Les ports français adoptent de nouvelles versions de leurs Cargo Community Systems (CCS) et s’inscrivent dans la tendance du « smart port », le port intelligent. Les innovations technologiques sont au rendez-vous.
La digitalisation est aujourd’hui un élément clef de la compétitivité portuaire sur le plan international. Parmi les systèmes d’information nécessaires au bon fonctionnement d’un port, les Cargo Community Systems (CCS), systèmes pour la gestion des flux de marchandises par la communauté portuaire, se mettent au goût du jour.
À l’origine, en 2005, il y eut le lancement du CCS AP+, un système développé conjointement par l’entreprise marseillaise Marseille Gyptis International (MGI) et la société havraise Soget, utilisé dans les ports français. Puis chacun vogua vers un nouvel horizon, développant chacun de son côté récemment une nouvelle génération de CCS : Ci5 pour MGI, S)ONE pour Soget.
Si le déploiement de Ci5 de MGI se fait port par port en « big bang » depuis octobre 2018, date du lancement à Marseille-Fos, il se fait module par module depuis mai 2018 pour S)ONE de Soget sur les ports de l’axe Seine. La suite du déploiement de S)ONE sur les ports de l’Axe Seine est prévu pour 2019. Ensuite, ce sera au tour d’autres ports français, Calais, Caen, Nantes La Rochelle.
Antoine Sébastien, délégué aux affaires maritimes du syndicat professionnel TLF Overseas, souhaite plus de clarté sur les dates de déploiement de S)ONE : « Les opérateurs portuaires sont dans le flou, regrette-t-il. De plus, les nouveaux logiciels des deux éditeurs ont généré une hausse des tarifs. »
Une arme anti-congestion selon Hervé Cornède
Pour sa part, Hervé Cornède, directeur général de Soget, qui revendique 300 clients au Havre, met en avant les avantages de son nouvel outil : « L’ennemi n°1 des ports, c’est la congestion. Plus il y a de volume à traiter en même temps, notamment du fait des méga navires, plus il y a de temps d’attente pour voir sa marchandise traitée » explique-t-il.
« S)ONE est une arme anti-congestion grâce à l’anticipation qu’il fournit. C’est un outil prédictif qui permet de traiter des flux multimodaux avec l’évacuation de la marchandise dans l’hinterland. C’est ainsi un système plus ouvert sur la chaîne logistique que sur le port uniquement ».
Le nouveau CCS est également flexible. Le dirigeant en décrit toutes les caractéristiques : « C’est à la fois un outil modulaire pour améliorer la gestion des processus portuaires et un outil d’aide à la décision. Partenaire Gold Microsoft, Soget a l’opportunité de déployer ses solutions sur les dernières technologies en matière d’intelligence artificielle et de big data. S)ONE est aussi une plate-forme collaborative tout en étant individualisée par métier. Nous avons par exemple bâti, avec nos clients roro, des indicateurs de performance dédiés à leur processus. Notre système permet de mesurer la performance avec une granularité de pilotage très fine sur un trafic identifié, de se comparer à une moyenne sur un type de trafic. Il permet de suivre son trafic finement sur son smartphone ou sa tablette, et d’être alerté en cas de retard. »
Plus de 300 personnes ont déjà été formées au CCS. C’est un environnement plus intuitif qu’AP+ et les nouveaux collaborateurs peuvent s’autoformer grâce à des tutoriels.
À Marseille, 4510 utilisateurs
Plus au sud de l’hexagone, la mise en production du nouveau CCS Ci5 de MGI s’est faite en « big bang » pour les quinze métiers de la chaîne logistique portuaire de Marseille-Fos le 16 octobre 2018. Les opérations relatives à tout navire arrivant au port à partir de cette date sont traitées dans le nouveau système Ci5. Il réunit 4 510 utilisateurs, y compris des acteurs partout en France qui ont des opérations à Marseille.
Le nouveau CCS est connecté aux autres systèmes d’informations portuaires, comme le système Neptune Port pour récupérer les données relatives aux escales des navires, ou Delta pour les déclarations en douane. Ci5 a demandé deux ans et demi de développement en méthode agile, en collaboration avec les utilisateurs qui ont exprimé leurs besoins. Il a permis de gérer 900 000 bookings entre son lancement et le 23 janvier 2019. En 2019, MGI a pour objectif de migrer l’ensemble de ses treize communautés portuaires utilisatrices d’AP+, en commençant par Papeete en mai 2019. Une version mobile doit être disponible d’ici le mois de juin.
Guider l’acteur portuaire dans son travail quotidien
« Le CCS est un système chapeau au-dessus des SI métier, point d’entrée unique d’accès à l’information, afin d’améliorer la fluidité du transport des marchandises, explique Dominique Lebreton, directeur audits, projets et commercialisation de MGI (devenu conseiller du commerce extérieur de la France depuis l’entretien). Grâce à ses nouvelles fonctionnalités, Ci5 guide l’acteur portuaire dans son travail quotidien, en lui poussant l’information : le système lui fournit des tableaux de bord et des indicateurs d’activité adaptés ainsi que des alertes. Par rapport à AP+, l’utilisateur gagne du temps par une navigation plus aisée, un moteur de recherche et un accès plus rapide aux données à travers une interface unique. »
Côté nouveautés, l’un des nouveaux modules permet à un transporteur routier de prendre des photos des conteneurs au dépôt, avant son arrivée au port, pour une traçabilité porte à porte des marchandises. Un moteur d’intelligence artificielle, baptisé Channel 5, qui agrège les données relatives au navire, à la météo et de nombreuses autres données « Big data », réalise des prévisions sur l’heure d’arrivée des conteneurs.
Ce qui permet d’anticiper les pics de charge dans les terminaux portuaires. Cet outil d’analyse prédictive est en cours de test au terminal Seayard de Fos.
MGI participe aussi à divers projets innovants. Citons le projet de démonstrateur « blockchain » pour la marchandise sur l’axe Méditerranéen Rhône Saône, en partenariat avec les start-up de la cité phocéenne Keeex et Buyco.
Stéphane Salvetat est président du Syndicat des transitaires de Marseille-Fos et directeur général de LAM France, commissionnaire de transport et représentant en douane (OEA) à Marseille, Fos, Toulon, Sète, et Le Havre. Il est satisfait de Ci5 : « Il a été développé dans un esprit collaboratif. C’est une véritable évolution du système. Il fonctionne très bien sur l’activité conteneurs. Après les bugs classiques pour un nouveau logiciel les premiers jours, notamment liés à la problématique douanière, il reste quelques bugs, notamment sur l’activité du roulant. Il est beaucoup plus facile à utiliser grâce à l’ergonomie et l’automatisation du système : les gains de productivité sont là pour les utilisateurs. La directrice opérationnelle l’utilise sans avoir fait de formation. Il a été aussi l’occasion pour la communauté portuaire de renégocier la tarification, qui datait de plus de dix ans. Ci5 représente un élément de compétitivité énorme par rapport à d’autres ports. »
Le « smart corridor » de la Seine
Les CCS sont la partie émergée de l’iceberg technologique. Haropa Ports de Seine Paris Normandie a entamé sa transformation numérique et fourmille de projets menés ou en cours. Le groupement d’intérêt économique regroupant les ports du Havre, de Rouen et de Paris a fondé le GIS Trafis avec la Douane française, Soget, et l’ISEL-Université du Havre. Ce laboratoire de recherche public-privé comprend des chargeurs et des logisticiens dans le comité scientifique ; il teste l’utilisation des nouvelles technologies (IoT, blockchain, big data, intelligence artificielle) pour un passage de la marchandise et un commerce international plus performants.
Citons aussi dans les projets d’Haropa le recours au drone pour renforcer la bio-surveillance de différents milieux (eau, air, sol) et assurer une veille en temps réel des infrastructures portuaires et ouvrages mobiles, la réflexion autour du conteneur intelligent, l’utilisation de scanner-laser 3D nouvelle génération permettant une modélisation 3D des ouvrages portuaires.
Enfin, Haropa a souhaité rationaliser sa démarche en lançant en novembre 2018 le programme de « smart corridor », qui a pour but de développer un nouveau modèle de territoire urbain et industrialo-portuaire intégré par l’innovation. Haropa mise sur le développement d’outils de gestion intelligente des données pour améliorer durablement la qualité de service de ses clients et du territoire. « Le concept de smart corridor permettra de fluidifier le commerce grâce à l’échange de données, précise Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa. L’avenir est à la digitalisation des espaces portuaires. Un enjeu de taille pour offrir un passage de la marchandise toujours plus rapide, efficace, intelligent et sécurisé. »
Christine Calais