Si les clignotants sont au rouge côté risques, les entreprises exportatrices ne doivent pas pour autant opter pour un repli. Notre partenaire, le cabinet de recherche économique Thierry Apoteker Consultants (TAC), leur livre repères forts et outils clés pour rester dans la course.
Au début de 2011 (voir Le Moci ° 1882 du 20 janvier 2011), les experts de TAC avaient lancé un appel à la prudence relative, car les effets indirects et parfois différés de la crise financière globale de 2008-2009 n’avaient pas encore été absorbés. L’année qui vient de s’écouler a de fait été caractérisée à la fois par une nette montée des risques (pays avancés comme en développement), des craintes aiguës de dérèglement profond des mécanismes économiques et financiers internationaux (la zone euro peut-elle et va-t-elle éclater ?), et des sorties parfois violentes de situations difficiles (comme l’ont montré les événements du printemps arabe). 2012 s’ouvre donc dans un climat très pesant, où l’aversion la plus complète au risque tient lieu de stratégie et où la tentation du repli frileux et prudent devient irrésistible.
Dans ce cadre, il est essentiel de ne pas suivre les comportements moutonniers et de mesurer, au contraire, que ces périodes de forte volatilité, d’incertitude et de grande inquiétude sont aussi des moments d’opportunité rares pour prendre un avantage qui deviendra décisif lorsque le ciel économique s’éclaircira.
Il ne s’agit évidemment pas de pousser à des prises de risques inconsidérées (une mauvaise opération sur un acheteur important peut affecter brutalement la santé globale de l’entreprise exportatrice). C’est pourquoi il est particulièrement important, dans cette incertitude prégnante, de se reposer sur quelques repères simples et forts d’un côté, et sur quelques outils clés pour que la fonction de détection des risques critiques soit assurée.
I/ Trois repères simples pour 2012
Dans l’incroyable cacophonie de nouvelles toutes plus alarmistes les unes que les autres, il est difficile au chef d’entreprise ou au responsable export de garder un cap et de maintenir les stratégies de développement, qui doivent rester, comme toujours, un équilibre entre audace et prudence. Comme il est assez peu probable que la situation redevienne calme comme par enchantement au cours de cette année 2012, ces repères doivent rester en permanence dans les réflexions opérationnelles.
1/ Ne pas céder à la panique ambiante
C’est un repère finalement simple. Oui, la zone euro a des difficultés. Oui, ces difficultés sont ardues à résoudre, à la fois parce que les marchés financiers et les décideurs politiques ne sont pas (et ne peuvent être) sur les mêmes rythmes, de l’instantané pour les premiers à la négociation politique et diplomatique pour les seconds. Et parce qu’une grande part des difficultés de la zone euro tient à des facteurs financiers spéculatifs, eux-mêmes alimentés par des politiques monétaires offrant une liquidité immédiate à coût zéro (ou presque), incitant alors aux prises de positions financières à très court terme et fort levier de dette.
Mais la construction européenne s’est faite, tout au long de son histoire, par des épisodes de tensions suivis par des moments d’avancée institutionnelle majeure. Nous sommes aujourd’hui dans une situation analogue, où chacun comprend, primo, qu’une union monétaire « optimale » doit intégrer des mécanismes de solidarité et de transferts fiscaux des plus résistants aux plus faibles,secundo, que ces mécanismes de solidarité ne peuvent être mis en place sans contrôle voire sanction potentielle, tertio, que ceci implique de nouveaux transferts de souveraineté, à quoi les pays renâclent naturellement mais qui seront in finebeaucoup moins coûteux qu’un éclatement de la zone.
Surtout, pour les exportateurs français, ce qui se passe dans la zone euro ne doit pas occulter ce qui se passe ailleurs : les États-Unis continuent d’enregistrer une progression de la demande, certes moins rapide que dans les cycles précédents ; l’Asie va ralentir… mais avec des taux de croissance qui se maintiendront proches de 8 % en 2012, l’Afrique subsaharienne verrait son PIB augmenter de près de 6 %… Au total, le FMI anticipe une progression du PIB mondial se situant entre 3 % et 4 % en 2012, certes en ralentissement par rapport aux 5 % de 2010 et aux 4 % de 2011, mais encore bien au-dessus de la récession de 2009 (- 0,7 % pour l’ensemble du monde – voir graphique en PDF).
2/ Renforcer la différenciation entre pays et risques
C’est sans doute une évidence qu’il n’est pas inutile de rappeler : en période de fortes incertitudes, les entreprises doivent mener davantage d’investigations et d’analyses sur les éléments qui différencient les pays entre eux.
N’oublions pas qu’il y a, à l’intérieur des grandes zones géographiques, de très profondes différences de situations et de perspectives : la Chine n’a pas les mêmes contraintes ou enjeux que l’Inde, les risques encourus sont très différents s’il s’agit de l’Indonésie, de la Thaïlande ou la Corée. De même, il faut distinguer en Europe (Pologne versusHongrie), en Afrique subsaharienne (Ghana versusRépublique démocratique du Congo) comme en Amérique Latine (Pérou versus Venezuela).
Le graphique « Risque pays en situation de crise éxogène » permet d’illustrer ces très fortes différences entre pays à partir d’outils quantitatifs de mesure du risque pays : sur l’axe vertical, TAC mesure la fragilité endogène des différents pays, à partir de leurs performances macroéconomiques et financières, mais aussi à partir de leurs caractéristiques politiques et de gouvernance ; plus la note est élevée, plus le risque est fort. Sur l’axe horizontal, nous mesurons le degré de sensibilité des pays en développement aux tensions actuelles en Europe, avec ici aussi un score d’autant plus élevé que cette transmission est forte. On comprend alors très aisément que les pays qui se situent en haut et à droite de ce graphique présentent des risques plus importants dans les circonstances actuelles.
3/ Se préparer à la prochaine étape d’internationalisation des échanges
Ce repère est sans doute celui qui reste encore le plus flou pour les entreprises exportatrices, en particulier les PME. Il s’agit là d’une tendance lourde, de moyen terme, qui voit se renforcer les échanges à l’intérieur des différentes zones géographiques davantage qu’au travers des échanges plus « globalisés » et plus lointains. Ceci tient naturellement à la hausse des coûts de transport et de logistique, mais aussi à la multiplication ou à l’intensification des accords de libre-échange régionaux (par exemple, en Asie, Asean – Association des nations d’Asie du Sud-Est – puis Asean + Chine, puis Asean + Japon…) et à l’amélioration des infrastructures régionales de transport. Cette tendance suggère que les entreprises doivent d’ores et déjà s’interroger sur leur présence mondiale en termes d’investissement et de production, non plus dans le but de réduire les coûts et de réexpédier les produits en France ou en Europe, mais pour tirer le meilleur profit de la nouvelle phase d’expansion des échanges.
II/ Trois risques clés et les outils pour les surveiller
Les trois grands repères précédents n’effacent naturellement rien des risques qui continuent de peser sur la dynamique économique mondiale. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut résumer ici trois facteurs clés qui pourraient faire basculer la situation d’un côté (amélioration inattendue) ou de l’autre (tensions majeures) au cours des douze prochains mois. Pour chacun de ces facteurs, on peut également indiquer comment suivre l’évolution du risque, sachant qu’un dispositif de veille sur les risques pays demande naturellement beaucoup plus d’informations et de points à surveiller.
1/ Les tensions au Moyen-Orient et les risques sur les prix de l’énergie
Une montée plus violente des tensions géopolitiques autour du golfe Arabo-Persique aurait des répercussions très négatives sur les perspectives économiques mondiales, renforçant les éléments récessifs dans les pays développés et créant de nouvelles pressions inflationnistes dans les pays en développement.
À surveiller : la volatilité quotidienne ou hebdomadaire des cours du brut, toute montée brutale signalant l’imminence de tensions fortes.
2/ Le risque d’atterrissage brutal de l’économie chinoise
Le retournement des marchés immobiliers et les craintes de difficultés bancaires se combinent avec le ralentissement des exportations. Pour le moment, la probabilité reste forte d’un tassement, visible mais raisonnable, de la croissance chinoise (8 % attendus en 2012), mais un scénario de perte de contrôle, notamment des dépenses d’investissements ou des crédits distribués, pourrait mettre en œuvre un cercle vicieux conduisant à un ralentissement beaucoup plus brutal.
À surveiller : les chiffres mensuels ou trimestriels de dépenses d’investissement en Chine, une progression (sur un an) en dessous de 12 % indiquant un risque plus aigu.
3/ Les aléas de calendrier entre sortie difficile de la crise en Europe et risques financiers aux États-Unis
Ici encore, le scénario central reste celui d’une sortie, compliquée et chahutée, des difficultés financières de la zone euro, mais des ruptures « non linéaires » ne sont évidemment pas impossibles. Symétriquement, la relative tenue de la croissance américaine, la persistance d’un déficit public élevé et une année électorale laissent présager un risque financier (marchés obligataires) sans doute sous-estimé aujourd’hui. Cette double incertitude suggère le maintien d’une forte volatilité sur le taux de change entre euro et dollar.
À surveiller : les indicateurs désormais traditionnels de surveillance de la crise souveraine, notamment les taux des obligations gouvernementales italiennes, espagnoles et même françaises.
Thierry Apoteker, président, et Arnaud Latinier, économiste senior, TAC