Singapour n’est pas seulement un hub pour la région, c’est aussi un hub pour l’innovation. Fruit d’une politique active en matière de recherche et développement et d’attraction des investissements directs étrangers, les sciences de la vie, les technologies de l’information et de la communication et les médias numériques deviennent des champs d’investigation des laboratoires privés. L’industrie pèse un peu moins.
Biopolis dans les sciences de la vie, Fusionopolis, dans les nouvelles technologies de l’information et la communication (NTIC), et maintenant Mediapolis, pour les médias numériques, la création, le design… le quartier de One-North à Singapour est devenu le cœur de la recherche et développement (R&D) accueillant laboratoires privés, instituts, universités. Dans le sillage des Abbott, GlaxoSmithKline, Lilly, Novartis, Schering-Plough et Takeda, se sont ainsi implantés les studios Lucas Film ou le champion français des jeux vidéo Ubisoft. « En l’espace de 20 ans, note le Service économique régional (SER), Singapour est devenu une plateforme d’innovation de qualité, donc d’intérêt, tant pour la localisation au cœur de l’Asie que pour sa qualité d’accueil et d’écoute des entreprises innovantes, firmes transnationales comme PME ».
Dans les logiciels et services informatiques, par exemple, 80 des 100 premières sociétés ont établi dans la cité-état leur siège pour la région ou l’Asie-Pacifique. Singapour s’est doté d’infrastructures performantes. Outre ses pôles technologiques, des universités ont émergé, la quatrième ayant été ouverte l’an dernier. La plus réputée, National Universty of Singapore (NUS), occupe dans le classement mondial de Shanghai le 15e rang en Asie-Pacifique, juste derrière National Taïwan Univesity, alors que le palmarès régional est très largement dominé par des établissements de nations bien plus puissantes, en l’occurrence le Japon et l’Australie.
Lancé en 2011, le programme quinquennal Research Innovation and Entreprise visait à porter l’effort de R&D à 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) à l’horizon 2015. Pari presque gagné, puisque cette part est aujourd’hui de 3 %, ce qui est sans équivalent dans l’Asean*, le taux en Malaisie, à titre d’exemple, n’atteignant pas la barre de 1 % du PIB. Cette position privilégiée dans l’Asean lui permet même d’être plus sélectif dans l’attribution des incitations fiscales mises en place pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) dans la recherche et développement. Parmi les instruments de l’émergence de la recherche privée, figurent – toujours pour améliorer la productivité – un crédit d’impôt et un fonds de financement de projets, respectivement le Productivité & Innovation Credit et le National Productivité Fund. Preuve de son succès, très tôt – à la fin des années 90 – rappelle le SER, la cité-Etat a su séduire des fonds de capital-risque, comme le Technopreneurship Investment Fund, et le réseau émergent des business angels. D’après le Global Innovation Index 2013, elle s’est ainsi hissée – avec, au passage, un respect total de la protection intellectuelle – au 8e rang mondial, juste derrière Hong kong. La Malaisie (32e) et même la Corée du Sud (18e) sont distancées.
Au fil du temps, le paysage économique à Singapour s’est modifié. Attirant plus d’IDE dans la R&D, la cité-état a reçu moins de gros investissements dans l’industrie. Le secteur secondaire a plutôt bénéficié de réinvestissements. Au final, les IDE depuis 2011 ont atteint plus au moins 56 milliards de dollars, d’après le rapport sur les investissements mondiaux en 2013 de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (Cnuced). Pour les plus négatifs, il s’agit de stagnation. Pour les plus positifs, il s’agit d’un bon chiffre, surtout si l’on considère que ce petit pays de 5,4 millions d’habitants se maintient sur le podium en matière d’IDE en Asie de l’Est et du sud-Est.
Au passage, il convient de noter que même si la place manque pour accueillir de grosses industries – la superficie de Singapour est de 716 km² ! – Exxon Mobil a pu s’étendre pour doubler sa capacité de produits finis. La presse locale a avancé un chiffre d’investissements de 6 milliards de dollars pour que Singapour devienne le troisième centre mondial de produits chimiques du groupe américain. « Certes, ce pays affiche aujourd’hui des coûts élevés, mais les services et les infrastructures y sont de qualité, l’approvisionnement y est facile et la main-d’œuvre y est moyennement ou hautement qualifiée », commente Frédéric Rossi, le directeur du bureau Ubifrance.
Entre Hong kong et Singapour, les deux plateformes asiatiques, les lignes ont bougé, mais le dilemme reste. « À Hong kong, y indique-t-on, comme les coûts y sont encore plus élevés et que les incitations sont plus fortes à Singapour, certaines entreprises de production et des banques délocalisent leurs sièges régionaux à Singapour ». « À Singapour, sourit-on à ce témoignage, on voit aussi des sociétés d’ingénierie et de conseil en stratégique qui partent pour Hong kong ».
« Ce que je dis aux entreprises qui viennent me voir, explique Frédéric Rossi, c’est que si c’est le marché chinois qui est ciblé, il faut aller à Hong Kong, voire à Shanghai. En revanche, si, outre la Chine, sont visés aussi l’Asie du Sud-est, le sous-continent indien, voire l’Australie, alors le hub, c’est Singapour ». Toutefois, ajoute-t-il, « pour les petites entreprises qui trouvent Singapour trop cher, alors, au moins dans certains secteurs d’activité, Kuala Lumpur peut être une alternative ».
Plus encore, il y au sud de la Malaisie, donc à la frontière nord de Singapour, une zone industrielle, appelée Iskandar (voir article, page 21), qui accueille des productions de moyen gamme. Comme Singapour manque de place, l’Economic Development Board of Singapore n’hésite pas à encourager les PME locales à s’y installer. Cet organisme public peut aider à structurer une demande, par exemple installer la production à Iskandar – dans ce cas, il peut même y faciliter les contacts – et établir le siège social, la R & D et la logistique à Singapour. À cet égard, la cité-état entend renforcer son rôle de hub régional, en doublant les capacités d’accueil de l’aéroport en 2024 et de transbordement du port. Ce dernier ouvrage doit être déplacé dans la zone de Tuas, à l’ouest. Ce projet doit être achevé en 2022.
Pour des activités à forte main-d’œuvre, il peut être aussi plus avantageux, comme dans la construction navale et les équipements pétroliers, de choisir les petites îles indonésiennes de l’archipel de Riau : Batam, Bintan et Karinum. « Avec les autres bureaux d’Ubifrance dans l’Asean, voire à Hong kong et en Australie, expose Frédéric Rossi, nous essayons de décoder avec les PME et ETI françaises les opportunités que leur offre l’ensemble de la zone. Nous cherchons à leur apporter une vision globale à moyen terme et, dans la foulée évidemment, les instruments nécessaires. Donc on regarde les flux logistiques et les flux financiers qu’elles auront à gérer sur place. On travaille aussi avec la banque publique d’investissement Bpifrance, qui regroupe assurance avec Coface, accompagnement avec Ubifrance et financement dans chacun de ses bureaux régionaux en France ».
Enfin, même si le marché est étroit, les entreprises françaises ne doivent pas négliger un pays au fort pouvoir d’achat et désirant offrir à la population des services performants. Certaines PME françaises ont ainsi percé dans le domaine de l’eau. Des partenariats sont, en outre, possibles, sur le plan technologique, mais peut-être plus encore pour aborder de nouveaux marchés. Les entreprises de Singapour sont intéressées par l’Afrique.
Pour la première fois, Ubifrance a organisé une participation collective à la Semaine internationale de l’eau, des déchets et de la ville, du 2 au 4 juin. Deux pavillons, respectivement sur l’eau et les déchets étaient dressés. Dans l’eau l’enjeu est de taille pour Singapour, dépendant de la Malaisie pour 40 à 60 % de son approvisionnement. Les autorités ont mis fin à un premier contrat de fourniture en 2011. Il en reste un second, qui doit être achevé en 2060. Les opportunités sont donc réelles pour les spécialistes du recyclage des eaux usées, de la désalinisation ou de la récupération des eaux de pluie.
De son côté, Veolia Environnement vient d’obtenir le renouvellement de son contrat de propreté des rues dans deux des cinq districts de Singapour. Mieux, le champion tricolore a gagné au détriment d’un opérateur local une extension au nettoyage des canaux et de divers espaces publics. Quant à la consommation domestique, les vins et spiritueux sont le bon exemple d’un pays mâture. Depuis deux ans, la mode du rosé s’y installe. Les consommateurs ne sont pas seulement les expatriés, mais aussi les femmes actives. La France dispose d’une part de marché de 40 % en volume et 71 % en valeur dans les vins et le cognac est également très apprécié. Au demeurant, Singapour sert de plateforme logistique de réexportation du cognac (90 % des quantités totales réexportées en 2013, soit 20 millions de litres) dans la région.
Frédéric Rossi pense que l’armagnac peut aussi percer à Singapour. Par ailleurs, il envisage l’an prochain l’organisation d’une mission d’entreprises françaises dans les vins biologiques. Un créneau, assure-t-il, qui se développe. Des magasins spécialisés sont aujourd’hui ouverts à Singapour.
François Pargny
(*) Fondée en 1967 par cinq pays – Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande – l’Association des nations du Sud-est asiatique (Asean) s’est enrichie en 1984 de Brunei, en 1995 du Vietnam, en 1997 du Laos et de la Birmanie et en 1999 du Cambodge.
Chiffres clés (2013)
Superficie : 716 km²
Population : 5,4 millions d’habitants
Densité : 7,540 h/km²
Croissance démographique : 1,6 %
Taux d’alphabétisation : 96,1 %
Produit intérieur brut (PIB) : 296 milliards de dollars
PIB par habitant : 54 819 dollars
Taux de croissance : 4,1 %
Taux de chômage : 1,8 %
Taux d’inflation : 2,4 %
Excédent commercial : 67,9 milliards de dollars
Principaux clients : Malaisie, Chine, Hong Kong, Indonésie, Union européenne et États-Unis
Principaux fournisseurs : Union européenne, Chine, Malaisie et États-Unis
Exportations françaises : 5,4 milliards d’euros en 2013 (- 8 % par rapport à 2012)
Importations françaises : 3,1 milliards d’euros (-32 % par rapport à 2012)
Part de marché de la France : 2,4 % en 2012
Sources : DGTRésor, Ubifrance, Department of Statistics, Singapore