Avec une centaine de ports, plus de 550 km de voies navigables et l’entrée en service du futur canal Seine-Nord Europe en 2017, l’axe Seine pourrait devenir la première voie d’acheminement des flux internationaux en Europe. Reste à construire de nouveaux terminaux, pour accélérer le report modal. À la fin de ce dossier, Le Moci vous donne toutes les informations pratiques pour faire transiter vos marchandises par le fleuve.
L’axe Seine est aujourd’hui la troisième porte d’entrée pour les flux internationaux de l’Union européenne, après Rotterdam et Anvers. Ces derniers pratiquent un report modal massif de leurs flux sur leurs deux grands fleuves, le Rhin et l’Escaut. Ce qui n’est pas le cas en France. À ce jour, entre le Havre et Paris, environ 130 millions de tonnes de marchandises transitent annuellement, tous trafics et tous modes de transport confondus, import et export additionnés.
« Sur ces 130 millions de tonnes, 20 à 30 millions de tonnes sont traités par voie fluviale. Si cet axe est la première voie de passage pour le commerce international de la France, paradoxalement, le mode fluvial ne prend en charge qu’un pourcentage minime des flux. Le mode prédominant est le camion (plus de 70 % des trafics). Et il le restera encore un certain temps. Quant au ferroviaire, il capte entre 10 et 15 % des tonnages », admet Martin Butruille, directeur des trafics du grand port de Rouen. Voilà donc un fleuve, la Seine, qui ne draine pas le trafic qui devrait être le sien, puisque l’essentiel des flux prennent la route.
Pourtant, le transport fluvial de marchandises a renoué avec une croissance régulière depuis quinze ans (au rythme de +5 à +10 % par an) et la profession s’est considérablement modernisée. Mais d’énormes progrès restent à faire pour adapter l’offre. Le coût de transport en mode fluvial jusqu’à Paris est trop élevé, très supérieur à 100 euros le conteneur. L’OCDE a d’ailleurs publié en septembre 2011 un jugement très critique sur le manque de compétitivité de la Seine et de ses terminaux, stigmatisant les pertes de trafics, tout en soulignant ses potentialités. Qu’en est-il ? Que vaut le dispositif existant et que promettent les projets et chantiers à venir ?
Hervé Corned, directeur commercial du port de Rouen, répond pour sa part que « le rapport de l’OCDE se réfère en fait à la période récente de paralysie liée aux mouvements sociaux. Il ne tient pas compte de ce que la réforme portuaire, enfin adoptée au printemps dernier, ouvre comme possibilités. Les atouts du Havre sont, aujourd’hui, le terminal en eau profonde de Port 2000, qui permet de s’affranchir de la marée, une importante réserve foncière et une offre douanière compétitive. Trois atouts que n’ont aucun des grands ports du Benelux ».
Quoi qu’il en soit, le dispositif de la Seine repose essentiellement sur trois grands ports : Le Havre, la porte de l’international, Rouen (Seine-Maritime) et Gennevilliers (Hauts-de-Seine), clés de répartition vers l’arrière-pays. Et l’Île-de-France capte aujourd’hui 50 % du trafic fluvial national. Le Moci s’interroge aujourd’hui sur la capacité du dispositif logistique fluvial de cet axe à regagner des parts de marché, particulièrement sur les flux internationaux de conteneurs, perdus au profit des grands ports d’Europe du Nord (Benelux, Allemagne).
Le port du Havre a effectivement vu son trafic conteneur chuter depuis 2007 : soit 2,35 millions de tonnes en 2010, contre 2,65 millions en 2007. Plus ennuyeux, la plupart de ces conteneurs se retrouvent sur des camions, car l’infrastructure actuelle de Port 2000 ne permet pas encore un report de trafic sur le fleuve. Cependant un projet de terminal fluvial au Havre a été lancé. Il devrait être opérationnel à compter de 2014.
La situation à Rouen n’est pas meilleure. « Rouen est d’abord un grand port maritime. En dehors de ses grandes spécialités des vracs liquides et solide, il est un port de marchandises diverses. Il est le port par excellence des trafics avec le continent africain, les Antilles, la Guyane, le Maghreb, destinations qui représentent une part notable de notre commerce international », explique Philippe Dehays, président de l’Union portuaire rouennaise (UPR), qui rassemble toutes les entreprises utilisatrices du port.
Mais le report modal sur le fluvial y est insuffisant (voir Questions à… Philippe Dehays). Le trafic conteneur à Rouen marque aussi le pas : 1,35 million de tonnes traités en 2005 et seulement 1,07 million en 2010. Les neuf premiers mois de 2011 ne permettent pas d’espérer une accélération de ce trafic (742 829 tonnes de janvier à septembre). Or cette progression du trafic conteneur est déterminante pour créer de nouveaux terminaux et pour inciter les grandes entreprises du secteur de la distribution et des biens de grande consommation à inclure le fleuve dans leur dispositif logistique.
Aujourd’hui, c’est le port de Gennevilliers qui concentre l’essentiel du trafic conteneur traité sur la Seine, soit plus de 130 000 boîtes par an. C’est aussi le premier port fluvial français avec près de 21 millions de tonnes traitées en 2010 et, le deuxième européen, après le port allemand de Duisbourg (50 millions de tonnes). « En 2011, on devrait passer à un trafic total de 150 000 boîtes », prédit Hervé Martel, directeur de Ports de Paris. Mais nous sommes bien loin des espérances formulées en 2010. En effet, Hervé Martel déclarait, lors du colloque organisé par l’association TDIE, espérer pour Ports de Paris atteindre 240 000 conteneurs en 2012 et 600 000 en 2020.
Autre espoir déçu, celui du transport par barge des voitures neuves (voir Témoignage d’Antoine Bedier, Gefco).
L’industrie automobile avait un temps misé sur l’abandon complet des camions porte-voitures dans Paris dès 2011. Nous y sommes, et même si le trafic Ro-Ro (Roll on-Roll off, destiné au matériel roulant) progresse au Havre, le report modal sur la barge demeure marginal.
Reste un dispositif qui fonctionne bien sur le fleuve, c’est la douane. Pour un importateur qui passe par la Seine, le retour des documents douaniers est beaucoup plus rapide (quelques heures) qu’à Anvers ou Zeebrugge, qui font attendre trois semaines. Grâce au logiciel portuaire AP+ déployé sur les grands terminaux de la Seine et aux efforts des douanes. « Nous souhaitons adapter les procédures aux besoins du commerce licite, mais aussi faire du sur-mesure pour des chargeurs ayant des contraintes spécifiques, la grande distribution par exemple ou certaines PME/PMI », explique Eric Dupont-Dutilloy, directeur des douanes du Havre.
La Seine suscite cependant toute une série de projets pour améliorer son trafic (voir « Les projets en cours ou à l’étude »), dont le plus emblématique sera le creusement de canal Seine-Nord Europe, un chantier acté par le président de la République en mars 2011 et qui doit être livré en 2017. Au Havre, Hervé Corned espère que « le canal Seine-Nord Europe va permettre d’étendre considérablement l’hinterland du mode fluvial, ce jusqu’à Lille ».
Philippe Dehays tient par ailleurs à souligner que « Rouen a déjà engagé de gros investissements avec un quai capable de recevoir de grands navires, une zone logistique en bord à quai : la zone Rouen vallée de la Seine, où sont présents la plupart des grands commissionnaires de transport, logisticiens. Il ne nous faut pas plus de 5 minutes pour rentrer un conteneur de groupage de nos entrepôts au terminal portuaire », plaide-t-il. Martin Butruille, directeur des trafics, ajoute : « Le printemps dernier, le port de Rouen a rallongé de 250 mètres son quai des Moulineaux. Un camion qui arrive à vide sur ce terminal en ressort avec un conteneur plein en moins de vingt minutes. Et, d’ici à 2015, nous pourrons, avec l’approfondissement du chenal, décharger des vraquiers de 60 000 tonnes. » L’avenir du fleuve repose surtout sur l’empilement de contraintes qui est en train de pleuvoir sur le transport routier, avec des projets de normes antipollution plus sévères, de fiscalité alourdie, de péages urbains.
Selon Hervé Martel, « les conditions sont favorables à l’essor du fluvial. Nous avons cinq grands armateurs fluviaux privés en concurrence. Et il y a un marché. Même si, aujourd’hui, les coûts de la barge et du camion sont comparables, ce ne sera plus le cas dans dix ans. A cette date, il sera avantageux, voire incontournable d’intégrer un tronçon fluvial dans son dispositif logistique à l’import comme à l’export ».
Gilles Naudy