L’export n’est pas réservé aux grandes entreprises. À leur échelle, les PME et même les TPE peuvent s’engager sur les marchés étrangers et se servir de l’international comme d’un véritable levier de croissance. Témoignages de cinq sociétés qui ont su franchir les frontières.
Jules Pansu : un redéploiement à l’export
Les produits traditionnels peuvent faire un carton à l’international. La preuve avec la manufacture Jules Pansu, spécialisée depuis 1878 dans le tissage de reproduction de tapisseries des Flandres.
Installée à Halluin, l’entreprise a innové sur le plan marketing pour se redéployer à l’export. La part de son activité est passée de 22 % en 2009, essentiellement en Europe (Espagne, Italie, Allemagne et Grande-Bretagne), à 47 % en 2011, dans le monde entier (du Brésil à l’Australie, en passant par la Chine et le Japon), pour un chiffre d’affaires de 3,7 millions d’euros. Et cette année, l’objectif est de dépasser les 50 % des ventes à l’export.
Pour réorienter l’entreprise vers l’international, son directeur général, Jean-Marc Viénot, a choisi de « dépoussiérer l’image de la tapisserie murale traditionnelle », en repositionnant l’entreprise sur le haut de gamme et en misant sur la décoration. Reconnue pour son savoir-faire ancestral (sur ses 28 salariés, deux tisserands ont été élus Meilleurs ouvriers de France), la maison continue de fournir des reproductions à de nombreux musées dans le monde (du Louvre au Guggenheim de New York). Mais elle s’est aussi attachée à diversifier sa production avec des articles plus contemporains, en développant depuis 2010 une série de produits finis (tapis, coussins, plaids, jetés de lit…) illustrée par des dessins de Pablo Picasso, dont les célèbres portraits cubiques de Marie-Thérèse et de Dora Maar. Cette production, qui représente aujourd’hui un quart de l’activité, devrait encore progresser au cours des prochaines années avec la conclusion attendue de nouveaux accords de licence pour la reproduction d’autres artistes peintres.
Cette diversification s’est accompagnée d’une remise à plat de l’approche internationale. « Chaque année, nous définissons des secteurs géographiques sur lesquels nous nous concentrons », détaille Jean-Marc Viénot. Avec trois démarches : le relationnel (« des distributeurs potentiels que l’on sollicite »), les missions de prospection de CCI International pour rechercher de nouveaux partenaires (« en vérifiant le potentiel du marché local, car cela représente un investissement important pour une PME comme la nôtre ») et l’opportunisme (« les sociétés qui nous identifient grâce à nos produits et qui nous contactent elles-mêmes »). En 2010, les efforts se sont concentrés sur le marché nord-américain pour reconstruire une organisation opérationnelle. Aux États-Unis comme en Russie et en Chine, Jules Pansu distribue à la fois ses produits finis aux musées et aux magasins, et ses tissus jacquard aux fabricants. Deux clientèles distinctes qui réclament deux agents différents. L’an passé, l’entreprise a participé à trois missions collectives de prospection pour défricher les Émirats Arabes Unis et le Brésil, avant la Corée du Sud cette année.
T. B.
Euragglo : miser sur le collectif pour exporter
Il y a longtemps que Pascal Hervieu mûrissait l’idée de « chasser en meute ».
« Partager des ressources dans le cadre d’une stratégie commune avec des partenaires non-concurrents, c’est le meilleur moyen pour être efficace à l’international », assure le directeur général d’Euragglo, spécialisé dans la conception et l’installation de matériels pour l’agglomération, le compactage et la granulation de toute matière, du charbon au sel. Cette vision, il ne l’avait pas encore en 1992 à la création de l’entreprise. « Je suis partisan d’une stratégie concentrique. J’ai préféré être d’abord fort chez moi avant d’aller à l’étranger. » Ses premiers pas hors de l’Hexagone, Euragglo les fait d’abord dans les pays limitrophes, en Belgique, en Grande-Bretagne et en Espagne.
Mais, depuis dix ans, l’entreprise rayonne au niveau mondial, depuis le Brésil jusqu’au Vietnam, et sa part d’activité réalisée à l’étranger représente désormais 80 % des 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec dix salariés. Pour intensifier son activité à l’international, Pascal Hervieu a fondé fin 2010 un groupe d’excellence de fournisseurs à l’international (Gefi) dans le domaine des engrais, Fertiprocess : une association qui regroupe Euragglo, Poittemill, Maguin et, depuis peu, Chauvin-Simex, tous pourvoyeurs d’équipements pour les usines d’engrais. Sous la houlette de CCI International, Fertiprocess a recruté un volontaire international en entreprise (V.I.E) et conduit le programme annuel d’actions communes élaboré collégialement : outils de communication, missions de prospection, participation aux foires et salons, rencontres avec des acheteurs, etc. Sur la seule année 2011, des présentations groupées des membres de Fertiprocess ont été faites dans quatre pays asiatiques (Vietnam, Malaisie, Indonésie, Thaïlande), suivies de plusieurs rendez-vous individualisés.
« L’existence du groupement facilite notre identification par les marchés prospectés, parce que l’on construit ensemble une offre globale, ce qui nous aide pour devenir des fournisseurs référencés. Mais cela n’exonère pas de conduire après coup des actions individuelles de suivi des prospects », souligne Pascal Hervieu, qui mettra l’accent sur ce suivi cette année. Ce qui n’empêche pas Fertiprocess de programmer de nouvelles missions de prospection dans les pays de l’Est, à commencer par la Pologne dès le mois de septembre. Les Gefi bénéficient d’un soutien conséquent du Conseil régional, qui finance 35 % des actions de prospection commerciale et la moitié du coût du V.I.E.
T. B.
Himber : l’Amérique du Sud, après l’Asie
Imaginer, produire sur mesure et installer des moyens de production qui n’existent pas grâce à une quarantaine d’ingénieurs lui conférant une maîtrise technique dans des domaines aussi variés que la productique, la mécanique, l’automation, la robotique, l’informatique industriel…
Si l’innovation est au cœur de l’activité du bureau d’études et de réalisation Himber Technologies, l’action internationale est le fer de lance de cette entreprise de Boulogne-sur-Mer, fondée en 1992. Et pour cause : « Même lorsqu’ils sont français, nos clients ont une envergure internationale », constate Jean-Marie Ridez, son président. Au départ, l’entreprise, référencée dans le cadre d’applications, s’est retrouvée à l’international presque par hasard. Mais depuis cinq ans, la prospection s’est intensifiée. « Maintenant, nous allons à l’étranger chercher des commandes », assure le jeune dirigeant. Il indique que la part du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger atteint désormais 40 % du montant global (3 millions d’euros pour 40 personnes en 2011). Voire 70 % si l’on inclut les machines installées sur des sites français dont la production est exportée.
Salons professionnels et missions de prospection : la participation de la PME aux actions régionales ou nationales est ponctuelle, mais efficace. En quelques années, Himber a pris pied sur les marchés du grand export – en Asie et en Amérique latine essentiellement. Son premier référencement en Chine remonte à 2002. Le succès rencontré sur le marché local a conduit Jean-Marie Ridez à créer une filiale sur place, dans le Wuhan. « Le bureau commercial existe depuis deux ans. Et nous sommes en train d’acheter les outils de production pour être en mesure de fabriquer localement, alors que nous sous-traitions jusqu’ici », détaille le dirigeant. Objectif : répondre à la demande grandissante des clients chinois, mais aussi indiens, thaïlandais et coréens.
Un développement à l’international qui n’est en aucun cas une délocalisation. « Nous investissons là-bas parce que c’est le meilleur moyen de capter les commandes des clients locaux, insiste Jean-Marie Ridez. Car l’entreprise progresse parallèlement en France, où son activité a doublé au cours des six dernières années. D’ici trois ans, Himber Technologies espère faire coup double en installant une nouvelle unité de production en Amérique du Sud. Avec un partenaire, comme ce fut le cas dans l’empire du Milieu. « Nous gardons la majorité afin d’être bien chez nous. Mais il est clair qu’à l’étranger, il faut confier la partie commerciale à des personnes du pays qui maîtrisent bien mieux le marché. » Discret sur ses réalisations (« elles sont la propriété des clients »), le bureau d’études nordiste a été primé en 2009 au Midest pour son développement d’un nouveau procédé de fabrication de tables de ping-pong pour Cornilleau.
T. B.
Jacques Maes : des plats cuisinés à la sauce locale
Depuis plus de 30 ans, Jacques Maes regardait passer les camions espagnols livrant les fruits et légumes aux pays d’Europe du Nord.
« Ils cherchaient quelque chose à charger pour ne pas redescendre à vide. Alors on s’est creusé la tête… », se rappelle Olivier Maes, directeur du fabricant de plats cuisinés surgelés de Boulogne-sur-Mer. Pour autant, pas question pour cette PME familiale de se contenter de vendre la gastronomie française à l’étranger. Trop concurrentiel. « Nous recherchions une niche où nous puissions continuer à exprimer notre savoir-faire culinaire », explique Olivier Maes. En 1996, il rencontre un grossiste catalan sur un salon à Barcelone qui lui conseille d’adapter ses produits aux goûts locaux. Il invite alors des chefs catalans à venir dans ses cuisines pendant quelques jours. Un échange fructueux, dont découlera une nouvelle gamme de recettes gastronomiques. Et qui lui ouvrira les portes de l’Espagne.
L’histoire est emblématique de la philosophie internationale de l’entreprise, qui réalise aujourd’hui 60 % des ventes à l’étranger (8 millions d’euros de chiffres d’affaires avec 60 salariés en 2011). « Il faut accepter d’investir ou de franchir certains obstacles sans obtenir de retour immédiat. Cela réclame du temps et de l’énergie, mais c’est grâce à cet investissement que vous aurez un coup d’avance lorsque l’opportunité se présentera. En plus, c’est parfois grâce à ces développements que l’on rebondit en France », observe Olivier Maes. Ainsi, toute la recherche réalisée autour la valeur nutritionnelle des plats, qui fait aujourd’hui partie intégrante de la stratégie de l’entreprise, provient des développements faits voici quelques années pour le marché britannique, précurseur en la matière. Parfois, les résultats sont fulgurants : c’est au cours d’une mission collective conduite l’an passé par CCI International à Milan que l’entreprise a trouvé son agent italien. Le même voyage, en 2009, au Portugal n’a jamais débouché sur le moindre contact. Cela n’affole nullement le dirigeant : « À cette occasion, j’ai pu rencontrer les acteurs majeurs de la distribution locale que je recroise à l’occasion sur d’autres salons ; je sais que le jour où il y aura une ouverture, ils m’appelleront en premier. »
T. B.
Lunginnov : l’international comme point de départ
Fondée en 2009 par d’anciens chercheurs, Lunginnov s’est d’emblée positionnée sur le marché mondial grâce à Internet.
« Nous avions découvert une molécule pouvant servir de biomarqueur qui a donné naissance à la fabrication d’outils novateurs pour la recherche et le diagnostic médical dans le domaine du cancer et du sepsis (infection générale grave). Dès le départ, nous avons choisi de commercialiser ces produits en direct partout dans le monde par l’intermédiaire d’une plateforme de commerce électronique », rappelle Maryse Delehedde, co-fondatrice de la société avec Philippe Lassalle. Scientifique de formation, elle a passé la première partie de sa carrière dans la recherche, aux États-Unis et en Angleterre. Cette double connaissance du milieu de la recherche et de l’international l’a beaucoup aidée. « Cela nous a permis d’envisager d’exporter très tôt, et donc de bénéficier d’un relais de croissance phénoménal pour une jeune société comme la nôtre. » Le succès est rapidement au rendez-vous puisque la société de biotechnologie, installée sur le campus de l’Institut Pasteur de Lille, a réalisé un chiffre d’affaires de 150 000 euros avec six salariés l’an passé. Dans certains pays, l’obligation d’avoir un bureau local pour distribuer le produit a néanmoins contraint la petite entreprise à nouer des partenariats. « En fait, nous avons plutôt répondu à la demande puisque ce sont des sociétés locales qui nous ont approchées pour nous proposer de diffuser nos produits sur leur territoire », dévoile Maryse Delehedde.
Dans un premier temps, Lunginnov a conclu un accord de distribution avec un importateur-distributeur japonais. « Ce sont des clients qui voulaient nos produits et qui ont invité cette société à prendre contact avec nous. » Ensuite, des contrats similaires ont été signés aux États-Unis, au Brésil et à Singapour. Début 2012, Lunginnov s’est ouvert les portes des hôpitaux et des centres de recherche de l’empire du Milieu en scellant un accord avec un partenaire chinois. Et récemment, un nouveau partenaire a été trouvé en Corée du Sud. Au total, l’entreprise collabore aujourd’hui avec un réseau de dix-huit distributeurs, dans neuf pays (Japon, Inde, Corée du Sud, Chine, Taïwan, Brésil, Argentine, Thaïlande et Australie). Son activité internationale représente 85 % de son chiffre d’affaires, qui devrait atteindre 500 000 euros cette année.
T. B.