La prise de conscience est nette : en tant que maillon essentiel de la chaîne logistique hexagonale, et au-delà européenne, les ports français sont un enjeu de compétitivité majeur pour la France : en témoignent les multiples réflexions engagées par tous les acteurs, dont les pouvoirs publics, à travers plusieurs initiatives et rapports publiés en 2016. En attendant que les orientations du gouvernement Philippe dans ce domaine se précisent, Le Moci fait le point, dans ce dossier spécial, sur la situation et les projets stratégiques des ports français, et la vision des principaux acteurs du maritime.
Le second semestre 2016 a été particulièrement riche en rapports sur la compétitivité des ports français : France Stratégie 2025, l’étude du Think tank TDIE (Transports, développement, Intermodalité, environnement) de Philippe Duron sur « Cinq orientations pour améliorer la compétitivité des ports français », les travaux du Comité interministériel de la Mer (CIMer), auxquels se sont ajoutés les quatre rapports parlementaires commandés en juillet 2016 par Matignon, dans le but de cerner les raisons du manque de compétitivité des ports français et de recueillir leurs propositions afin de remédier à ce handicap. Il y aura d’autres rapports, c’est certain, sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Tous ces rapports concernent l’Axe Seine, l’Axe Nord, l’Axe Rhône et la façade maritime Atlantique. Le constat est posé dans le rapport sur l’Axe Seine de Valérie Fourneyron (députée de Seine-Maritime) et Charles Revet (sénateur de Seine-Maritime) : « au cours des 25 dernières années, le trafic portuaire européen en tonnage a augmenté de plus de 65 % (soit en moyenne environ 2 % par an). Mais pendant cette période, les trafics pétroliers sont passés de 40 % du total à 30 %, pendant que le trafic de marchandises diverses, dont le trafic de conteneurs passait de 27 % à 43 %. Sur cette même période, ce dernier trafic, les marchandises diverses a, pour sa part, presque triplé en tonnage soit une augmentation de 4,4 % par an et le trafic de conteneurs est passé de 46 % à 75 % de l’ensemble des marchandises diverses en étant multiplié par un facteur 4,8 ». Parallèlement, les ports français ont perdu des parts de marché : « En 1970, le trafic total en tonnage de l’ensemble des ports français représentait un peu moins que celui du port de Rotterdam et le trafic du port d’Anvers 23 % de celui des ports français. Vingt années plus tard, les ports français avaient dépassé en tonnage le port de Rotterdam, mais Anvers avait fortement augmenté sa part relative en passant à 36 % du trafic des ports français. En 2015, la situation s’est fortement dégradée pour les ports français, puisque Rotterdam les dépasse de 40 % et qu’Anvers représente 62 % de leur activité » (voir également pages suivantes).
Lors des Assises de l’économie de la Mer, le 8 novembre 2016 à La Rochelle, l’ancien président de la République François Hollande, avait souligné le besoin de créer une véritable filière maritime et annoncé la constitution d’une plateforme regroupant les acteurs publics et privés. Cette « task force » était appelée à produire les diagnostics et à formuler des propositions sur l’avenir des filières maritimes. Le Secrétaire général de la mer, à l’époque Vincent Bouvier, placé sous l’autorité du Premier ministre, avait été chargé par l’Élysée d’en assurer la mise en place et l’animation.
Ainsi vit le jour le Comité France Maritime (CFM), qui s’est réuni pour la première fois le jeudi 19 janvier 2017 autour du Secrétaire général de la mer et du président du Cluster maritime français. Il a rassemblé les régions littorales et les représentants des principales filières maritimes, parmi lesquelles le transport maritime, la construction navale, les activités portuaires, la pêche, l’aquaculture et les produits de la mer, la recherche, les énergies marines renouvelables, les granulats marins, la plaisance et le secteur de la croisière.
Dans la perspective du doublement de l’économie maritime mondiale annoncé par l’OCDE à l’horizon 2030, le CFM a pour objectif d’accompagner les filières industrielles pour que la France double également le chiffre d’affaires sur l’ensemble du secteur, ainsi que le nombre d’emplois directs. Ce qui va de pair avec des sujets transverses, socles de tout développement dont il s’agira de se saisir prioritairement : le besoin d’une vision stratégique à long terme et d’un décloisonnement, la recherche, l’innovation et l’accès aux marchés, le renforcement de l’attractivité des métiers, la réindustrialisation de certains métiers, l’accès facilité aux financements, le renouvellement et la modernisation des outils, l’adaptation des réglementations aux évolutions des secteurs pour qu’ils restent compétitifs, les conflits d’usage et la répartition des espaces, ainsi que les problématiques de sûreté.
À cet égard, « Cinq orientations pour améliorer la compétitivité des ports maritimes français », tel est le titre de l’étude menée par TDIE à la demande de l’ Union des Ports de France. Pour ce faire, ont été conduits en 2016 une quarantaine d’entretiens, puis un colloque clôturé par le ministre des Transports de l’époque, Alain Vidalies. L’objectif ? Établir un bilan et analyser les perspectives d’évolution, les réformes nécessaires à venir. À cet égard, il ne faut plus penser les ports seulement comme une infrastructure, mais comme un maillon de la chaîne logistique.
Comment faire en sorte que les ports aient une stratégie commerciale ?
Un port, ce n’est pas seulement une taxe au moment du déchargement de la marchandise, c’est aussi une personne qui va voir son client distant de 6 000 ou de 10 000 km en lui conseillant de venir chez lui pour que son acheminement ou sa transformation se fasse le mieux possible. « Bref, explique Philippe Duron, député du Calvados, président de l’AFITF et coprésident délégué de TDIE, on doit être moins dans des ports d’ingénieurs et plus dans des ports de commerçants, là où l’essentiel des réflexions porte sur les flux de marchandises et la captation d’un certain nombre d’industriels générateurs de trafics, afin qu’ils s’installent sur le port ». D’où la recommandation d’une approche davantage orientée vers le commerce, le marché.
L’étude TDIE a été conduite dans cet esprit par Claude Gressier, ancien directeur des ports, ingénieur général des Ponts et Chaussées, et Antoine Frémont, agrégé de géographie, directeur scientifique adjoint à l’Ifsttar, Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. Il en est résulté cinq orientations pour améliorer la compétitivité des ports français :
1. Intégrer la politique portuaire aux politiques économiques et territoriales pour un renouveau des stratégies portuaires nationale et régionale,
2. Renforcer l’activité des places portuaires et la coopération des acteurs portuaires entre eux,
3. Assurer le modèle économique des ports français,
4. Fiabiliser et massifier les trafics : renforcer et étendre les hinterlands portuaires,
5. Renforcer l’image des ports français.
Parmi les préconisations, il en est une qui invite donc le port à intégrer une chaîne logistique efficace. Le port, en effet, ce n’est pas seulement un quai qui sert de porte d’entrée, de filtrage douanier et de perception d’un service. C’est aussi et avant tout un acteur de la chaîne logistique : il doit être complètement préoccupé par l’efficacité de cette chaîne logistique, en faisant en sorte d’être le mieux à même de rendre ce service aux autres entreprises logistiques !
Pour Philippe Duron, « les gens du nord de l’Europe sont préoccupés depuis des siècles par l’échange de marchandises. La Hanse germanique des marchands correspond à l’association des villes marchandes de l’Europe du Nord autour de la mer du Nord et de la mer Baltique. Pendant trois siècles, cette Hanse eut un rôle dominant au niveau commercial, puis politique en Europe. Ils étaient préoccupés par les échanges de marchandises, par le trafic qu’il faut capter et générer ! Il faut donc être ambitieux et modeste… Ambitieux pour faire mieux qu’actuellement avec une main-d’œuvre pas plus chère qu’aux Pays Bas, mais peut-être avec un hinterland moins puissant ».
D’autres problématiques sont liées à la valorisation de l’espace portuaire : un port, ce n’est pas seulement une interface mer-terre. Plusieurs ports français ont l’avantage d’avoir encore beaucoup d’espaces disponibles, de pouvoir accueillir des industries, des sites logistiques, ou des sociétés de services… Tout cela mérite d’être souligné, alors que les ports du nord de l’Europe sont à saturation, et obligés de gagner sur la mer.
Il y a aussi des enjeux humains en créant un environnement mobilisé autour de l’efficacité portuaire. Les chargeurs, les manutentionnaires et les dockers sont en mesure de percevoir l’intérêt d’une stratégie de développement… Ce qui ne peut pas se faire dans le conflit, mais qui doit être réalisé dans l’échange, le partage, la négociation. Martine Bonny, autrefois directrice du port de Rouen et du port de Dunkerque, inspectrice générale du développement durable, a reçu, voici environ trois ans, une mission de concertation, de conciliation pour trouver le point d’équilibre entre le point de vue de toutes les parties prenantes… Ce qui a été transcrit de façon législative : Philippe Duron a été le rapporteur en 2015 du projet de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.
En somme, comme nous l’indique Philippe Duron, « on doit progresser, on peut progresser. Simplement, il faudra du temps, de l’énergie et une vision. Sans vision, on ne fait pas de bonne politique ! »
Dossier réalisé par Jean-Claude Festinger, avec une contribution de Venice Affre
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