La stabilité sociale, la fluidité des systèmes d’information, la croissance de l’hinterland… Telles sont trois des conditions pour que les ports participent au succès du commerce extérieur de la France et que notre pays devienne une grande porte maritime de l’Europe ! C’est ce qu’il ressort des témoignages de divers représentants des principaux acteurs de la logistique maritime française.
Et si demain l’approvisionnement de la France passait par des ports qui ne soient pas français ? Que l’approvisionnement de Paris se fasse par Rotterdam ou par Anvers, avec des entreprises européennes (ou venues d’ailleurs), qui amèneraient leurs conteneurs sur les pays du nord, avant d’être acheminés par la route ou par le fer, voire par le fluvial, vers le Bassin Parisien ?
Un scénario catastrophe tout à fait possible… « Et c’est ce que nous ne voulons pas ! » lance Éric Banel, délégué général d’Armateurs de France… « Nous devons nous fixer comme perspective à l’horizon 2030 de faire de la France le premier port d’Europe », déclarait pour sa part l’ancien président de la République aux Assises de l’Économie de la Mer en précisant la volonté de l’État de créer « une véritable filière maritime ». En somme, selon Denis Choumert, président de l’AUTF et de l’organisation européenne des chargeurs, « la reconquête est en marche, mais rien ne dit qu’il peut y avoir des « ratés » dans le moteur de la croissance future ».
Des exigences pour les ports français
Le monde maritime est en pleine mutation : course au gigantisme, baisse des approvisionnements pétroliers, atonie des échanges mondiaux… Les ports français sont contraints de s’adapter à ces défis pour rester dans la course au niveau européen.
Selon Christophe Buisson, délégué général de l’AMCF (Agents Maritimes et Consignataires de France), l’attractivité recherchée pour les ports français passe par la garantie d’une fiabilité sociale, l’existence de modes massifiés performants pour accroître l’hinterland, la fluidité administrative, vitale à l’ère de la digitalisation d’un certain nombre de processus.
L’attractivité des ports passe avant tout par une bonne gestion du social. Ce qui conduit Xavier Galbrun, délégué général de l’UNIM (Union Nationale des Industries de Manutention) à souligner que « la manutention portuaire n’est pas un service public d’intérêt général, mais un service marchand. D’où la nécessité de considérer la gestion du social et la relation entre les entreprises de manutention et les salariés que sont les dockers ». Un navire, à quai, doit être déchargé ou chargé, tout en optimisant son temps de passage, ce qui implique une forte implication des dockers.
Depuis la réforme de 1992 en vue de lutter contre la précarité apportée par le système de l’intermittence, la profession s’est attachée à intégrer dans le droit commun du travail le régime d’emploi des ouvriers dockers en France, par l’attribution d’un contrat de travail de droit commun, et la négociation ex nihilo d’une convention collective de branche. D’intermittents embauchés deux fois par jour, ils devenaient des salariés de droit commun.
D’autre part, un port est une zone très particulière, car en France, depuis le XVe siècle, on ne peut pas privatiser le domaine public maritime. La réforme des ports lancée en 2008 s’est clairement attachée, dans les grands ports, à distinguer les missions d’autorité publique confiées aux autorités portuaires, des missions commerciales dévolues aux entreprises privées. Le problème de l’attractivité des ports tient essentiellement dans la façon de sécuriser les investissements privés dans les ports, sachant que la durée d’autorisation des investissements est limitée dans le temps, moyennant des contrats de 35 ou de 50 ans… « Et ces contrats peuvent être remis en cause du jour au lendemain sur simple décision de l’autorité portuaire, sous prétexte d’un besoin d’intérêt général », ajoute Xavier Galbrun, pour qui « chez nous, la précarité est plus forte qu’ailleurs du fait du degré d’entente moindre entre les autorités portuaires chargées du domaine public, et les autorités privées chargées du commercial ».
Si la mission d’aménageur en infrastructures a bien été confirmée pour la sphère publique, en revanche, le rôle d’investisseurs en superstructures est dévolu exclusivement aux opérateurs privés, notamment pour procéder à la réalisation des terminaux. La convergence qui en découle est la complémentarité de fait entre les investissements publics et les investissements privés, ces derniers ne pouvant être réalisés que si, au préalable, les autorités portuaires ont réalisé les infrastructures de base nécessaires. Dès lors, une structure de concertation entre investisseurs publics et investisseurs privés s’impose afin de rationaliser, dans le cadre d’un véritable partenariat, le choix des réalisations à mener dans l’intérêt commun du port et de la collectivité. « Tel est le sens de la Commission des investissements qui a été adoptée formellement dans le cadre de la loi Leroy sur l’Économie Bleue au printemps 2016 ».
L’indispensable digitalisation
Que dire d’autre part de la « menace » du Canal Seine-Nord pour un port tel que celui de Marseille ? Il va favoriser le passage des conteneurs appelés à descendre via la Belgique. Dans les huit à dix prochaines années, Marseille devra se donner les moyens de créer un corridor logistique avec la région parisienne et Haropa… En quelque sorte, un tapis roulant vers le nord, un tapis roulant « seamless », comme disent les Britanniques. Ce qui implique deux éléments : les investissements sur le social et les échanges d’informations (digitalisation).
La fluidité administrative est vitale à l’ère de la digitalisation d’un certain nombre de processus. Le Cargo Community System a été créé pour répondre aux besoins de fluidité, de sécurité et de traçabilité de la marchandise pour les professionnels et les administrations (Douane, Grand Port Maritime, services vétérinaires et phytosanitaires).
À l’instar de la situation dans les ports du Nord de l’Europe (« Port Connect » à Anvers et Rotterdam, de même un système commun aux ports allemands existe de Brême à Hambourg), il faudrait en France disposer d’un Cargo Community System unique… Or aujourd’hui, il y a deux places portuaires majeures et deux SSII : la, solution de MGI (Marseille Gyptis International) à Marseille (système CI5) et celle de Soget au Havre (système S)One) qui ont choisi des architectures et des systèmes d’exploitation totalement différents… Les deux systèmes ne sont pas compatibles, en l’état, ce qui pose un problème opérationnel pour les armateurs, les manutentionnaires présents dans les deux ports, mais aussi pour les industriels (les chargeurs) qui vont utiliser les grands ports maritimes français… D’où risque de perte de compétitivité !
La solution ? Elle passe par la mise en place d’un portail commun pour dialoguer avec les deux systèmes, munis de fonctionnalités communes. À cet effet, une association devrait être formée pour répondre à la demande des clients, les prestataires de services sur les ports, les chargeurs, les douanes, les armateurs et la direction des transports au Ministère.
Vital : accroître l’hinterland
Un autre grand enjeu qui se pose à tous les ports français, c’est la capacité de relier les ports à leur hinterland et à prolonger cet hinterland le plus profondément possible dans le territoire.
Ainsi, TLF Overseas, qui regroupe les transitaires et commissionnaires en douane et qui a contribué à la rédaction de plusieurs documents sur les sujets (l’aide-mémoire présidentiel de l’Union des Ports de France, livre blanc « nouvelles mobilités, nouvelle croissance » élaboré par le comité Transport et Mobilité du Medef, présenté le 14 mars 2017) propose plusieurs mesures, dont le développement de la desserte multimodale de l’hinterland des ports maritimes dans le cadre d’une réelle stratégie portuaire nationale.
Les ports tels que ceux du Havre, de Dunkerque ou de Marseille-Fos doivent pouvoir accéder à un hinterland plus long (par voie ferroviaire) et une facilité de passage portuaire. Ce qui implique des investissements pour favoriser le contournement de certains axes saturés, comme la modernisation de la ligne Serqueux-Gisors (prévue pour mi-2020) afin d’accompagner la croissance des activités du Grand port maritime du Havre et faire face à la concurrence des ports du nord de l’Europe. Cela passe aussi par le développement des modes de transports massifiés au premier rang desquels figure le transport ferroviaire. Or un itinéraire tel que Paris-Rouen-Le Havre ne peut plus absorber de trains supplémentaires… D’où le besoin d’une ligne qui devrait permettre de franchir le goulot de l’Île de France.
Il y a d’autres sujets, comme celui de la compétitivité des offres avec une réflexion globale sur les flux, une recherche sur le fret ferroviaire pour disposer de véritables corridors, efficaces et priorisés. De même, pour le fluvial, il y aurait lieu d’améliorer les conditions d’interface, rendre plus efficient le passage portuaire (le chargement ou le déchargement de la barge) techniquement et financièrement.
C’est en favorisant le passage portuaire, en déroulant un « tapis roulant fluvial » sur l’axe Seine, comme sur le Rhône, qu’on pourra progresser. Dès lors, le manutentionnaire pourra optimiser son organisation en opérant sur un seul mode. Les installations du mode routier en charge du capillaire terminal vont pouvoir alors être désengorgées. On pourra aussi améliorer la fluidité du mode routier qui va rester bien évidemment le mode dominant du transport terrestre, au regard des problématiques rencontrées sur les ports, les problèmes de rendez-vous.
« Certes, il est de grands projets sur lesquels on se focalise, mais dont la priorité n’est pas forcément celle qui doit être mise en avant », insiste Xavier Galbrun, visant en particulier le Canal Seine Nord appelé à relier la Seine à Anvers, et… qui était semble-t-il déjà à l’ordre du jour voici… 40 ans ! Aujourd’hui, il ressort des cartons comme une urgence : mais si on le réalise aujourd’hui, avant d’avoir accepté les investissements qui traînent depuis des lustres, ceux-ci risquent d’être contre-productifs…
« L’exemple est fourni par la liaison directe de Port 2000 à la Seine pour faire en sorte que les barges fluviales puissent accéder autrement, les jours où il fait beau, sans avoir à passer par la mer », ajoute Xavier Galbrun. Cet accès fluvial direct de la Seine au port à conteneurs (Port 2000) est considéré comme une priorité. La création d’une chatière dans la digue sud du port offrirait à tout type de navire fluviomaritime l’accès permanent aux terminaux, par tout temps. « Tant qu’on n’aura pas fait ce lien direct entre Port 2000 et la Seine, il est probable qu’une partie du trafic vers Le Havre se dirigera vers Anvers, et ce aux dépens de l’investissement considérable pour le Canal Seine-Nord ».
À noter qu’une étude portant sur les problèmes d’infrastructure a été menée au moment du grand emprunt pour les « Investissements d’Avenir », par le think tank TDIE (voir aussi en introduction) à la demande de Bernard Accoyer, et il avait été choisi de travailler sur la connexion des ports et de la terre.
À ce propos… « Un rapport a été rédigé, disponible à l’Assemblée Nationale, en se concentrant sur Le Havre, et sur Marseille-Fos » déclare Philippe Duron, président de l’AFITF et coprésident de TDIE. « Il préconisait une chatière pour aller sur Port 2000, il fallait renforcer la liaison ferroviaire et la dédier au fret, il manquait un morceau d’autoroute pour accéder à Fos, la liaison directe entre Fos et le Rhône. Nous avions conclu qu’avec 3,9 milliards d’euros pris dans le Grand Emprunt, on aurait pu mettre à niveau les deux grands ports maritimes. Mais il a été jugé qu’il ne s’agissait pas d’investissements d’avenir. Dès lors, ces sujets restent pendants… Il ne suffit pas de faire un grand quai moderne à Port 2000, ni Fos 2XL… Il faut aussi qu’il y ait une véritable irrigation du territoire de l’hinterland par des moyens de transport dans une connexion efficace avec les ports maritimes. C’est ce qui existe à Anvers, à Rotterdam, à Zeebrugge, et c’est ce que nous n’avons pas ! ».
Jean-Claude Festinger