Non seulement mon client polonais voulait d’autres tables, mais mon client coréen aussi.
Avec un FCA (règles Incoterms ICC 2010), je n’avais qu’à prévenir la production de l’arrivée des commandes. Ensuite, soit je chargeais le conteneur chez moi (FCA mon quai), soit j’expédiais ma semi au Havre et c’est le commissionnaire de mon client qui la déchargeait. Mon client coréen pouvait me demander davantage de tables, je ne voyais pas vraiment la différence. C’est là qu’on m’a dit que je pourrais peut-être apporter un peu plus de service à mon client. Pourquoi pas, mais quoi ? Il voulait que je mette des rubans autour mes tables ?
En fait, ce que me proposait mon conseiller, c’était de livrer les tables en Corée ! J’ai d’abord pensé qu’il était malade. D’accord, je livrais des tables en Pologne, mais la Corée c’est autre chose. C’est loin. Il y a la mer. Ils parlent une autre langue (d’accord en Pologne aussi, mais ce n’est pas pareil). Il y a un décalage horaire (d’accord, en Pologne aussi, mais ce n’est pas pareil, c’est moins).
On m’a expliqué que charger une semi pour la Pologne ou charger un conteneur pour la Corée, justement, c’était pareil. On faisait un appel d’offres auprès de commissionnaires de transport qui « font la Corée », après avoir écrit un cahier des charges. J’avais déjà entendu ça quelque part.
D’abord, il fallait s’assurer que le client était d’accord. Dans mon cas, l’idée lui a plu. Je pensais bien que, si je livrais en Corée, on ne pouvait pas garder le FCA puisqu’avec un FCA, moi, j’arrêtais de m’occuper de la marchandise en France. Comme s’il avait compris à quoi je pensais, mon conseiller a commencé à m’en parler.
1/ Passer de FCA à DAP
En FCA, je m’occupe de la marchandise jusqu’à ce que je la remette au commissionnaire de mon client, en France. Si je veux m’occuper de mes tables jusqu’en Corée, il faut passer à une autre règle Incoterm ICC 2010 : le DAP, qui me paraît idéal. Avec un DAP, je m’occupe de l’organisation du transport jusqu’en Corée, au port de Busan, je paie le transport et je supporte le risque sur la marchandise. C’est-à-dire que s’il y a un dommage ou une perte, c’est moi qui devrais m’en occuper. Pour un client, coréen ou autre, trouver un fournisseur qui prend en charge le transport et ses risques jusqu’au port de destination, est relativement rare. C’est la preuve que le fournisseur est sérieux et compétent en commerce international.
Puisque mon client était d’accord, il restait deux points à voir :
• vérifier que la règle Incoterm ICC 2010 et le crédoc ne sont pas en contradiction ;
• combien j’allais lui facturer.
Je devais demander au client de modifier le crédoc.
Trois rubriques sont concernées :
• la rubrique 44C et la date limite d’expédition ;
• la rubrique 45A et la règle Incoterm ICC 2010 ;
• la rubrique 46A et les documents que je devrais produire.
• 44C et date limite d’expédition
Il faut garder cette date et ne pas confondre la date d’expédition et la date de livraison de la marchandise en Corée.
La date d’expédition est la date de remise à la compagnie maritime. Elle est matérialisée par le titre de transport par voie maritime. Ça s’appelle un connaissement maritime (Bill of Lading, B/L, en anglais, voir l’exemple sur la page 2 en cliquant ici).
• 45A et la règle Incoterm ICC 2010
Il faut changer aussi la règle Incoterm et écrire : DAP, règle Incoterm ICC 2010, port international de Busan, non déchargé.
Il n’est pas nécessaire de demander à son organisateur commissionnaire de transport (OCT) l’adresse exacte du lieu de mise à disposition de la marchandise non déchargée, non dédouanée à l’importation. Le contrat DAP, règle Incoterm ICC 2010, port international de Busan, non déchargé, indique que le lieu de livraison est « port international de Busan », « marchandise sur le navire ». C’est l’autorité portuaire ou le gestionnaire du port qui indiquera, le moment venu, au commandant de bord où amarrer le navire (bassin, quai…).
Avec un crédoc, c’est la compagnie maritime qui va prévenir le destinataire. Dans le cas présent, le destinataire, c’est la banque de mon client. Alors elle va « endosser » le connaissement (comme on faisait pour les chèques, avant) à l’ordre de mon client qui pourra aller chercher le conteneur. S’il ne veut pas aller chercher le conteneur, il « endosse » le connaissement à l’ordre de son commissionnaire de transport qui ira chercher le conteneur pour lui.
• 46A et les documents que je devrai produire
Dès que ma marchandise est partie, le connaissement établi par la compagnie maritime me revient en double exemplaire. Mon conseiller m’a bien précisé qu’il fallait que je demande un connaissement négociable, avec la banque de mon client comme destinataire (consignee en anglais) et mon client en notify (en anglais dans le texte). C’est ce document qu’il faut que je donne pour le crédoc. Si on prenait en compte la date de livraison en Corée, cela retarderait le paiement de près d’un mois.
Repère
Trop d’EXW en France !
Plus de 60 % des entreprises françaises vendent en EXW à l’export ! C’est ne pas avoir le sens du service client.
En Asie au contraire, les fournisseurs ont souvent une très bonne maîtrise des techniques du commerce international. Commerçants avertis ils vous proposeront des tarifs de vente, en FOB port de départ ou CIF port de destination. Ainsi, ils prennent en charge les risques jusqu’aux points de sortie de leur territoire (qu’ils connaissent). Ils acceptent aussi de prendre en charge le transport international jusqu’à un port de destination, mais pas les risques.
Le conseil de rodolphe
Assurez-vous que vous n’aurez pas à payer les frais de déchargement au port de Busan. La règle Incoterm ICC 2010 DAP n’étant pas souvent utilisée, votre commissionnaire peut faire l’impasse et vous facturer les THC (frais de déchargement des conteneurs) à Busan. Les THC à Busan sont de 129 euros pour un conteneur de 40’ et 96 euros pour un 20’. C’est moins qu’au Havre, 185 euros quel que soit le conteneur.
Repère
« Consignee » et « notify »
Ou destinataire et personne à prévenir.
• Sur un connaissement maritime négociable, le consignee, destinataire, est celui qui pourra retirer la marchandise à son arrivée au port. Avec un crédoc, c’est la banque de l’acheteur.
• Le notify, c’est celui qui sera prévenu de l’arrivée de la marchandise.
Avec un crédoc, c’est le client, l’acheteur de mes chaises. Toujours avec le même crédoc, la banque endossera le connaissement au profit de l’acheteur ou, en termes techniques, le consignee endossera le B/L à l’ordre du notify.
2/ L’assurance en maritime
On a vu qu’en routier international, la marchandise était assurée à hauteur de 8,33 DTS/kg.
En maritime, selon les règles de La Haye-Visby (art. 4 §5), c’est 666,67 DTS le colis ou l’unité de chargement, ou 2,00 DTS le kg brut de marchandise à l’avantage de la compagnie.
C’est-à-dire qu’entre les deux montants, c’est le plus élevé qui s’applique.
Si on applique 666,67 DTS le colis, avec le DTS à 1,26 euro (EUR) cela fait 839 euros, pour le conteneur, alors que j’y ai empoté 234 tables à 360 euros, donc 84 240 euros en tout. 839 euros d’indemnité pour 84 240 euros de marchandise, ça ne va pas.
Avec 2,00 DTS le kg brut de marchandises, j’ai 9 tables par palette, soit 225 kg, plus la palette, 15 kg, soit 240 kg par palette. 26 palettes = 6 075 kg
par 2,00 DTS = 12 150 DTS à 1,27 euro/DTS, cela fait 15 430 euros d’indemnité pour mes 234 tables sur 26 palettes dans un conteneur et qui coûtent 84 240 euros. Ça ne va pas non plus.
(Source pour la valeur des DTS : http://www.imf.org/external/np/fin/data/rms_sdrv.aspx).
Je vais donc continuer avec l’assurance « ad valorem ».
3/ La facturation
N’oubliez pas de porter les mentions obligatoires sur la facture. L’indication des conditions de ventes Incoterms ICC 2010 est obligatoire dans certains pays. En cas d’absence sur la facture, les services douaniers considèrent par défaut que le prix est « EXW ». L’incidence peut être lourde pour l’importateur, les droits de douane étant calculés sur la valeur des marchandises déterminée au point d’entrée (port, ou frontière) dans le pays. L’assiette des droits sera augmentée du montant du transport et frais y afférent. En somme, l’importateur paiera 2 fois les droits de douanes et taxes sur les coûts et frais de transports de l’usine de son fournisseur au point d’entrée dans son pays. D’où l’importance de ne pas oublier de préciser l’Incoterm sur la facture.
Important : Il y a des accords d’origines préférentielles entre l’Union européenne (UE) et la Corée du Sud (accord de libre-échange). Pour que mon client puisse en bénéficier, je dois obtenir de la douane une autorisation d’EA (Exportateur Agréé).
J’indique sur ma facture la mention : « L’exportateur des produits couverts par le présent document (autorisation douanière n° FR00…/…) déclare que, sauf indication claire du contraire, ces produits ont l’origine préférentielle… CE (cas général) ».
Voir BOD n° 6833 relatif à l’EA du 20/07/2009.
Si je m’occupe d’envoyer mes tables jusqu’en Corée, il va falloir que je paie pour ça.
Pour bien comprendre, j’ai choisi d’imaginer ce qui arrive à mes tables. C’est mon conseiller qui m’a appris ça : en transport international, pour comprendre un sujet, une question ou un problème, il faut imaginer où se trouve la marchandise, dans quel pays, dans quel port, dans quel entrepôt, chez quel prestataire, si elle est dédouanée à l’export, à l’import… Il faut essayer de la visualiser, prenez votre bloc et un crayon et reproduisez un schéma du flux avec les différents événements, c’est le plus pratique.
Donc, ma marchandise est dans mon usine et elle doit être empotée dans un conteneur.
Le prix de vente de mes tables au départ de l’usine est de 84 240 euros.
Deux solutions :
• le conteneur vient à la marchandise (dans mon usine) ;
• la marchandise va au conteneur (au port).
(Les valeurs données dans l’exemple ci-contre et résumées dans le tableau sont indicatives et ne reflètent pas la réalité mais des ordres de grandeur).
D’après les chiffres donnés par le commissionnaire, organisateur commissionnaire de transport (OCT) que j’ai choisi après l’appel d’offres :
• si le conteneur vient à la marchandise, il m’en coûtera 720 euros. Ce montant inclut la mise à disposition du conteneur à mon usine puis le transport du conteneur chargé jusqu’à l’entrepôt de mon OCT au Havre. À noter que c’est moi qui charge le conteneur à mon usine ;
• si la marchandise va au conteneur, il m’en coûtera : transport Saint-Brieuc => entrepôts Le Havre : 410 euros ; déchargement entrepôt et empotage conteneur 0,25 euro/kg (min. 40 euros/envoi), soit 6 075 x 0,25 = 1 518 + 410 = 1 928 euros.
Évidemment, c’est le conteneur qui viendra à la marchandise pour 720 euros.
Il y a aussi des frais administratifs :
– frais de B/L : 30 euros ;
– frais douaniers de mise à l’exportation : 35 euros.
Arrivées là, mes tables sont dans le conteneur, au Havre, prêtes à être chargées sur le navire. Pour les charger, comme pour les décharger, il y a des Terminal Handling Charges (THC), frais de manutention au port. THC : 185 euros/container. Là mes tables sont à bord, prêtes à appareiller. Hardi petites !
Pour aller jusqu’à Busan, le port de Corée, cela va me coûter 574 dollars US (USD) pour le conteneur. Habituellement, le fret, qui correspond au transport de la marchandise du port de départ au port d’arrivée, est exprimé en dollars US, euros ou yens japonais. Ici, c’est en dollars US. En plus, il y a des « surcharges », surtout deux : la BAF et la CAF.
• La BAF, c’est la Bunker Adjustment Factor (facteur d’ajustement sur le fioul), c’est une surcharge que l’expéditeur paie pour couvrir la compagnie maritime des évolutions du montant du gazole. Elle peut aussi s’appeler IFP (Interim Fuel Participation) : 902 USD/conteneur.
• La CAF, Currency Adjustment Factor (facteur d’ajustement monétaire) est une surcharge que l’expéditeur paie pour couvrir la compagnie maritime des évolutions du montant de la devise de facturation par rapport à l’euro. C’est un pourcentage sur le montant du fret et de la BAF. Sur la Corée, c’est 11,26 %.
Les surcharges peuvent, théoriquement, être négatives. Ça arrive parfois.
Ça y est, mes tables sont arrivées à Busan, port de Corée, non déchargées, comme l’Incoterm le précisait, après environ 28 jours de traversée. Bien joué, moussaillon !