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Au tour d’Ubifrance : questions à christophe lecourtier, directeur

« La future équipe de France de l’export va en partie s’appuyer sur les priorités qui sont celles des régions »

Alors que le nouveau ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, s’installe dans ses fonctions,Le Moci termine son panorama des vérités du commerce extérieur français et de son dispositif d’aide, en donnant la parole à Christophe Lecourtier, directeur d’Ubifrance depuis un peu plus de quatre ans. Tout en répondant aux critiques, il livre son bilan et esquisse ce qui pourrait être le ticket gagnant de la future équipe de France de l’export.

Le Moci. Ces derniers temps, on a vu les acteurs de l’équipe de France de l’export communiquer chacun de leur côté. Une guerre des bilans ? Un signe de délitement ?

Christophe Lecourtier. Non, c’est un nouveau printemps pour une nouvelle équipe. Il est naturel qu’un nouveau gouvernement fasse le bilan de l’action des uns et des autres et, comme un nouveau chef d’orchestre, indique quelle sera la direction et, le cas échéant, la place des différents joueurs si on estime que celle qui leur avait été accordée ces dernières années n’était pas forcément la bonne. 
On ne peut pas dire que l’équipe de France de l’export soit aujourd’hui la championne du monde. Il y a certainement matière à ce que l’on redéfinisse sa tactique de jeu et surtout les critères qui permettent de juger de son efficacité.

Le Moci. Donc, plutôt qu’une guerre des bilans, un jeu de positionnement ?


C. L. Dans la période récente, on a sans doute privilégié le casting sur le scénario. Autrement dit, on a mis sur le devant de la scène beaucoup de représentants de différentes institutions, nationales, locales, professionnelles et autres ; mais reste à écrire encore une fois la tactique qui permettra à ces différentes institutions de bien travailler ensemble au service des entreprises.

Le Moci. Cela signifie-t-il que vous n’êtes pas capable de travailler ensemble ?

C. L. Ubifrance est l’un des acteurs et nous ne pouvons pas être juge et partie, l’arbitre des élégances. Nous n’avons ni la légitimité ni la capacité de fixer des objectifs aux CCI, nos principaux partenaires en région, aux financeurs, aux CCIFE [chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger], aux OSCI [opérateurs spécialisés du commerce international], etc. Nous sommes dans des relations contractuelles avec ces organisations. C’est de l’État, du gouvernement, qu’est venu et que doit venir, de mon point de vue, la fixation des règles du jeu.

Le Moci. Un bon exemple de ce que vous dites est l’agroalimentaire. Il n’y a pas un ministre de l’Agriculture qui ne dise : quand Ubifrance et Sopexa vont-ils s’entendre ?

C. L. Sauf que les mêmes ministres, lorsqu’il leur appartient de trancher, regardent parfois de l’autre côté de la fenêtre… Nous sommes le bras, mais nous ne sommes pas le cerveau d’une politique publique. Dans l’agroalimentaire, Ubifrance a jugé, et le ministre du Commerce extérieur de l’époque avec elle, qu’il était totalement invraisemblable que, dans ce secteur d’excellence où nous avons perdu des parts de marché, l’agence s’interdise de faire de l’accompagnement et qu’elle soit cantonnée, comme le souhaitait le ministère de l’Agriculture à l’époque, à la production de statistiques. Mais aujourd’hui, avec Ubifrance plus Sopexa, les entreprises de ce secteur bénéficient d’une offre de salons bien supérieure à ce qu’elles avaient il y a quatre ans quand il n’y avait que Sopexa. D’une certaine manière, elles sont gagnantes. Cela étant, nous aurions souhaité qu’il y ait une rationalisation plus grande dans le rôle respectif de ces deux organisations, même si ma conviction depuis le début est que rien n’est pire que le monopole. Ce qui compte, c’est la satisfaction du client.

Le Moci. On observe depuis l’an dernier un consensus autour de l’idée qu’il faut moins d’objectifs strictement quantitatifs et plus de qualitatifs. Justement, l’étude Ipsos dont vous avez diffusé les résultats le 12 juin montre que, un an après, seulement 32 % des entreprises que vous avez accompagnées au 1er semestre 2011 ont concrétisé l’accompagnement avec des contrats. Est-ce satisfaisant ?

C. L. Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il faille abandonner tout objectif quantitatif. Il faut se rappeler d’où l’on vient. En 2007, Ubifrance organisait environ 4 330 missions d’entreprises par an entre les salons professionnels et les missions collectives et individuelles. L’année dernière nous en avons fait un peu plus de 15 000. Ce faisant, nous nous sommes tout simplement mis au niveau de la demande des entreprises françaises et au niveau de ce que doit être une agence nationale de service public. Nous gérions auparavant la problématique d’internationalisation des PME avec malthusianisme parce que personne ne l’avait érigée en problème central. 

C’est cette approche qui a été renversée à partir de 2008 : faire de la question des PME à l’international un sujet de politique publique résolument central, et demander par conséquent à l’agence Ubifrance d’être capable de traiter un volume important, d’être l’acteur central de cette politique publique. Et c’est ce que nous avons fait. Aujourd’hui, l’État nous demande de surcroît de mesurer l’impact de ces actions. C’est l’objectif de la première vague d’études Ipsos. Elle livre, à mon avis, deux informations importantes :

• la première est que nous avons réussi le repositionnement de l’agence depuis les métiers traditionnels de l’information, qui étaient ceux de l’ancien CFCE, vers le mé­tier nouveau qu’est la « mise en relation », qui correspond aux besoins des PME et qui porte ses fruits puisque 80 % des entreprises clientes nous disent qu’Ubifrance a été capable de leur faire rencontrer des contacts à potentiels nouveaux, c’est-à-dire des partenaires pertinents ;

• la deuxième est que 60 % indiquent à Ipsos que ces contacts ont donné ou vont donner matière à contrat, à courant d’affaires, dont 32 % d’ores et déjà acquis, 28 % sur le feu, en cours. Au total, quasiment deux tiers de nos clients disent que non seulement les contacts étaient pertinents, mais encore que quelque chose s’est concrétisé ou est en cours. C’est évidemment très encourageant pour notre action.

Le Moci. S’agit-il spécifiquement des clients d’Ubifrance ou de ceux de l’équipe de France de l’export ?

C. L. Spécifiquement ceux d’Ubifrance ; nous sommes les seuls parmi tous nos partenaires, non seulement à avoir accru notre productivité dans des proportions importantes, mais encore à mesurer aujourd’hui l’impact de nos actions.

Le Moci. Depuis qu’Ubifrance s’est donné des objectifs commerciaux sur des offres d’accompagnement individuel, les consultants privés, tout comme les CCIFE, reprochent à l’agence de leur faire une concurrence déloyale… Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

C. L. J’aimerais insister sur deux aspects. Premièrement, l’essentiel de notre activité est et restera l’accompagnement collectif. C’est vraiment notre core business. Pour vous donner une idée, sur plus de 15 000 missions d’entreprises que nous avons réalisées en 2011, plus de 11 500 sont des missions collectives d’entreprises et 3 400 des missions individuelles. Deuxièmement, nous avons choisi de conserver des produits qui existaient déjà par le passé, notamment des missions de prospection individuelles qui s’inscrivent dans le premier segment de la découverte d’un marché, celui où il me semble que le service public est le plus légitime. Ce sont des services qui existent dans la plupart des autres agences européennes. 

Nous pensons que l’action des CCI et des privés devrait s’inscrire en complémentarité de ce que nous faisons : lorsque l’entreprise, grâce à nous, a fait ses premiers pas sur un marché et veut s’y ancrer davantage, elle aura besoin de ressources qu’Ubifrance ne fournit pas : représentation, domiciliation, accompagnement commercial, etc. 

Avec la CCIFE d’Allemagne, par exemple, qui est la plus rentable des CCIFE, nous avons une complémentarité qui fonctionne bien, sans conflit. Lorsque nous travaillons avec Pramex [cabinet de conseil en développement], avec qui nous venons de signer un accord, ou avec Erai [Entreprise Rhône-Alpes international], ce sont des services tout à fait complémentaires des nôtres : fusion-acquisition pour Pramex, domiciliation pour Erai.

Le Moci. Dans les rémunérations des collaborateurs, il y a une part variable qui dépend du chiffre d’affaires et aurait pu générer des dérives…

C. L. Il y a une part variable dans la rémunération de tous les collaborateurs de l’agence, ce qui me paraît être un élément d’incitation qui n’est pas spécialement commercial. Mais elle n’est en rien indexée sur leur chiffre d’affaires, mais sur la réalisation de leur part des objectifs nationaux attribués à l’agence par l’État. Autrement dit, sur le nombre d’entreprises accompagnées à l’étranger dans le pays où leurs équipes travaillent et, désormais, sur le nombre d’entreprises qui auront développé un courant d’affaires. C’est un engagement à la fois de moyens et de résultats qui est donné à moi-même et à tous les collaborateurs de l’agence. Il n’y a pas de dérive, au contraire. C’est l’expression d’une ambition collective et individuelle en faveur de la réussite commerciale de nos clients !

Le Moci. Que représente cette part variable ?


C. L. Un maximum de 10 %. Quand j’étais secrétaire général du Trésor, j’ai introduit le premier un élément de part variable dans la rémunération de l’administration centrale. Les gens qui s’étonnent de ça sont soit mal informés soit malintentionnés.

Le Moci. Quelle est la part du CA commercial dans votre budget ?


C. L. Ubifrance c’est un peu moins de 100 millions d’euros par an, dans le cadre d’une Convention d’objectifs et de performance sur trois ans (2012-2014 pour la dernière signée). Notre modèle est mixte : l’État apporte un peu plus des deux tiers du financement, et environ 30 % est un ticket modérateur, la part qui est payée par l’entreprise. Elle est bien inférieure au coût des prestations, ainsi nous sommes bien dans une logique de service public. Nous avons fait il y a un an une étude comparative d’offre tarifaire sur la base d’un même cahier des charges auprès d’une quinzaine d’acteurs de l’accompagnement des entreprises – privés, CCI, banques… – et nous nous sommes aperçus que les tarifs allaient de 1 à 10. Ubifrance affichait le tarif le plus bas, très loin derrière les autres, non pas parce qu’elle est plus vertueuse, mais parce qu’elle est un service public. Quand Ubifrance était modeste, qu’il y avait un vide que les entreprises et la CGPME dénonçaient, pourquoi les CCIFE, les OSCI et autres ne se sont-ils pas saisis de la cause de l’internationalisation des PME ? À partir du moment où l’on considère que l’internationalisation des PME est un enjeu national, on se dote d’un organisme qui aide les PME à passer à l’acte. Une fois qu’elles ont passé la frontière, le relais peut tout à fait être pris par les privés. Au contraire.

Le Moci. Avez-vous une quelconque inquiétude sur le rôle et les moyens qui seront donnés à Ubifrance ?

C. L. L’État nous a demandé, au travers du COP [contrat d’objectifs et de performances] de continuer à assurer le service public pour un très grand nombre d’entreprises françaises tout en mesurant l’impact de ce que nous faisons. J’aimerais que tous les membres de l’équipe de France de l’export soient animés par les mêmes principes d’ambition et d’efficacité. Au-delà, c’est à la nouvelle ministre [du Commerce extérieur, Nicole Bricq] qu’il appartient de tracer la voie.

Le Moci. Quelle importance donnez-vous à la restructuration de votre dispositif à l’étranger, les délégations de service public (DSP), la régionalisation… ? Cela ne va pas très rapidement, franchement, notamment les DSP.

C. L. Les DSP ont été accordées suite à des appels d’offres, puis il y a des négociations. Au-delà, il faut que le dispositif d’Ubifrance reste plastique est capable de couvrir les zones en plus forte croissance, là où il y a la plus forte demande des entreprises françaises. Il doit être en permanence questionné dans sa pertinence et son efficacité. Nous n’avons guère les moyens d’être présents au-delà des 60 pays où nous sommes aujourd’hui. Par conséquent, il est intéressant de pouvoir s’appuyer sur des organisations privées et j’espère que la politique de DSP sera poursuivie. Ce n’est pas à moi d’en décider. 

Le Moci. Comment fait-on pour convaincre les entreprises d’avoir une politique dans la durée ? Car le problème n’est pas tant le nombre d’entreprises exportatrices que le fait que beaucoup disparaissent des statistiques deux ou trois ans après…

C. L. 
Votre question renvoie à deux aspects. Nous, nous pensons que les relations avec les régions doivent être redéfinies. À tort, les régions ont été un peu les parents pauvres des dernières générations de l’équipe de France de l’export. Or, elles ont la compétence en matière de développement économique, elles ont défini dans la plupart des sites des priorités et elles ont la capacité à accompagner un certain nombre de pôles d’excellence dans leur développement. L’action des régions est déjà la garantie d’un accompagnement dans la continuité d’un certain nombre d’entreprises dans leur développement.
 
Deuxième acteur qui nous semble très intéressant : la future banque publique de l’investissement qui rassemblera, dans un pôle public, tous ceux qui concourent au financement des entreprises, en particulier des PME. Ma conviction est qu’entre ces différents acteurs et nous, Ubifrance, il y a quelque chose à faire pour assurer l’émergence d’entreprises dotées des ressources et de la vision suffisantes pour avoir un comportement stratégique à l’export et pas simplement un comportement opportuniste.

Notre sentiment est que la cohérence de la future équipe de France de l’export va en partie s’appuyer sur les priorités qui sont celles des régions en matière de pôles d’excellence, en partie sur le savoir-faire d’un pôle financier qui sera capable – c’est en tout cas ce que le gouvernement souhaite – de doter les entreprises des ressources pérennes nécessaires à leur développement y compris export, et associer la politique du commerce extérieur. 

Et c’est cette cohérence-là qui permettra sans doute de donner une équipe encore meilleure que par le passé. Car ma conviction personnelle est que ces nouveaux champions que la banque d’investissement va faire émerger vont devoir faire preuve d’« ubiquité » dans leur développement international car le monde est devenu ultra-compétitif : une entreprise qui aura un bon produit innovant, disposera de ressources financières et d’un business plan devra se projeter très vite sur tous les marchés susceptibles d’être intéressés par son produit. 

Le Moci. L’équipe de France peut-elle accueillir de nouveaux partenaires ?


C. L.
 Les choses sont simples : il y a deux partenaires majeurs en régions dont les rôles doivent être mieux définis. D’une part les régions, dont je viens de parler, et d’autre part les CCI. Il faudra voir quelles sont les missions que l’État souhaitera donner à l’un et à l’autre. Au centre du dispositif, c’est sans doute autour du pôle de financement que tout se joue parce que, comme vous le dites, il y a trop de petites entreprises à l’export fragiles, volatiles. Et à l’étranger, nous pensons que notre dispositif, sans avoir aucun monopole, doit continuer à permettre à ces entreprises de défricher les marchés, de rencontrer les bonnes personnes… et de faire des affaires.

Propos recueillis par Christine Gilguy et François Pargny

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