Les entreprises implantées en Tunisie ont dès la révolution engagé un dialogue approfondi avec leur personnel, à l’instar de Damart et de Lacroix Electronics. La nouvelle situation née de la démocratie n’empêche pas, au demeurant, certaines sociétés d’investir, comme Lynx.
La révolution a été l’occasion d’une remise à plat et nombre de patrons reconnaissent aujourd’hui que la nouvelle situation créée par la démocratie, malgré des perturbations dans l’activité, sera bénéfique à terme pour la Tunisie et ses entreprises. Il est vrai que le dialogue social ainsi ouvert ne concerne pas que les salaires. Il est question aussi de conditions de travail, de gestion des ressources humaines et de respect de l’individu. Dans certains secteurs, comme le nettoyage, des utilisations abusives des contrats à durée déterminée (CDD) ou de l’intérim ont pu être constatées dans le passé. Mais de façon générale, les sociétés soucieuses de leur personnel n’ont pas enregistré de perturbations ou très peu. Aujourd’hui, quelque 3 000 sociétés étrangères sont établies en Tunisie, dont 2 400 dans l’industrie.
Damart : comment entrer dans la « nouvelle ère »
Depuis 2007, tous les sous-vêtements thermolactyl sous la marque Damart sont réalisés en Tunisie. De façon concrète, de la transformation des fils d’origines diverses (Europe, Maroc…) jusqu’à la préparation des produits, en passant par le tricotage ou la coupe, sont effectués par les 170 salariés du groupe français dans la zone industrielle de Zriba, près de Zaghouan (60 km au sud-est de Tunis).
Quant à la confection et la teinture, elles sont confiées à des sous-traitants locaux, représentant au total 1 000 salariés. Au bout de la chaîne, les 4 millions d’articles produits (pour une capacité installée de 7 à 8 millions d’articles) sont exportés dans les centres commerciaux de Damart en France, au Royaume-Uni et en Belgique.
« Nous avons un peu négligé le volet social et sommes maintenant dans une phase de régularisation et de stabilisation », indique Thierry Vayssette, directeur par intérim de l’usine tunisienne. « En fait, nous avions commencé cette régularisation avant la révolution, mais, bien sûr, après les évènements, nous avons accéléré le mouvement », précise Agatha Colin, responsable de la Communication institutionnelle du groupe, qui se félicite, par ailleurs, de « l’élan de solidarité du personnel qui a protégé son outil de travail » pendant la révolution.
De façon concrète, Damart a recruté le Tunisien Imed Soltani au poste de responsable des Ressources humaines. Cet homme d’expérience, passé par la communication, la gestion et les ressources humaines, a alors travaillé sur les procédures (pointage, gestion des absences…) et les relations humaines au sein de l’entreprise (organisation d’excursions…). Il participe aussi au projet de management des hommes et d’amélioration de la performance « Nouvelle Ere », confié au cabinet français PMGI. Damart s’est encore entouré des conseils de PMGI pour le recrutement de son futur directeur d’usine, « qui sera soit un Tunisien, soit un Français connaissant la culture industrielle du pays », précise Agatha Colin.
En mars dernier, Damart a anticipé l’augmentation générale des salaires de 5 % prévue en mai. Le groupe a aussi revu les rémunérations en fonction de l’évolution des postes et redéfini les grilles de qualification, en tenant également compte de l’ancienneté, pour pérenniser son effectif. Une nouvelle échéance attend Damart. Dans quelques mois, le groupe tricolore devra revoir le statut de ses employés embauchés en 2007 avec un contrat à durée déterminée (CDD).
La période légale d’un CDD ne pouvant excéder quatre ans, « nous titulariserons ces salariés, comme nous l’avons déjà fait pour une partie de l’encadrement, car notre objectif est de favoriser l’ancienneté et la mobilisation du personnel », expose Thierry Vayssette. Par conséquent, le nombre de contrats à durée indéterminée (CDI) va augmenter. La loi est claire : pour 20 CDI, toute entreprise doit disposer d’un délégué du personnel. Et pour le double, elle doit se doter d’un Comité consultatif d’entreprise avec des élus du personnel. Damart entrera alors vraiment dans une nouvelle ère.
Lacroix Electronics : Allier respect du règlement et dialogue social
Lacroix Electronics fabrique des circuits électroniques dans la zone industrielle Zriba II, près de Zaghouan, à 60 kilomètres au sud-est de Tunis, pour des clients en Tunisie et en Europe dans la domotique, l’industrie et l’aéronautique. Sur un chiffre d’affaires annuel de 42 millions d’euros à fin septembre 2011, l’aéronautique, secteur en croissance avec des clients comme Zodiac et Safran, a représenté une part de 10 %.
Les circuits électroniques produits à Zriba sont particulièrement sensibles. Le site est équipé de chaînes de montage de précision, disposant de systèmes qualité de pointe. Rémi Merle, qui en est le directeur depuis quatre ans, pilote lui-même la qualité. Cet homme rigoureux et très organisé se veut aussi un patron social. Il est ainsi très fier de montrer la « boîte à idées », un panneau où les 587 employés peuvent déposer des propositions d’amélioration du travail. L’effectif est jeune (moyenne d’âge 31 ans) et majoritairement féminin (à 69 %). Originaires de Zaghouan, les employés bénéficient du transport gratuit et d’autres avantages, comme la mutuelle santé.
Tout le personnel porte une blouse blanche et le directeur applique strictement le règlement intérieur. Aussi, lorsqu’aux lendemains de la Révolution, plusieurs de ses employées se sont présentées avec un voile, il a réagi de suite. « Vous avez fait la révolution pour établir la démocratie dans votre pays. Mais la démocratie se base sur le respect des lois et la liberté s’exprime dans un cadre et non pas sur la base de décisions unilatérales », leur a-t-il ainsi déclaré. Rémi Merle a ajouté qu’il « pouvait comprendre leur réactions, mais qu’une entreprise étant régie par un règlement intérieur, la loi commune s’appliquait uniformément à tous ».
Pour adapter le règlement intérieur, un groupe de travail a opéré pendant plusieurs semaines. « Nous avons même demandé à un couturier de confectionner des prototypes de coiffes. Des essais ont été effectués de façon à trouver les formes et les matières les plus confortables. Et finalement un standard unique a été adopté », raconte encore Rémi Merle, qui précise : « Certaines femmes portent la coiffe, d’autres pas. Quelles sont les proportions, je ne sais pas. Ce qui importe, c’est que l’uniformisation dans l’entreprise ait pu être respectée, tout en donnant satisfaction au personnel ».
Si Rémi Merle est strict sur le règlement intérieur, il respecte aussi les règles sociales. « Au bout de la période légale de quatre ans pour les contrats à durée déterminée (CDD), nous titularisons les personnels concernés. De même, nous avons appliqué l’augmentation salariale de 4,9 % dans notre branche de métier », expose Rémi Merle. Enfin, ajoute-t-il, « nos opérateurs de base, qui sont payés au SMIC, bénéficient aussi de primes de présentéisme ou pour la qualité de leur fabrication et les salaires sont versés pour 40 heures hebdomadaires, ce qui correspond à notre convention collective en Tunisie ». Du coup, les heures supplémentaires sont comptabilisées à partir de la 41e heure.
Lynx : soutenir l’activité en France
Depuis 2004, pour les raisons de coût de production et de concurrence internationale, le fabricant de pièces métalliques à base d’alliages non ferreux MCT réalise en Tunisie une partie de ses activités de matriçage à chaud et de fonderie coquille ou à gravité (technique traditionnelle avec une part de main d’œuvre importante). « Une activité qui emploie quatre salariés et permet de soutenir celle que nous avons conservée en France », affirme Rachel Oser, gérante de la filiale Lynx, à Tunis.
A l’époque, MCT, société familiale implantée à Delle (Territoire de Belfort), avec l’aide de la Fipa (Agence de promotion de l’investissement extérieur), a pu s’installer sur la zone industrielle la plus étendue de Tunisie, M’Ghira (175 hectares). « En devenant propriétaire d’un terrain de 5 000 m2, nous avons voulu montrer notre désir d’investir à long terme », explique la gérante de Lynx.
Mari de Rachel, Thibaut Oser, le PDG, fait la navette entre la France et la Tunisie. A Delle, MCT dispose d’un bureau d’études où sont notamment conçus les moules. Le couple Oser envisage d’employer deux dessinateurs à Tunis pour réaliser des plans, d’y investir dans l’informatisation des postes de travail en profitant des aides accordées dans le programme tunisien de mise à niveau et de recruter un responsable commercial itinérant et une secrétaire commerciale pour développer l’activité, notamment en Tunisie, en Algérie et en Libye.
François Pargny