit le groupe autrichien : « il veut en faire une usine vitrine pour tout le groupe », souligne le dirigeant français.
Une ambition internationale freinée par les problèmes de financement
L’internationalisation d’Edafim devenait un enjeu majeur pour assurer sa pérennité, mais sa fragilité financière ne lui avait pas permis de s’y investir jusqu’à présent, la PME, qui possède son propre bureau d’étude, ayant mis ses ressources dans l’innovation et la modernisation de son outil de production pour répondre à une demande en croissance. « Nous sortons de dix ans de difficultés financières » estime Alain Auger.
Très bien implantée sur le marché français, où elle s’appuie sur un réseau d’un millier d’installateurs, Edafim, 42 salariés pour un chiffre d’affaires de 5,6 millions d’euros (2021), pèse environ 25 % du marché des bureaux et plus de 50 % de celui des cafétérias, selon le dirigeant. Mais « nous faisions 0 % à l’export » déplore-t-il.
De la difficulté à financer une forte croissance
Sur un marché très porteur, avec la fin annoncée des bouteilles d’eau jetables, la PME devait investir pour accroître ses capacités de production, ce qui a été fait. Elle devait aussi investir dans son déploiement international ce qui, compte tenu de sa taille, ne pouvait s’envisager sans mobiliser de nouvelles ressources financières.
Se rapprocher de son concurrent français, Mistral ? « Il n’y avait pas beaucoup de synergies à dégager et il a déjà percé à l’export » indique Alain Auger, qui était jusqu’au rachat par BWT, majoritaire, avec sa fille et son gendre, au capital de l’entreprise.
Le dirigeant, qui souhaitait reclasser les minoritaires, a cherché du côté des acteurs du capital investissement : mais les montages financiers qui lui étaient proposés apparaissent trop contraignants à son goût. Il connaissait des gens chez WBT, l’idée d’un rachat par ce groupe autrichien à la culture d’entreprise proche de la sienne s’est progressivement imposée.
Lancement d’une nouvelle gamme européenne de machines à boissons
Le jour où nous avons interrogé Alain Auger, celui-ci rentrait d’un périple au siège de BWT, à Mondsee, pour participer à un comité de direction. La nouvelle feuille de route d’Edafim est résolument internationale et européenne : elle vise à mettre en œuvre la nouvelle « stratégie de développement des machines à boissons » du groupe dont elle sera l’épicentre. Et cela passe par une « fontaine européenne » se réjouit Alain Auger.
Concrètement, toute la gamme des fontaines à eau va être revisitée pour répondre aux spécificités des marchés européens. Fini les importations d’Asie, toute la production sera centralisée sur le site de Livron-sur-Drôme. « D’ici fin 2022, le cahier des charges de la nouvelle gamme sera prêt » souligne le dirigeant français.
La connaissance des marchés européens de BWT s’avère précieuse, et les synergies de savoir-faire entre les Français et les Autrichiens jouent à plein.
« En Europe du nord, il faut être capable de proposer des fontaines qui produisent de l’eau semi-gazéifiée » explique Alain Auger. « En Europe de l’Est, les besoins sont différents car l’eau du réseau n’est pas d’aussi bonne qualité ». Pour l’Italie, il faudra « adapter nos standards aux besoins locaux », par exemple intégrer des échangeurs en inox plutôt qu’en cuivre.
10 % à l’export dès 2023, 30 % en 2024
La PME française maîtrise les techniques nécessaires à ces adaptations et a en outre l’avantage de maîtriser la désinfection de l’eau, un plus. BWT a de son côté pris de l’avance dans l’usage des nouvelles technologies, avec le développement d’une plateforme de connectivité qui permettra de connecter les futures machines. « Dans le futur, nos machines seront connectables », se réjouit Alain Auger.
Déjà, l’unité française, qui produit actuellement entre 8000 et 10000 fontaines par an, devrait rapidement monter en charge avec la nouvelle gamme bureaux à fabriquer. Dix embauches sont prévues d’ici fin 2022, sans doute autant l’année suivante. Dès 2023, 10 % de sa production sera expédiée à l’export, et 30 % l’année suivante.
Alain Auger reste discret sur le montant du deal passé avec BWT. Pour lui, qui reste aux manettes avec toute son équipe, l’essentiel est que l’avenir du site de Livron-sur-Drôme soit assuré, à long terme.
Christine Gilguy