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Changement climatique : le secteur redresse la barre face à l’urgence

Les flottes de navires se renouvellent dans une démarche de développement durable et soumises aux contraintes réglementaires. Est-ce pour autant suffisant face à l’urgence climatique ?

 

Pollution et réchauffement climatique sont de tristes réalités, épées de Damoclès sur l’avenir de nos enfants. À défaut de cingler vers un monde meilleur, le transport maritime a fini de louvoyer et tente déjà d’éviter le pire.

Le transport maritime est responsable d’environ 3 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Les objectifs de l’Organisation maritime internationale (OMI) visent à réduire le volume total des émissions annuelles du secteur d’au moins 50 % en 2050 par rapport à 2008.

En outre, depuis le 1er janvier 2020, la limite de teneur en soufre des carburants utilisé par les navires a été divisée par sept, passant de 3,5 % à 0,5 % en vertu de la règle de l’annexe VI de la convention Marpol, appelée également « OMI 2020 ». Cette réduction considérable des émissions d’oxydes de soufre (SOx) doit avoir des conséquences positives sur l’environnement et pour la santé, en particulier celle des habitants des zones côtières et des ports.

 

Plusieurs solutions
Les compagnies maritimes couplent souvent plusieurs solutions pour respecter cette nouvelle réglementation.
Les navires peuvent être équipés de moteurs qui utilisent des combustibles ayant une teneur en soufre très faible, voire nulle, comme le gaz naturel liquéfié (GNL) ou les biocarburants.

D’autres navires se sont dotés de dispositifs d’épuration des gaz d’échappement, également appelés « scrubbers » ou « épurateurs », qui éliminent les oxydes de soufre des gaz d’échappement émis par les moteurs des navires qui continuent d’utiliser du fuel-oil lourd.

Toutefois, les scrubbers sont contestés. Certains États membres de l’OMI ont notamment fait part de préoccupations en matière d’environnement en lien avec le rejet des eaux de lavage des systèmes d’épuration des gaz d’échappement.

 

La transition soufre bien engagée
L’OMI déclare que la transition vers la limite de 0,50 % se fait de façon plutôt harmonieuse. Les prix des combustibles conformes, soit les fuel-oils à très faible teneur en soufre (VLSFO) et le gas-oil marin, ont initialement monté rapidement, mais semblent maintenant se stabiliser. Ce qui n’enlève pas les incertitudes.

Camille Contamine, déléguée aux affaires maritimes de TLF Overseas, souligne : « Le verdissement des flottes maritimes et l’application de la réglementation de l’OMI Low Sulphur ont un impact non négligeable sur les tarifs, avec un manque de lisibilité et de prévisibilité sur les stratégies et les méthodes de calcul des amortissements et des hausses de prix des compagnies maritimes. » Denis Choumert, président de l’Association des Utilisateurs de Fret (AUTF), commente : « Il faut aller vite sur le verdissement du transport maritime. Toutefois, les formules de prix ne sont déjà pas très transparentes, nous attendons de voir ce qui se passe en termes de hausses de coûts liés au verdissement des flottes. »

 

La Méditerranée future zone ECA ?
À noter, une limite plus stricte de teneur en soufre de 0,10 % était déjà en vigueur dans quatre zones de contrôle des émissions (ECA) désignées par l’OMI et continue de s’appliquer : mer Baltique, mer du Nord, Amérique du Nord (zones côtières désignées au large des États-Unis et du Canada), zone maritime caraïbe des États-Unis (eaux entourant Porto Rico et les Îles Vierges américaines).

Des pays riverains de la mer Méditerranée se sont prononcés pour que la Méditerranée devienne une zone ECA, qui pourrait voir le jour en 2024.

 

CMA CGM parie sur le GNL
L’armateur français CMA CGM, qui dispose d’une flotte de 506 navires, a pour stratégie d’inaugurer de nouveaux navires propulsés au GNL, et d’utiliser des fiouls respectant les teneurs en soufre de 0,5 ou 0,1 %.

Le premier navire, le Jacques Saadé, de la nouvelle flotte sous pavillon français de neuf porte-conteneurs de 23 000 Équivalent vingt pieds (EVP) au GNL a été mis à l’eau en septembre 2019. De 400 mètres de long sur 61 mètres de large, son hydrodynamisme est également amélioré pour une meilleure performance environnementale.

Total a mis à l’eau en novembre 2019 son premier navire avitailleur GNL destiné à approvisionner les navires de 23 000 EVP de CMA CGM à Rotterdam. Les deux groupes ont aussi signé un accord portant sur la fourniture annuelle d’environ 270 000 tonnes par an de GNL sur dix ans, afin d’approvisionner à Marseille-Fos les futurs porte-conteneurs de 15 000 EVP de la compagnie qui seront opérés entre l’Asie et la Méditerranée, dont la livraison est prévue à partir de 2021. L’accord comporte un navire avitailleur au port de Marseille-Fos et un dispositif complémentaire à Singapour.

Le GNL permet une réduction des émissions d’oxydes de soufre, de particules fines, d’oxydes d’azote, et de GES ; l’indice d’efficacité énergétique (EEDI), qui mesure l’empreinte environnementale d’un navire, s’améliore ainsi de 20 % par rapport à un navire classique.

D’après Rodolphe Saadé, P-dg de CMA CGM, « le choix du GNL pour propulser nos navires nécessite l’adaptation complète de toute la chaîne d’approvisionnement énergétique et des infrastructures. En choisissant Marseille-Fos comme port d’avitaillement, nous engageons les ports conteneurisés français dans cette transition énergétique majeure. »

Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total, précise : « ce nouveau contrat avec CMA CGM permet le lancement d’une chaîne logistique dédiée au sein du port de Marseille-Fos. »

 

Les solutions de biocarburants
L’armateur danois Maersk étudie de son côté les nouveaux types de carburants qui permettent de réduire les émissions, et les mieux positionnés selon lui sont les fuels à base d’alcool, de biométhane et d’ammoniac. Maersk a pour objectif des opérations à zéro émission nette de CO2 d’ici 2050.

« La seule façon possible de réaliser le transport zéro carbone est de se transformer complètement en utilisant de nouveaux carburants et en opérant des chaînes d’approvisionnement neutres en carbone », explique Søren Toft, directeur des opérations de Maersk. En raison de la durée de vie de 20 à 25 ans d’un navire, la compagnie estime donc devoir disposer de navires neutres en carbone commercialement viables d’ici 2030.

Camille Contamine analyse : « Ce qui est fait actuellement reste insuffisant pour remplir l’objectif de l’OMI de réduire de moitié les gaz à effet de serre émis par le transport maritime d’ici 2050. Il nécessite de mettre en place des stratégies et des actions concrètes de la part de tous les acteurs de la chaîne, y compris les chargeurs ».

De son côté, Olaf Merk, expert au Forum international des transports de l’OCDE, commente : « nous assistons à des initiatives prometteuses, mais il est clair qu’elles doivent être étendues, ce qui pourrait être réalisé avec des réglementations ambitieuses et une tarification du carbone ».

 

Des solutions innovantes
L’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar) a publié en février 2020 une note de synthèse sur les solutions innovantes pour les navires. Selon l’institut, les solutions comme les biocarburants, le méthanol, l’ammoniac, l’hydrogène, l’électrique, sous réserve qu’ils soient produits à partir de ressources durables et/ou acceptables, sont encore embryonnaires.

Le bilan environnemental d’un biocarburant doit prendre en compte chaque étape de production de la culture à la fabrication et enfin à l’utilisation finale. L’utilisation du méthanol paraît adaptée pour le transport maritime de courte distance. Aujourd’hui, seul le navire roulier mixte de la compagnie suédoise Stena, Stena Germanica utilise du méthanol, majoritairement issu du gaz naturel.

La propulsion électrique est envisagée dans le cadre d’une motorisation hybride. De nombreuses technologies fondées sur la propulsion par le vent sont par ailleurs testées par différents armateurs.

L’hydrogène est trois fois plus énergétique que le pétrole, et servirait à la fois de combustible pour la propulsion du navire et d’électricité grâce à une pile à hydrogène. Mais le coût, les émissions de CO2 pour produire de l’hydrogène industriel et les problèmes de stockage condamnent cette technologie selon l’Isemar, sauf à produire de l’hydrogène vert, via l’électrolyse de l’eau par des énergies renouvelables, ce qui est à l’étude.

 

Soutenir la R&D zéro carbone
Selon l’Isemar, la solution résiderait dans un premier temps, dans un mix énergétique entre énergies vertes et fossiles. Cette transition écologique du transport maritime doit s’accompagner de mesures dissuasives, sur l’utilisation des énergies fossiles, avec l’application du principe « pollueur-payeur », via une réglementation et une fiscalité plus draconiennes.

En outre, les principales organisations internationales professionnelles maritimes se sont prononcées pour la création d’un fonds issu directement de l’industrie maritime pour soutenir la R&D (recherche et développement) dans la voie du zéro carbone. Ce fonds pourrait représenter 5 milliards de dollars (4,63 milliards d’euros) sur 10 ans, grâce à une cotisation de 2 dollars (1,85 euro) prélevée sur chaque tonne de carburant consommée par les compagnies maritimes. Cette nouvelle taxation sera soumise aux membres de l’OMI en avril prochain, en vue d’une mise en œuvre « d’ici à 2023 ».

Enfin, la baisse de la vitesse de certains navires, proposition qu’a faite le Président de la République Emmanuel Macron en août 2019 lors de G7 de Biarritz, est à l’étude. Ce qui est certain, contre vents et marées – inaction, manque de lucidité, déni des climato-sceptiques, actions trop timides – il est temps de radicalement virer de bord.

Ch. Calais

 

Optimiser les flux, une solution verte

La mutualisation des conteneurs entre armateurs pour éviter des retours à vide, grâce au suivi des conteneurs intelligents est une solution viable pour verdir le transport maritime, selon l’Association des Utilisateurs de Fret (AUTF). Dans cette optique, chaque conteneur devra être tracé et aura un statut vide/non vide, réservé ou non. Au-delà de la traçabilité des conteneurs, ceci nécessite de standardiser la codification des entrepôts et des dépôts dans les terminaux et l’échange d’informations entre les acteurs.
Créée en avril 2019, la Digital Conteneur Shipping Association (DCSA) œuvre à la standardisation sécurisée des messages afin de favoriser l’interopérabilité. Elle a été fondée par A.P.Moller – Maersk, CMA CGM, Hapag-Lloyd, MSC et ONE. Evergreen Line, Hyundai Merchant Marine, Yang Ming Marine Transport Corporation et ZIM Integrated Shipping Services les ont rejoints peu après. L’organisation à but non lucratif a commencé à publier des standards de traçabilité des conteneurs en janvier 2020.

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