Positionnée sur le marché de niche de l’édition de meubles durables (respectueux des règles RSE) en bois massif, la PME nordiste s’est développée uniquement grâce à l’Internet, bien avant l’explosion de l’e-commerce post-pandémie de Covid-19. Ce choix stratégique lui a permis de se concentrer sur la maîtrise de tous les maillons de la chaîne de production et de conquérir très tôt d’autres pays européens. Jusqu’à convoiter aujourd’hui le marché américain.
Quinze ans après sa création à Lille en 2008, Tikamoon a ouvert début juillet son premier magasin physique, place des Victoires, à Paris. Depuis 2008, la PME, qui emploie aujourd’hui 250 personnes, vendait ses meubles aux lignes épurées uniquement en ligne.
« Un de mes deux associés est Bourguignon mais vivait à l’époque à Hambourg où il a lancé en 2010 une boutique eBay en allemand et mis en place un service après-vente de germanophones natifs, se souvient Arnaud Vanpoperinghe, cofondateur et dirigeant de l’enseigne. Deux ans plus tard, nous avons dupliqué au Royaume-Uni la même stratégie de développement en trois phases : le lancement d’une boutique eBay, la création d’un site en propre et une campagne de marketing digital d’acquisition ».
La PME ouvrira ainsi un pays tous les deux ans environ : l’Italie, l’Espagne, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique et l’Autriche.
Aux Pays-Bas et en Suisse, l’entreprise fait néanmoins une entorse à son modèle en choisissant de passer par des partenaires locaux. « En Suisse, notre seul marché extra-européen, nous n’avons pas développé de site en propre mais nous sommes passés par World Sellers, une agence lilloise spécialisée dans la création de sites d’e-commerce transfrontalier, explique le dirigeant. Nous voulions aller vite et c’était la première fois que nous ouvrions un site dans un pays avec une autre devise que l’euro, hors-UE et en trois langues. »
La PME de 250 salariés a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires en hausse de 19 %, à 113 millions d’euros dont 50 % à l’international, Allemagne et Royaume-Uni en tête.
Une production déléguée à des ateliers artisanaux
Côté logistique, Tikamoon centralise ses activités dans un entrepôt de 30 000 m² près de Lille depuis lequel sont expédiés les meubles vers l’Europe. Pour éviter le surstockage, et les frais qui vont avec, la PME travaille en flux tendu avec un réassort mensuel de toutes les références. Elle pilote elle-même la logistique et les transports, en amont et en aval, en partenariat avec des transporteurs.
Autrement dit, de la conception à la livraison, elle garde la main sur toute la chaîne, à l’inverse de l’état d’esprit des actuelles plateformes de e-commerce multivendeurs. En revanche, elle ne fabrique pas elle-même ses meubles, dont la production est déléguée à 80 « ateliers partenaires » répartis en France, en Europe de l’Est et en Asie (Vietnam, Indonésie et Inde).
« Nous avons des salariés présents sur place pour assurer le suivi, complète Arnaud Vanpoperinghe. Ils sont 10 en France, autant en Inde et 30 en Indonésie. Nous avons également toujours deux salariés en Ukraine, près de Lviv, dans l’ouest du pays, où nous continuons à travailler avec une entreprise locale. C’est très chronophage et très compliqué notamment sur le plan bancaire, mais nous sommes très fiers d’être toujours présents sur place. »
Le bois massif travaillé dans les ateliers est importé, essentiellement d’autres pays européens (chêne) et d’Asie (teck indonésien, manguier indien…). Si Tikamoon doit faire avec l’inflation, l’augmentation du prix de la matière première n’a néanmoins pas été aussi importante que pour le bois de construction.
Un modèle durable qui résiste à la crise
« De la même façon, la hausse de la facture énergétique et sa répercussion sur les coûts de production nous a moins concernés car nos ateliers travaillent de manière artisanale et sont donc beaucoup moins énergivores. » En revanche l’envolée des taux de fret maritime pendant la crise sanitaire a eu un impact plus important et l’entreprise a dû rogner sur ses marges et répercuter la hausse de ses coûts de production sur les prix de vente des quelque 1 000 références disponibles dans ses boutiques en ligne.
Argument de poids pour les consommateurs : tous les meubles conçus et vendus sont fabriqués à partir de bois labelisés FSC « chaîne de contrôle » par le Forest Stewardship Council. Ce certificat permet de s’assurer non seulement de la durabilité des procédures de gestion des forêts, mais également de la traçabilité du bois à chaque étape du processus de production, depuis la forêt jusqu’au produit fini, en incluant toutes les étapes successives de traitement, de transformation, de fabrication et de distribution.
En matière de développement durable l’entreprise joue la carte de la transparence : elle publie sur son site l’analyse des cycles de vie de ses meubles et son bilan carbone complet (incluant les trois scopes). En tant que chargeur, Tikamoon est labelisée par Fret21, signe de son engagement à décarboner ses livraisons. Tous les camions qui transportent ses meubles portent la norme Euro6, qui garantit une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de la consommation de carburant.
Cap sur les États-Unis
N’y a-t-il pas pourtant une contradiction entre ces démarches vertes et l’importation d’essences depuis l’autre bout du monde ? Pour Arnaud Vanpoperinghe, ancien de chez Total qui se définit comme « converti de la deuxième heure » au développement durable, peu importe la provenance de la matière première si sa production et son transport sont les plus décarbonés possible.
Sur le plan environnemental, mieux vaut un bois massif produit en Asie que de l’aggloméré fabriqué en Europe. « Nous n’en n’avons pas toujours conscience dans nos microcosmes verts, mais parmi les critères de choix de nos clients, la durabilité arrive en troisième position derrière le style et le prix. Finalement peu importe la motivation de l’achat tant que le consommateur opte pour un meuble durable. »
Le dirigeant se dit par ailleurs révolté par le marketing vert outrancier pratiqué par certaines entreprises. « Chez Tikamoon nous étions verts sans le faire savoir, mais cette vague de greenwashing nous a conduits à faire notre green coming out et à publier nos données. Au quotidien, je passe 20 % de mon temps avec notre directeur de la RSE. »
Après avoir assis sa notoriété sur le Vieux Continent, la PME nordiste entend aujourd’hui relever de nouveaux défis à l’international. Elle se prépare actuellement à franchir l’Atlantique et à conquérir les États-Unis où Arnaud Vanpoperinghe a débuté sa carrière chez Total, à Houston et Boston. « Nous sommes dans la phase exploratoire avec une étude de marché sur les États-Unis où nous pensons aller via un partenaire d’ici un an. Nos deux grands sujets ce sont les entrepôts sur place et la réorganisation des flux logistiques. C’est un marché difficile mais plein d’opportunités : l’activité de l’e-commerce dans les grandes villes de l’est du pays équivaut à celle de l’ensemble des pays européens. »
Tikamoon espère y exporter sa conception du mobilier qui, pour le dirigeant, revient à proposer « des produits conçus pour durer, un peu comme les meubles en bois massif de nos grands-parents ».
Sophie Creusillet