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Trois questions à Thierry Apoteker, P-dg du cabinet de consultants TAC

Le Moci. La mondialisation a été pendant longtemps la loi commune. N’est-ce pas un paradoxe que la multiplication aujourd’hui des accords de commerce bilatéraux ou régionaux ?
 
Thierry Apoteker. C’est un paradoxe, mais n’oublions quand même pas que le cycle de négociations commerciales, dit de Doha, à l’OMC, est entré dans sa onzième année, ce qui est un record de durée pour des négociations multilatérales. 

Il faut se rappeler, d’abord, que Doha a été lancé dans une panique globale, après les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Les négociateurs ont voulu montrer à l’époque que le monde continuait à s’intégrer, mais, en fait, l’agenda qu’ils avaient fixé était très difficile à tenir. Tous s’accordaient sur l’urgence, mais, les objectifs étant ambitieux, les négociations sont vite devenues très complexes, les pays développés – Japon, États-Unis et Europe – présentant des résistances fortes à l’ouverture de leurs marchés agricoles et les pays en développement refusant un abaissement généralisé de leurs barrières. 

Ensuite, un nouvel acteur est apparu, la Chine, encore un nain au moment de l’avènement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et aujourd’hui puissance majeure. C’est pourquoi nous n’arrivons plus à définir de règles communes. Du coup, certains pays et régions, comme Singapour ou l’Union européenne (UE), ont décidé d’approfondir le processus d’intégration, en signant des accords plus restreints géographiquement, et de développer aussi des relations particulières avec la Chine. 

Enfin, il y a une vraie logique macro-économique à des accords bilatéraux ou régionaux. L’éclatement des chaînes de production arrive à un plafonnement. Ce n’est plus seulement le coût du transport, de la logistique qui compte. Le juste-à-temps est de plus en plus important, donc la proximité géographique. Aujourd’hui, le prix final d’un produit est plus élevé que le coût de la production manufacturière, car les entreprises y ajoutent la recherche et le design. 

Le Moci. Tous ces accords se ressemblent-ils ? Y intègre-t-on d’autres volets que le commerce, comme l’investissement par exemple ? 


Thierry Apoteker. Il y a à la fois une prolifération d’accords et différents types d’accords. Dans les accords commerciaux approfondis, l’investissement est un sujet important. Ainsi, dans le cadre des négociations entre Singapour et l’UE, l’enjeu n’est pas le tarif douanier, mais les barrières non tarifaires, les standards, les règles d’investissement et d’implantation. Ce type de négociation montre bien que des pays veulent aller plus loin. Quand l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) s’associe à la Chine, il ne s’agit, en revanche, que d’abaisser les droits de douane qui entravent leurs échanges commerciaux. 

Le Moci. Comment les entreprises françaises doivent-elles aborder ces nouveaux changements dans la mondialisation ? 

Thierry Apoteker. Les entreprises doivent mesurer les enjeux et les risques et mettre en place des stratégies adaptées. Le monde est en transformation rapide. C’est un défi. Elles doivent être vigilantes. Finalement, tant que c’était un processus multilatéral, ce n’était pas très difficile de s’ajuster. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. Avec la multiplication et la diversité des accords, une entreprise française peut, par exemple, découvrir un jour que les produits d’un de ses concurrents, originaire d’un État lointain, entrent à taux zéro dans le pays asiatique où il est implanté. Il faut donc s’astreindre à une veille permanente, mais aussi réfléchir aux bénéfices qu’il est possible de tirer de la constitution de blocs commerciaux. Dans l’ASEAN, on voit de grandes entreprises se restructurer, chercher le meilleur point d’ancrage pour s’implanter, pour investir et, de là, rayonner dans toute la région. Elles cherchent à maximiser les économies d’échelle en profitant des nouvelles ouvertures commerciales. 

Propos recueillis par F. P.

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