C’est en Afrique non francophone que l’on trouve les écosystèmes de l’innovation numérique les plus développés. L’Afrique du Sud, première puissance au sud du Sahara, fait la course en tête. Mais d’autres pays démontrent une forte capacité d’innovation et une volonté réelle de faire émerger des technologies, à l’instar du Kenya.
En matière de technologie, l’Afrique anglophone est de loin plus avancée que la partie francophone. Que ce soit en matière de fintech ou de paiement mobile, l’Afrique du Sud, le Kenya ou le Nigeria dominent. C’est dans ces pays que les start-up françaises pourront le plus facilement recruter des talents, découvrir de nouvelles idées et vendre leurs innovations. L’écosystème y est de loin le plus développé, l’environnement le plus favorable. Incubateurs, accélérateurs, fonds d’investissement, pépinières d’entrepri- ses, parcs scientifiques, universités technologiques et programmes d’innovation, les différents maillons de la chaîne sont en place, avec plus ou moins de solidité selon les États.
Poids lourd économique en Afrique subsaharienne, l’Afrique du Sud se taille la part du lion quand il s’agit de technologie. L’écart est même parfois vertigineux. « Du Nigeria au Kenya, l’Afrique du Sud demeure la référence. Un tiers des levées de fonds des start-up en Afrique est réalisé dans ce pays », selon Christophe Viarnaud, P-dg de l’entreprise française Methys (Big data, mobile, e-commerce), depuis douze ans en Afrique du Sud, et coordinateur pour le secteur privé du French Tech Hub du Cap.
La capitale de la province du Cap-Occidental est, d’ailleurs, le seul hub international qui a reçu le label French Tech Hub, avec, pour la partie francophone, Abidjan, première puissance économique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Mais comparé au Cap, l’écosystème en Côte d’Ivoire est encore modeste, quoique les possibilités de développement, d’aide à l’émergence d’entrepreneurs ivoiriens, doivent être prises très au sérieux par les sociétés françaises. Les start-up françaises peuvent y trouver, notamment des partenaires. Reste que le financement des PME en Côte d’Ivoire, des start-up en particulier, demeure embryonnaire. Elles ne sont pas la cible privilégiée des fonds d’investissement, dont l’objectif général est plutôt de pallier aux manques de financement dans les banques locales.
Quelques initiatives positives peuvent, toutefois, être relevées, comme le lancement de plateformes de crowfunding. La Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), pour sa part, organise depuis cinq ans CGECI Academy, une plateforme d’échanges pour les aspirants entrepreneurs à la recherche de financements. Pendant l’évènement à Abidjan, le patronat ivoirien propose également un concours des jeunes entrepreneurs, dénommé CGECI Business Plan Compétition (BPC), et une bourse de projets. Le gouvernement, enfin, a créé l’Institut ivoirien de l’entreprise (INIE) pour inciter les jeunes à entreprendre et, à Grand Bassam, au sud d’Abidjan, la Côte d’Ivoire dispose avec le Village des technologies de l’information et des biotechnologies (Vitib), d’une zone franche en développement.
« L’économie numérique croît de 7 à 8 % par an », indique à Abidjan Innocent N’Dry, conseiller Export chez Business France. Au sein du French Tech Hub d’Abidjan, une cellule digitale a été montée pour aider les bloggeurs à se muer en entrepreneurs. Le 1er juin, la capitale économique de Côte d’Ivoire a encore accueilli Digital Lab Africa, un appel à projets et un incubateur pour les talents africains du multimédia, organisés par l’Institut français d’Afrique du Sud. Les candidats sélectionnés se préparent aujourd’hui à participer à une compétition entre le 2 et le 4 novembre à Johannesburg. Les gagnants bénéficieront d’un accompagnement, l’objectif étant d’aboutir à des productions et créations multimédia finalisées combinant le meilleur de la créativité africaine et du savoir-faire français.
Au Nigeria, la vogue du e-commerce entraîne l’arrivée de nombreux investisseurs, qui profitent ainsi de l’émergence de la classe moyenne et de la démocratisation de l’accès à Internet. D’après un sondage réalisé par PayPal en 2015, 65 % des internautes sur mobile, ce qui représentait 61 millions de personnes, ont coutume d’effectuer une partie de leurs achats en ligne. C’est ainsi que Jumia (Africa Internet Group/AIG) a levé 325 millions de dollars auprès de Goldman Sachs, Axa et Rocket Internet, imitant ainsi Axa qui avait déboursé un mois plus tôt 75 millions d’euros pour s’emparer de 8 % d’AIG.
En matière de technologie, le Kenya s’est fait connaître il y a quelques années avec le lancement du mobile paiement. « Aujourd’hui, Nairobi est un leader, un des trois grands pôles technologiques au sud du Sahara, avec Lagos et Le Cap », affirme Marie-Gabrielle Rosenblieh, chargée de développement export Technologie et Services chez Business France Kenya. Le déclencheur a été M-pesa, la plateforme de paiement en ligne du groupe Safaricom, détenu à 40 % par Vodafone.
« Lancée en 2007, elle a permis à toute une frange de la population non-bancarisée de payer sans avoir à se déplacer, son succès étant dû aussi au fait de sa présence universelle sur le territoire, puisque ses agents sont les petits commerces », explique la responsable de Business France. Symbole de la révolution technologique au Kenya, M-pesa a ensuite essaimé hors des frontières nationales et, au 31 mars dernier, le système comptait plus de 25 millions d’internautes actifs dans une dizaine de pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe. Par ailleurs, son usage s’est étendu progressivement de la nutrition à l’éducation et la santé.
Dans la foulée de M-pesa, se sont ensuite développés des incubateurs et des espaces de coworking, comme iHub, Nailab ou Nairobi Garage. iHub est un espace de réflexion, de partage pour geeks, investisseurs, entrepreneurs et hackers et pour les jeunes à la recherche d’appuis pour lancer des projets innovants.
Son créateur est Erik Hersman, fondateur quelques années plus tôt de la plateforme Ushahidi, le logiciel africain le plus connu dans le monde. Lancé après les violences postélectorales de 2007-2008 au Kenya, Ushahidi permet de collecter les témoignages envoyés par courrier électronique et SMS, donc de surveiller la corruption locale et les promesses politiques, et de dresser ainsi une carte des violences et des dommages. Ce système de partage de l’information a été vendu ensuite au Chili et à Haïti.
De façon concrète, explique Marie-Gabrielle Rosenblieh, les jeunes « peuvent trouver avec l’iHub des financements, des téléphones portables pour essayer leurs applications mobiles, un bureau, ce qui permet de les professionnaliser, un centre de recherche pour effectuer des tests et des études et, depuis peu, un centre de test du matériel ». Les admirateurs du modèle kenyan affirment que toutes ces initiatives, parfois soutenues par le gouvernement, ont abouti à une démocratisation et une décentralisation de la gouvernance, avec, en prime, une plus grande efficacité des décisions et au moindre coût. Reste que le Kenya doit surtout faire preuve d’habileté dans le domaine des applications mobiles. Aujourd’hui, il lui reste bien d’autres segments à explorer dans les technologies de l’information et la communication.
François Pargny