Les sociétés françaises sont attirées au Maroc par les bas coûts de main-d’œuvre et les opportunités réelles du marché domestique. Pour autant, pour des PME, l’environnement des affaires n’est pas toujours aisé. Retour sur quelques expériences de sociétés tenaces… et heureuses de leur implantation.
« La création d’entreprise a été simplifiée et raccourcie. Une partie est déjà réalisable par internet, et j’espère qu’elle le sera bientôt en totalité. Le processus de paiement des impôts, l’enregistrement des propriétés et les formalités douanières ont également été simplifiés », détaille Hamid Benlafdil président du Conseil régional d’investissement (CRI) de Casablanca. Ces améliorations ont valu au Maroc de gagner huit places au classement Doing Business 2014 pour la facilité des affaires. Une critique récurrente des opérateurs vient cependant noircir le tableau : la difficulté pour les entreprises de recouvrer leurs créances. Les sociétés françaises doivent parfois attendre 90 à 180 jours, contre 60 à 90 en France ; « mais le gouvernement est conscient de cette difficulté et la loi devrait être amendée en 2014 pour définir des délais de paiement convenables et les pénalités qui accompagnent leur non-respect », précise Khalid Idrissi Kaitouni, directeur de l’Appui aux investisseurs et à la création d’entreprise à la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc (CFCIM).
« Le pire, ce n’est pas la créance, c’est le litige. Les procès durent de 1,5 an à 3 ans. Il faut les éviter le plus possible, car les juges des chambres de commerce ne sont pas assez spécialisés et le système d’arbitrage n’est pas suffisamment développé pour gérer les conflits entre entreprises à l’amiable », regrette Jean-Christophe Batlle, directeur adjoint Région Méditerranée et Afrique pour Coface, à Casablanca. Ce risque s’est accru avec l’augmentation du taux d’impayés depuis le début de la crise. « Les banques marocaines prennent donc moins de risques qu’auparavant », reconnaît Khalid Idrissi Kaitouni. « Attention, on ne parle pas de credit crunch ; c’est évidemment difficile d’obtenir un crédit, mais ça reste réalisable », insiste Jean-Christophe Batlle. Il faut pour les investisseurs étrangers qui n’ont pas de biens à hypothéquer au Maroc la caution d’une banque en France.
Comptadom :
de la saisie comptable au conseil aux entreprises
La société lyonnaise de comptabilité A&A s’est implantée au Maroc en 2004, moyennant un premier investissement de 100 000 euros dans l’offshoring.
« Au départ, nous ne faisions que de la saisie comptable qui demande beaucoup d’heures de travail sans avoir une grande valeur ajoutée », explique Claude Volatier le gérant de la filiale Comptadom, à Casablanca.
Attiré par le bas coût de la main-d’œuvre, Comptadom n’a jamais eu à regretter sa décision. « Entre le Maroc et la France, le rapport du coût salarial est de 1 à 5 ». L’avantage est donc considérable, même si la productivité est inférieure au Maroc. Le rapport est ainsi de « 1 à 3 en France », selon le patron français. Par la suite, la société a accompagné un client qui venait s’installer au Maroc et, de fil en aiguille, d’autres ont suivi, jusqu’à ce que la société gagne de nouveaux clients localement au Maroc. « Chacun nous amènant un nouveau contact, les choses se faisaient spontanément », se félicite Claude Volatier.
Sa croissance a amené la société à embaucher de plus en plus. « Au départ, alors que le système de formation est très inégal, nous n’avions pas assez travaillé pour établir une filière de recrutement. Pour trouver les profils, je me tourne maintenant vers les écoles de gestion », explique le dirigeant de la société, qui compte aujourd’hui huit salariés.
Avec l’expertise acquise au Maroc, le cabinet comptable peut aujourd’hui se lancer dans le conseil aux entreprises, une activité déjà développée en France. « Depuis deux ans, nous accompagnons de façon globale, avec des experts comptables, des fiscalistes et des avocats les sociétés qui veulent se développer à l’international, notamment au Maroc », détaille Claude Volatier.
Pour le développement du bureau de Casablanca, le Français refuse toutefois de s’associer avec un Marocain. « Le système judiciaire est selon moi le principal point noir du pays. Je reste convaincu qu’en cas de litige, la justice risque de prendre parti pour lui, même si je suis dans mon droit », se justifie l’entrepreneur.
Usinage Mécanique de Précision au Maroc (UMPM) :
la filiale qui sauve la maison mère
En 2006, « la direction de MDV [spécialisée dans la mécanique de précision dans l’aéronautique, ndrl], après avoir hésité entre le Maroc et la Tunisie a arbitré en faveur du Maroc, pays plus avantageux fiscalement et plus flexible au niveau des douanes », se souvient Ali Zemrani, PDG de Usinage Mécanique de Précision au Maroc (UMPM), filiale au Maroc de MDV, basé dans le département de la Loire.
Les principaux clients de MDV, Zodiac et Sagem, exigeaient alors des pièces low cost. « Clairement, si on ne s’était pas installé au Maroc, on aurait perdu des marchés en France. La filiale Maroc a clairement sauvé la société mère en France », insiste son PDG.
Pour un investissement premier de 1,5 million d’euros et un emprunt de 50 %, UMPM, installé dans l’Aéropôle de Casablanca, fait aujourd’hui de l’usinage de précision sur des pièces d’avion comme les coffres à bagages et les trains d’atterrissage avec 35 employés et 12 machines. À son installation, la société a bénéficié du remboursement, offert par le Fonds Hassan II, de 30 % des investissements en infrastructures et 10 % sur les machines. Un avantage appréciable. « En revanche, la durée de remboursement ne devait pas excéder six mois et nous avons dû attendre 1 an et demi », déplore Ali Zemrani. La lenteur de l’administration représente la principale difficulté qu’ait dû affronter UMPM à sa création, selon Ali Zemrani. « Il faut des autorisations pour tout : pour construire, pour avoir l’électricité… Pour les grandes sociétés, les choses sont plus simples, car elles négocient directement avec l’État et les autorisations vont avec, mais pas pour les PME comme nous, c’est plus compliqué », assure-t-il. Grâce aux faibles coûts de main-d’œuvre, « notre usine de 1 500 m2, de loin la plus belle du groupe MDV, a été construite en cinq mois, soit deux fois plus vite qu’elle ne l’aurait été en France et coûté 300 000 euros quand elle en aurait coûté un million en France », souligne-t-il. Si l’augmentation du SMIC n’a pas posé problème à UMPM, en revanche, le PDG met en doute la capacité du Royaume à garder sa compétitivité intacte.
« Je donne huit ans aux sociétés aéronautiques avant de quitter le pays, comme l’ont fait les sociétés textiles avant elles, parce que le Maroc aura subi la concurrence d’autres pays dont le coût de la main-d’œuvre sera encore plus bas », estime-t-il. Un avis qui devrait faire réfléchir les autorités et les partenaires sociaux du Royaume.
AGB Maroc : une PME de l’aéronautique freinée au quotidien
AGBM, filiale marocaine d’AGB (Groupe AEMI) à Bouskoura, près de Casablanca, travaille dans l’usinage de pièces qui servent de montures dans des équipements aéronautiques, médicaux, spatiaux… Installée au Maroc à la demande de ses clients Thales et Safran, la filiale espérait lancer sa production en septembre 2013, « mais nous n’avons l’eau que depuis quelques jours et faute de raccordement à la moyenne tension, nous faisons fonctionner nos deux machines avec un générateur », raconte Dominique Guichené, directeur général d’AGBM. Son principal souci se situe cependant ailleurs : les douanes, particulièrement vigilantes, allongent les délais de livraison de la matière première, importée de France, jusqu’à son usine, à Bouskoura. « Aujourd’hui nos clients nous donnent un mois de délai entre leur commande et notre livraison, mais si nous perdons d’emblée 1 semaine à 15 jours dans le transport, nous ne pouvons répondre à leur attente », s’inquiète Dominique Guichené.
Tech Eau France Maroc :
s’implanter pour gagner des contrats dans l’eau
En 2011, « j’ai participé avec d’autres responsables de la société EM2V Diagonal, à Alès, à trois salons au Maroc dans notre domaine, la fabrication de produits chimiques pour le traitement des eaux en milieu industriel et urbain, dont le plus important Pollutec. Comme la première question que l’on nous posait était toujours est ce que vous êtes implantés au Maroc, nous nous sommes établis en février 2012 à Casablanca », raconte Maurice Van Vooren, directeur général de Tech Eau France Maroc.
La destination Maroc a été le fruit de rencontres et d’une première expérience ratée. « Entre 1995 et 1999, j’étais venu plusieurs fois au Maroc sur les conseils d’un collaborateur. J’ai même remporté un appel d’offres auprès de la Samir (Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage). Au départ, ils payaient bien et puis de moins en moins bien, ce qui m’a amené à quitter le pays », raconte le directeur général.
Alors, quand il choisit d’installer à Casablanca une antenne de la société EM2V Diagonal, il crée une société marocaine totalement indépendante. « Je ne voulais pas de liens juridiques pour éviter de faire prendre des risques à la maison mère si jamais la filiale avait des difficultés », explique-t-il. Un choix qui l’empêche, par contre, de prendre un emprunt bancaire au Maroc faute de pouvoir apporter les garanties financières nécessaires.
Tech Eau France Maroc a d’abord été accueilli par la Maison de la région Languedoc-Roussillon à Casablanca, qui a mis à sa disposition un espace de bureaux pour un trimestre renouvelé deux fois.
Après avoir remporté plusieurs marchés, la jeune société commence à se stabiliser.
« Aujourd’hui, nous sommes parvenus à découvrir un très intéressant marché pour notre expertise : les stations d’épuration des grandes résidences de bord de mer. Nous parvenons à les enterrer de sorte qu’elles ne produisent ni pollution visuelle, ni mauvaises odeurs », détaille, satisfait, Maurice Van Vooren.
Florabora :
développer le créneau de l’aménagement végétal intérieur
Florabora, société montpelliéraine spécialisée dans l’aménagement de stands végétaux dans l’événementiel depuis les années 90, s’est installée à Bouskoura, près de Casablanca, il y a deux ans.
« J’ai été plusieurs années employé à Florabora et puis, avec la crise, les commandes ont commencé à baisser et la société à revoir son développement. J’ai alors eu envie de partir et de monter ma propre société au Maroc », raconte Azedine Bayben, devenu ainsi le cogérant de Florabora au Maroc. Ce pays était alors une destination évidente pour ce Français d’origine marocaine.
Il y a quatre ans, quand le jeune homme a étudié le marché, il a rapidement constaté que le Maroc comptait très peu d’entreprises d’aménagement paysager capables de répondre à des appels de promoteurs immobiliers et d’architectes. « Au bout d’un an, je me suis tourné vers Jean-Marc Simon (PDG de Florabora en France, ndrl), lui proposant alors d’installer une entreprise indépendante du même nom, qui serait ainsi une extension au Maroc de sa société », raconte-t-il.
Après avoir envisagé de s’installer à Marrakech, Florabora prend pied à Casablanca, « parce que c’est ici que tout se passe et aussi pour l’excellent acheminement du fret dont nous bénéficions en provenance de Montpellier », précise Azedine Bayben.
Ambitieuse, la filiale marocaine lance un vaste chantier – pépinière de 5 hectares, bureaux, serre… – à Bouskoura. « Pendant les travaux la Maison de la région Languedoc-Roussillon nous a accueillis. Elle nous a permis de frapper directement aux bonnes portes, grâce notamment aux nombreuses relations de Bernard Goeminne, son ancien directeur, car il y a un gros travail de relationnel à faire ici », indique Azedine Bayben.
Aujourd’hui, Florabora Maroc fait de l’aménagement végétal d’intérieur pour de grandes entreprises comme Dell, ainsi qu’en extérieur « pour des promoteurs immobiliers et nous nous ouvrons de plus en plus vers les murs et les toits végétalisés », ajoute-t-il. Positif, Azedine Bayben minimise les difficultés qu’il a pu rencontrer jusqu’ici. « C’est clair qu’il ne faut pas simplement déposer une demande, en espérant qu’on veuille bien vous répondre ». Il faut « courir derrière son dossier », prévient-il. Mais « une fois que l’on sait s’adapter, alors les procédures peuvent aller vite, parfois même plus vite qu’en France », assure-t-il.
Julie Chaudier