Dans une Tunisie en plein bouillonnement, les investisseurs et les exportateurs peuvent s’appuyer sur une administration reconnue pour son expertise. Dans les ministères techniques, les hauts fonctionnaires sont restés en place. En revanche, le climat social reste tendu, notamment dans les régions les plus pauvres du pays.
« L’administration est solide. » Tel est le plaidoyer que l’on entend régulièrement dans les bureaux des grands ministères techniques, à Tunis, depuis la nomination en décembre 2011 du premier gouvernement tunisien issu d’élections législatives démocratiques. Noureddine Zekri appartient à la catégorie des hauts fonctionnaires. Comme nombre de ses pairs, il a été reconduit à la tête de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (Fipa). Une aide précieuse pour le ministre en charge de l’Investissement et de la Coopération internationale, Riadh Bettaieb, un ancien homme d’affaires en France et en Tunisie, mais sans expérience politique comme tous les membres du gouvernement.
Or, les investissements directs étrangers (IDE) en Tunisie ont fondu de 25,7 % en 2011 par rapport à l’année précédente. « Il faut relancer la machine en communiquant en Europe sur la nouvelle Tunisie, ses opportunités, ses valeurs, rappeler les avantages du pays en matière de compétitivité et
d’implantation d’entreprises, être, enfin, à l’écoute des sociétés déjà installées, les visiter plus souvent, leur rendre ponctuellement des services d’assistance dans une période pas encore stabilisée », détaille Noureddine Zekri.
L’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (Apii) et le Centre de promotion des exportations (Cepex) participent aussi au programme de promotion de la Tunisie. L’Api, avec ses 24 délégations régionales, le Cepex et la Fipa, avec respectivement 10 et 7 bureaux à l’étranger. « Pour rétablir la confiance, nous sommes tous mobilisés », affirme Noureddine Taktak, directeur général adjoint de l’Api.
L’Api demeure le guichet unique pour les déclarations d’investissement et la création de sociétés. Depuis un an et demi, cette agence, qui dépend du ministère de l’Industrie, possède aussi une mission d’innovation. Elle informe, encadre les entreprises et favorise ainsi la réalisation de projets industriels.
Pour sa part, le Cepex, depuis un an, a enregistré une hausse de 50 % des demandes d’appui logistique et financier. « Depuis la guerre civile en Libye, les entreprises en Tunisie recherchent de nouveaux relais de croissance », constate son directeur général, Abdellatif Hamam. Dans les mois qui viennent, le Cepex va renforcer ses actions dans les pays voisins, Libye et Algérie, et l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (Uemoa). D’après une étude récente, la Tunisie aurait aussi la possibilité de porter sa part dans les importations de l’Uemoa de 0,5 % à l’heure actuelle à 2 % en 2016.
D’autres destinations sont au menu du Cepex, comme les Émirats Arabes Unis – « le marché où nos exportations progressent le plus vite », précise Abdellatif Hamam –, l’Inde et le Pakistan – pour y vendre des produits éthiques et religieux. « Nos actions sont ouvertes à toutes les sociétés en Tunisie, même d’origine étrangère », rappelle le directeur général du Cepex.
Si l’environnement administratif est stable, la situation sociale n’est pas aussi favorable. Aux deux organisations, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui existaient sous le régime précédent, se sont ajoutées, aux lendemains de la Révolution, l’Union des travailleurs tunisiens (UTT) et la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT) et, plus récemment, une seconde organisation patronale, la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect).
Encore aujourd’hui, les seuls interlocuteurs sociaux de l’État sont les institutions « opprimées » sous le régime Ben Ali. Mais le pluralisme étant aujourd’hui une réalité, Riadh Bettaieb ne cache pas que le
gouvernement réfléchit à la façon d’associer les nouvelles organisations. De leur côté, l’UGTT, que l’on disait peu présente dans le secteur privé avant la révolution (10 % au plus de ses membres), et l’Utica, forte de ses 17 fédérations professionnelles et de ses 24 délégations régionales (une par gouvernorat), ont réagi en constituant une commission restreinte ou un comité pour le développement du dialogue social. « Notre objectif est de nouer un pacte social entre l’Utica, l’UGTT et le gouvernement pour relancer l’économie, rétablir la paix sociale et créer de l’investissement et de l’emploi », expose Hichem Elloumi, le président de la Fedelec (Fédération nationale de l’électricité et de l’électronique), fédération membre de l’Utica.
Le patronat craint des revendications abusives, notamment d’individus ou de groupes incontrôlés, en particulier dans les régions intérieures de la Tunisie. Ce sont dans ces zones les plus pauvres du pays que la révolution du jasmin, appelé sur place la révolution de la dignité, a éclaté. La situation y est encore parfois tendue et l’économie informelle et la contrebande s’y sont développées.
Faute d’infrastructures performantes, les entreprises hésitent à s’y développer. Le futur Code
d’investissement, même plus incitatif à l’égard des sociétés qui s’implantent dans les régions intérieures, ne suffira pas. « Ne faudrait-il pas décentraliser davantage et regrouper plusieurs gouvernorats dans des régions économiques fortes disposant d’une certaine autonomie ? », s’interroge Noureddine Zekri, le directeur général de l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (Fipa).
De son côté, Hichem Elloumi s’inquiète de la surenchère syndicale. L’UTT est clairement visé par le patronat. « Les plus grandes grèves sont à mettre à son passif », accuse Nafäa Ennaifer, directeur général du groupe textile TFCE et membre de la commission restreinte UGTT-Utica. Selon lui, ce nouveau syndicat développe volontairement une « stratégie de nuisance », en ciblant les zones populaires, les régions intérieures et des secteurs importants, comme les transports et le pétrole, pour obtenir « une reconnaissance nationale et des financements ».
Quant à l’UGTT, ce syndicat, à l’origine à gauche, est aujourd’hui traversé par différents courants. Selon Nafäa Ennaifer, il est donc difficile de prévoir l’issue des négociations sociales. « Les bénéfices ne peuvent pas aller aux seuls salariés. Il faut aussi être capable de parler de productivité et de formation », estime le représentant de l’Utica.
Pour lui, la réussite des négociations dépendra donc « de la capacité de la centrale syndicale à mettre tout sur la table, de la répartition des bénéfices à la performance en passant par l’absentéisme ». Mais, confronté à la surenchère de l’UTT, quelles seront les positions d’un syndicat craignant de perdre des adhérents ? La réponse sera donnée dans les semaines à venir. L’Utica tiendra lui-même son congrès national en juin. Un nouveau bureau exécutif devrait y être désigné.
F. P.
Développement régional : le temps presse
Parmi les 148 entreprises étrangères qui ont commencé leur activité en 2011, seules 19 sont implantées dans les régions intérieures, les plus pauvres de Tunisie. C’est peu pour un pays qui clamait, aux lendemains de la révolution, qu’il allait réorienter les investissements publics vers les zones déshéritées, berceau du soulèvement populaire. Aujourd’hui, on parle surtout du bassin minier de Gafsa pour les grèves, les blocages routiers, les mobilisations sociales qui perturbent l’activité.
« À côté des voies de communication, il faut améliorer le cadre de vie, créer des centres de loisir, des clubs d’investissement, des associations à caractère socio-économique jouant un rôle de lobbying et développer les consultations des associations locales pour faire adhérer la société civile à la politique », estime Noureddine Taktak, directeur général adjoint de l’Agence de promotion de l’industrie et l’innovation (Api). En matière de développement régional, ce qui retient le plus l’attention aujourd’hui est l’initiative du P-dg de Telnet, Mohamed Frikha, qui a lancé la compagnie aérienne Syphax pour désenclaver le sud tunisien, ignoré du temps de l’ex-président Ben Ali. Seul homme d’affaires à voir osé en 2011 introduire à la Bourse de Tunis son groupe spécialisé dans le conseil à l’innovation et aux hautes technologies, le natif de Sfax, à 48 ans, veut répondre aux revendications exprimées depuis la révolution avec la création d’un institut d’études sur le développement de sa région d’origine.
F. P.