La Maison Blanche a proposé, le 13 septembre, de réformer le régime des exemptions douanières bénéficiant aux importations de faible valeur, emboitant le pas à la Commission européenne qui planche sur un projet similaire depuis l’an dernier. Objectif : endiguer les flux massifs d’importation de colis de petits montants, dont certains masquent des trafics de produits frauduleux ou illégaux, notamment en provenance de Chine.
Dans l’Union européenne (UE), le seuil de valeur en dessous duquel une importation est actuellement exemptée de droit de douane est fixé à 150 euros. Aux États-Unis, c’est 800 dollars (environ 720 euros). Ces règles de minimis, qui visaient initialement à fluidifier les échanges, ont fait le bonheur des e-commerçants spécialisés dans les articles de grande consommation et la « fast fashion » (mode rapide) qu’ils livrent sans intermédiaire depuis l’usine du fabricant à l’étranger aux consommateurs américains ou européens.
Dans le viseur des autorités américaines et européennes, en premier lieu les grands acteurs chinois du e-commerce comme AliExpress, Temu ou Shein, qui permettent à des usines chinoises d’expédier directement par avion, depuis la Chine, des articles à bas prix de toute sorte -textile, chaussures, accessoires, jouets, objets divers et variés- commandés par des citoyens américains ou européens via ces plateformes. Des trafics illicites se sont aussi engouffrés dans la brèche : contrefaçons de jouets ou de médicaments, voire produits dangereux et drogues telles que le Fentanyl, devenu un fléau aux États-Unis.
L’essor fulgurant de Shein et Temu
Shein, le roi de la fast fashion, a vu son chiffre d’affaires exploser depuis 2019, passant de 2,5 milliards de dollars à 36,7 Md USD en 2023 et 48,2 Md USD estimés en 2024.
Quant à Temu, dont le catalogue s’étend à une gamme diversifiée d’articles pour les ménages, à la façon d’un bazar, malgré sa création récente, en 2022, il affiche déjà un chiffre d’affaires étonnant, attendu à 29 Md USD en 2024.
Source : ECDB.
1 milliard de colis par an aux États-Unis, 2,3 milliards dans l’UE
Les chiffres parlent d’eux-même. D’après le communiqué de la Maison Blanche, au cours des dix dernières années, le nombre d’expéditions entrant aux États-Unis en vertu de « l’exemption de minimis » a quasiment été multiplié par dix, de 140 millions par an à plus d’un milliard par an !
Dans l’UE, dont le seuil est moins élevé, 2,3 milliards d’articles en dessous du seuil de 150 euros ont été importés en 2023, selon des chiffres de la Commission cités par le Financial Times. Et les importations liées au commerce électronique ont plus que doublé d’une année sur l’autre, atteignant 350 millions d’articles rien qu’en avril dernier.
Depuis l’an dernier, la Commission planche sur une réforme visant à supprimer purement et simplement ce seuil de 150 euros. Elle devrait figurer à l’agenda de la nouvelle Commission, qui souhaite en accélérer la mise en place. Elle pourra notamment compter sur l’Allemagne, dont le vice-chancelier et ministre fédéral de l’Economie, l’écologiste Rober Habeck, reprend totalement à son compte cette idée dans un « Plan d’action pour le commerce électronique » qui vise à réguler les flux du e-commerce provenant de pays tiers et cite nommément Temu et Shein. En plus de l’abolition de l’exemption, ce plan propose de renforcer la surveillance du marché et les responsabilités douanières, ainsi que de procéder à des achats tests et de punir sévèrement toute violation détectée.
Quant à l’administration Biden, invoquant la nécessité de lutter contre l’utilisation abusive de la règle d’exemptions de minimis et faire « respecter nos lois et protéger les consommateurs, les travailleurs et les entreprises américains », elle vient donc de rendre public deux propositions de réforme qu’elle soumettra au Congrès :
–un avis de projet de réglementation qui exclurait de l’exemption de minimis toutes les expéditions contenant des produits couverts par des droits de douane imposés en vertu des articles 201 ou 301 de la Loi sur le commerce de 1974, ou l’article 232 de la loi sur l’expansion du commerce de 1962. D’après le communiqué de la Maison blanche, les droits de douane de l’article 301 couvrent actuellement environ 40 % des importations américaines, y compris 70 % des importations de textiles et de vêtements en provenance de Chine. Autrement dit, cela mettrait fin aux importations de masse de petits colis liés à la « fast fashion ».
-un avis de projet de réglementation proposant de renforcer les exigences de collecte d’informations afin de promouvoir « une plus grande visibilité des expéditions de minimis » et permettre un meilleur ciblage des contrôles douaniers. En particulier, seraient exigées des données supplémentaires précises, y compris le numéro de classement tarifaire à 10 chiffres et la personne qui demande l’exemption de minimis. Par ailleurs, les modifications réglementaires proposées préciseront également qui est admissible à l’exemption administrative et exigeront que les déposants identifient la personne au nom de laquelle l’exemption est demandée.
Des deux côtés de l’Atlantique, l’un des enjeux sera bien évidemment la mise en œuvre de ces réformes, notamment la capacité des administrations douanières à les mettre en œuvre concrètement, même si la digitalisation des formalités et systèmes douaniers a permis des progrès en terme de ciblage des contrôles. Mais l’âge d’or de l’e-commerce international direct au consommateur, s’il a encore de beaux jours devant lui à l’intérieur du marché unique européen ou à l’intérieur des frontières américaines, est appelé à subir un coup d’arrêt.
C.G