« Tant que l’économie sera orientée à la baisse, les taux ne remonteront pas »
Le Moci. Pourquoi les prix du fret sont ils repartis à la hausse en début d’année alors que les volumes n’étaient pas au rendez-vous ?
Pascal Querro. Les tendances sur les prix sont assez prévisibles, les prix étant la résultante du taux de remplissage des navires et de la situation de concurrence. Jusqu’à 2011, les prix étaient très fortement orientés à la baisse car il y avait des surcapacités et une concurrence très forte pour prendre des parts de marché. Les compagnies ont enregistré plusieurs années de pertes très importantes. Les résultats financiers catastrophiques de 2011 ont contraint les compagnies à envisager des mesures pour restaurer leur rentabilité. Ces mesures ont consisté à baisser les capacités sur le segment Asie-Europe en fusionnant des services (Asie/Europe/Afrique) et en exploitant des services communs. Toutes les compagnies ont communiqué largement auprès des clients sur la saturation des navires et un « roll over » de plusieurs semaines. Certains armateurs ont même stoppé les réservations sur plusieurs semaines. Mais certains experts font remarquer que les annonces des compagnies au premier semestre étaient contradictoires avec les chiffres présentés par les manutentionnaires portuaires des grands ports belges.
Le Moci. Quels ont été les évolutions de prix au premier semestre 2012 et quels sont vos pronostics ?
P. Q. Les niveaux de prix sont extrêmement différents selon la taille des chargeurs. Les index donnent une idée de la tendance mais ils ne sont pas représentatifs des prix payés par les grands chargeurs. Une chose est sûre : en début d’année les prix ont explosé. La concurrence entre les compagnies ne jouait plus. Toutes restaient sur des niveaux de prix extrêmement proches, même les compagnies les plus agressives se sont alignées sur les prix pratiqués par les leaders. Les compagnies asiatiques, elles, ont préféré se recentrer sur les lignes intra Asie qui sont plus rentables et qui conservent des gisements de croissance. Tous ces événements ont eu pour conséquence de verrouiller le marché. Cette situation est inédite et la conjonction d’une certaine augmentation du flux et de l’atténuation des conditions de concurrence a permis de faire remonter les taux. Il a été aussi extrêmement surprenant de voir que les principaux acteurs qui se livraient une concurrence acharnée encore l’année dernière aient ouvert des services communs en particulier sur l’Asie. La conjonction des retraits de capacité et des demandes de revalorisations unanimes a provoqué une hausse des taux de fret « all in » qui ont augmenté de 75 % entre décembre 2011 et avril 2012 sur la base de tarif FAK. On constatait néanmoins toujours de grandes différences de prix entre petits et gros chargeurs. Les grandes compagnies négociaient le prix de conteneurs de 40 pieds autour de 2000 dollars dans des contrats annuels négociés au cours du 1er trimestre et les importateurs de petite taille aux environs de 3 500 au mois de mai. Les « PSS » (Pick Season Surcharge) présentées à partir de juin ne sont par contre pas passées. Les grands chargeurs ne les ont pas acceptées et on est entré dans une tendance baissière. D’ici à la fin de l’année, malgré les annonces des compagnies, nous pensons que les taux vont continuer à baisser.
Le Moci. Quelles mesures les armements vont-ils mettre en place et celles-ci peuvent elles ré-orienter les taux de fret à la hausse ?
P. Q. Les compagnies ont fait l’an dernier des pertes telles que toutes les mesures comme la réduction des vitesses ou la restitution des navires en affrètement ont déjà été prises. Leur levier majeur est de continuer à adapter les capacités sur ce range à la demande de transport, en réaffectant les navires sur les lignes qui conservent des potentiels de croissance (intra Asie notamment). L’impact sur les chargeurs sera limité car l’économie est en berne en Europe. Le risque est que les compagnies enlèvent trop de bateaux et qu’on se retrouve dans des situations de « roll over » si l’activité économique repart. Mais je pense que, tant que l’économie sera orientée à la baisse, les taux ne remonteront pas. J’en veux pour preuve l’échec des « PSS ». Il n’y a pas de raison pour que les taux de fret repartent à la hausse. Mais on sort d’une période très troublée. Tout le monde aurait intérêt à plus de transparence. Les négociations de prix devraient prendre davantage en compte les conditions de service et les volumes remis aux compagnies. Il faut aller vers une approche plus industrielle et faire en sorte que les prix ne reflètent qu’une chose, le taux de remplissage des bateaux. Les compagnies ne peuvent perdre indéfiniment de l’argent sur les transports qu’elle proposent, faute de quoi il est probable qu’à terme nous assistions à des défaillances d’opérateurs préjudiciables à un marché concurrentiel.
Propos recueillis par Ph.D.