Dans un entretien au Moci, Anne-Marie Idrac (1), présidente de France Logistique, détaille les ambitions de cette nouvelle association et les grands chantiers à mener de concert par les acteurs privés et publics de la filière : transition environnementale, compétitivité réglementaire et fiscale, attractivité des métiers, logistique urbaine, massification des flux et intermodalité.
Le Moci. L’association France Logistique a été lancée officiellement le 8 janvier. Quel est son objet ?
Anne-Marie Idrac. Face à nos puissants concurrents logistiques – Allemagne, Belgique, Pays Bas – l’objet de France Logistique est de s’organiser en Équipe de France… Il ne s’agit pas d’une fédération professionnelle de plus, mais une association réunissant les six fédérations et associations du secteur logistique, en partenariat avec les organisations de clients industriels, agricoles, et du commerce de gros et de détail.
En parallèle, les administrations ont aussi entrepris de se coordonner, sous la double égide du directeur général des Infrastructures, des transports et de la mer, Marc Papinutti, et du directeur général des Entreprises, Thomas Courbe. Ensemble nous nous réunissons mensuellement dans un Comex logistique et rendons compte au Comité interministériel de la logistique.
Cette double coordination privé/public permet à tous les acteurs de monter des programmes d’action au service des entreprises, des territoires et du développement durable.
Le Moci. Quelles sont les grandes thématiques sur lesquelles doivent se pencher en priorité les acteurs ?
A-M. I. Nous avons retenu cinq premiers chapitres d’actions transverses et structurantes. D’abord, la fixation d’un cadre réaliste pour la transition environnementale dans laquelle nous sommes engagés. Ensuite, l’amélioration de la compétitivité réglementaire et fiscale des activités logistiques françaises. N’oublions pas que ces services sont délocalisables.
Troisième enjeu, l’évolution des compétences et l’attractivité des métiers, qui peinent malheureusement à recruter malgré de très nombreuses opportunités d’emplois. Quatrième thème, rationaliser les politiques de logistique urbaine par une meilleure connaissance des flux et la promotion des bonnes pratiques. Enfin, les programmes d’infrastructures : notre approche est que ce sont les besoins de massification émanant des clients qui doivent déterminer les choix d’investissements – par exemple des plateformes intermodales.
Par ailleurs, à la différence de la mobilité des personnes, celle des produits reste faible en travaux académiques. C’est pourquoi nous allons développer des programmes de recherche et d’étude avec des laboratoires publics et privés. En mars, sera mis en place un Conseil scientifique de France Logistique. À court terme, le dossier le plus avancé est celui de la fluidité du passage aux frontières via un point contact unique par port. Nous avons de très bons contacts avec les Douanes.
Le Moci. Lors du récent salon Wine Paris, un producteur de muscadet expliquait que ses livraisons vers les États-Unis passaient dorénavant par Anvers en raison des grèves au Havre. Quelle est votre réaction ?
A-M. I. Je suis très choquée par les blocages des ports. France Logistique est intervenue avec tous les professionnels auprès des pouvoirs publics pour les faire lever, hélas sans succès. Nous demandons maintenant des compensations pour les opérateurs affectés. Les blocages sont très pénalisants pour les exportateurs et les importateurs, et, bien sûr, pour l’attractivité de la France. Pour promouvoir l’image de la filière, je pense travailler avec Business France.
Le Moci. À vous entendre, les pouvoirs publics ne sont pas toujours à l’écoute. Que leur demandez-vous prioritairement ?
A-M. I. Il y a depuis des années beaucoup de travaux menés par les pouvoirs publics conjointement avec les professions. Le souci est que tout cela est resté très dispersé, sans vision d’ensemble. Beaucoup de projets n’ont pas abouti, des actions ponctuelles n’ont pas été inscrites dans la durée.
La bonne nouvelle est que le gouvernement donne maintenant une réelle impulsion politique et des signes crédibles d’une prise en considération de l’importance stratégique d’un secteur qui représente 10 à 12 % du produit intérieur brut. Il est essentiel pour notre commerce extérieur, l’efficacité des chaînes de production, la réindustrialisation de nos territoires, la distribution et les services de plus en plus digitaux aux consommateurs finaux, sans parler de la transition énergétique.
Globalement, ce dont la filière a besoin pour mener à bien les chantiers prioritaires que j’ai évoqués, c’est de reconnaissance de la part des pouvoirs publics nationaux, mais aussi locaux – je pense aux livraisons – et d’un redressement d’image dans la population. Ensuite, elle demande davantage de visibilité sur les évolutions des politiques publiques pour pouvoir poursuivre ses modernisations : par exemple en matière de fiscalité sur les entrepôts, ou encore de transition énergétique. À cet égard, le transport routier va signer un contrat de transition énergétique sur trois ans ; mais au-delà, comment, avec quelles technologies, va-t-on pouvoir contribuer aux objectifs européens et nationaux de décarbonation à l’horizon 2050 alors que l’essentiel du transport restera très majoritairement routier ?
Le Moci. Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?
A-M. I. Il y a une configuration des planètes très positive. Au départ, un excellent rapport (2) en septembre 2019 d’Éric Hémar (3) et de Patrick Daher (4) a permis une prise de conscience du décalage avec nos principaux concurrents : selon la Banque mondiale, la France n’est qu’au 17e rang mondial en termes d’efficacité de ses services logistiques. Il en est résulté une volonté partagée d’agir efficacement, avec comme objectif d’ensemble la compétitivité de la filière. Je suis heureuse de constater déjà une vraie capacité à travailler en commun entre privés et avec les administrations. Je sais pouvoir compter sur l’implication personnelle du Premier ministre, havrais, d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des finances, et de Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État aux Transports, et de tout le gouvernement. Édouard Philippe a indiqué qu’il présidera lui-même le Comité interministériel de la logistique. Sa date n’est pas encore fixée.
Propos recueillis par François Pargny
(1) Anne-Marie Idrac fut notamment secrétaire d’État aux Transports (1995-1997) et au Commerce extérieur (2008-2010). Entre ces temps, elle présida aux destinées de la RATP (2002-2006) et de la SNCF (2006 à 2008). (2) Rapport « Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable », 16 septembre 2019. (3) Eric Hémar, président d’ID Logistics et de la fédération professionnelle du transport et la logistique (TLF). (4) Patrick Daher, président du Conseil d’administration de Daher et du Groupe des équipements aéronautiques et de défense (GEAD) du Groupement des industries françaises aéronautique et spatiales (Gifas).