Si la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a des conséquences sur les supply chain mondiales, elle peut être source d’opportunités pour l’Europe. Explication.
Les tensions politico-commerciales entre la Chine et les États-Unis doivent prochainement aboutir à un accord, en cours de négociation à l’heure où nous écrivons ces lignes le 11 mars 2019. La négociation est plus que tendue, alors même que la date initiale de fin de négociation, le 1er mars, est dépassée.
Du côté américain, le président Donald Trump affiche un optimisme salutaire, surtout pour les marchés financiers : il s’est félicité le 24 février des « progrès substantiels dans les négociations commerciales avec la Chine sur d’importantes problématiques structurelles telles la protection de la propriété intellectuelle, le transfert de technologie, l’agriculture, les services, la monnaie et de nombreuses autres questions ». Un article du site Internet chinois d’informations en anglais Global Times publié le 10 mars était beaucoup moins optimiste, soulignant que « compte tenu des opinions divergentes au sein des États-Unis et des caprices du gouvernement américain, une période extrêmement sensible est attendue avant la signature d’un accord final ».
Une guerre douanière entre les deux plus grandes puissances économiques au monde a forcément des impacts significatifs sur le commerce international, et donc sur les chaînes d’approvisionnement mondiales.
En 2018, les États-Unis ont imposé des droits de douane spécifiques sur des produits chinois représentant un montant plus de 250 milliards de dollars (222 Md EUR). La Chine a appliqué des tarifs de rétorsion sur 130 Md USD (116 Md EUR) de produits américains. Une telle guerre peut contraindre des entreprises à changer de fournisseur, de lieu de production, ou à freiner leurs investissements.
Une étude de la Cnuced publiée début février 2019, « Statistiques clefs et tendances de la politique commerciale 2018 », montre les opportunités pour les pays tiers d’une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. En effet, si les tarifs bilatéraux ne sont guère efficaces pour protéger les entreprises nationales, elles limitent les importations en provenance du pays en face. Ce sont donc les entreprises des autres pays, devenant mathématiquement plus compétitives, qui sont en mesure de capturer des marchés dans les secteurs d’activité où elles sont en compétition avec des sociétés chinoises ou américaines.
Une telle analyse reste cependant théorique. Comme le soulignait le logisticien américain Odyssey fin novembre 2018, de nombreuses entreprises américaines continuent à importer des produits fabriqués en Chine, car changer de source d’approvisionnement n’est ni facile ni rapide.
Le transport international perturbé
Si les entreprises américaines et chinoises pâtissent peu ou prou des tensions, qu’en est-il des professionnels de la supply chain ?
Le transport maritime, directement impacté par les variations du commerce international, est touché. « Les perspectives de croissance du commerce maritime sont bonnes, mais menacées par le déclenchement d’une guerre commerciale et l’intensification des politiques de repli sur soi, a estimé Mukhisa Kituyi, secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), en octobre 2018. La montée du protectionnisme et les représailles tarifaires risquent de perturber le système commercial mondial, qui sous-tend la demande de transports maritime ».
Pas de fortes inquiétudes chez les chargeurs français
Les acteurs français et européens de la supply chain ont des visions différentes des impacts, même si globalement le calme est de mise.
Bruno Viallon, consultant en supply chain, VB conseil, analyse la situation mi-février : « la décision des États-Unis en matière de droits de douane a des impacts sur les politiques de flux et de stocks des multinationales qui sont installées en Amérique, en Chine et en Europe. Depuis les semaines passées, elles ont mis en place des flux de marchandise additionnels qui ont été répercutés sur la capacité des lignes.
Ainsi, les lignes aériennes entre les États-Unis et l’Europe, déjà tendues en général, sont aujourd’hui en sous-capacité. Par conséquent, les tarifs pour le fret augmentent, et il est parfois difficile d’embarquer ses marchandises à la date souhaitée. C’est conjoncturel et ne devrait pas durer. Au niveau du transport maritime, les capacités sont plus importantes, l’effet est moindre, et moins élevé que l’impact il y a quelque temps des alliances maritimes sur la capacité globale et les délais. »
Pour Denis Choumert, président de l’AUTF, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine n’est pas un grand sujet de préoccupation des chargeurs français : « la sidérurgie est le secteur le plus inquiet par la fermeture des frontières américaines. Mais globalement il n’y a pas de forte inquiétude parmi les chargeurs français, qui exportent moins que leurs homologues allemands vers les États-Unis ».
Selon TLF Overseas, les commissionnaires de transport adhérents au syndicat ayant beaucoup de flux entre l’Asie et l’Europe ne voient pas trop d’effets positifs ou négatifs des tensions sino-américaines.
Stéphane Salvetat, président du Syndicat des transitaires de Marseille-Fos et directeur général du commissionnaire en douane et transport LAM France, est partagé : « Certes, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis inquiètent un peu. La question de la fin du multilatéralisme se pose. En même temps, il n’y a jamais eu autant d’exportations depuis la Chine vers les États-Unis… ».
Les Belges nouent des partenariats avec les Chinois
Les acteurs européens de la supply chain peuvent profiter de la hausse des droits de douane pour gagner des parts de marché et développer des projets. Ainsi, les grandes entreprises chinoises cherchent à étendre leur influence en Europe, et développent des partenariats.
La Belgique, barycentre logistique au sein de l’Europe occidentale, est un bel exemple de volonté partagée de développement. Les autorités sont sans complexequant aux accords avec les entreprises chinoises. Lors du lancement de la troisième ligne ferroviaire entre la Chine et la Belgique, entre Liège et Zhengzhou en octobre 2018 (la première datant de mi-2017), Pierre-Yves Jeholet, vice-président de Wallonie (sud), a déclaré que « nous avons tout intérêt à nous tourner vers la Chine et à avoir des relations étroites et fortes, et nous devons y voir une opportunité et une nécessité ».
En outre, le conglomérat géant chinois Alibaba a signé avec le gouvernement belge le 5 décembre 2018 un accord visant à promouvoir l’accès à l’export (et au marché chinois) des PME européennes, dans le cadre de l’initiative electronic World Trade Platform. eWTP a été lancée par le fondateur d’Alibaba Jack Ma en 2016, avec pour objectif de développer à la fois le commerce et l’e-commerce : des partenariats similaires en Asie et en Afrique ont déjà été mis en place.
La « pierre angulaire de la collaboration » est la mise en place d’un hub logistique de 220 000 m2 à l’aéroport de Liège, qui nécessite un investissement de 75 M EUR.
La plateforme liégeoise sera opérée par la filiale logistique d’Alibaba, Cainiao Network, et devrait démarrer ses opérations début 2021. Luc Partoune, P-dg de Liege Airport, se réjouit : « L’arrivée de Cainiao Network renforce la compétitivité de notre aéroport. Plusieurs entreprises chinoises sont déjà présentes. La présence de Cainiao et les opportunités de croissance du commerce électronique entre l’Europe et la Chine attireront d’autres entreprises. »
En outre, le gouvernement belge et Alibaba collaboreront étroitement pour introduire de nouvelles technologies qui favoriseront la digitalisation des procédures douanières et un dédouanement plus efficace des marchandises. Alibaba va également coopérer avec des agences spécialisées belges pour promouvoir la vente de produits belges sur les plates-formes de commerce électronique de l’écosystème d’Alibaba.
Pour des solutions communes européennes
Pour nos experts français, c’est l’union qui fait la force.
Pour Stéphane Salvetat, « l’Europe peut tirer son épingle du jeu. Mais la principale difficulté est de trouver des solutions communes entre des acteurs européens et des pays qui ont une agilité, des intérêts différents et un niveau de connaissances de la Chine variables. »
Bruno Viallon alerte : « l’Europe pourrait être le dindon de la farce avec le futur accord entre les États-Unis et la Chine. Le problème est que l’Union européenne n’a pas assez de poids pour avoir voix au chapitre au niveau mondial, qu’elle rassemble des pays disparates qui voient par le petit bout de la lorgnette. Il faudrait des initiatives européennes importantes et unitaires. La mise en place de lignes de trains entre l’Europe et la Chine t à l’initiative de cette dernière, et non de l’Europe. »
Une meilleure cohésion des pays et entreprises est donc un facteur clef de succès de l’Europe en tant que puissance commerciale et logistique face aux appétits des géants chinois et américains.
Christine Calais