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Libye : mode d’emploi pour l’après-Kadhafi

C’est une nouvelle Libye, plus démocratique et transparente, qui se dessine sous les yeux ravis des investisseurs. Mais au-delà de la reconstruction du pays, c’est un énorme défi politique pour les hommes au pouvoir. Incertain, difficile et forcément lent après 42 ans de dictature. Pour y faire des affaires, les entreprises doivent se préparer dès maintenant, tout en s’armant de patience.

Joël Marrouat n’est pas tout à fait un homme d’affaires comme les autres. Installé depuis douze ans en Libye, il y est demeuré tout le temps de la révolution. Protégé par son partenaire libyen puis par sa belle-mère, également libyenne, il a maintenu contre vents et marées sa petite entreprise de construction de dix salariés. À ceux qui aujourd’hui rêvent d’un eldorado à proximité de leur porte, Joël Marrouat conseille la patience. « Le pays sort de la guerre, après 42 ans de régime dictatorial du colonel Kadhafi. Il faut que l’État se restructure », explique-t-il.

La première décision du Conseil national de transition (CNT), après la « libéralisation » officielle du pays (23 octobre 2011), a été la nomination d’un Premier ministre, Abdel Rahim Al-Kib, qui a constitué une « équipe de technocrates, sérieuse et crédible », juge Michel Casals, le président de la chambre de commerce franco-libyenne (CCFL). Ce gouvernement de 29 membres est, toutefois, « provisoire et, donc, ne prendra aucune décision importante », prévient-il encore. 

Le 23 juin prochain, un parlement de 200 membres, le Congrès national, sera formé. Cette assemblée d’élus désignera alors le comité chargé de rédiger une Constitution et de former un nouveau gouvernement intérimaire jusqu’à la tenue des élections législatives et présidentielle, sans doute début 2013.

La nouvelle équipe au pouvoir sera alors légitime. Le gouvernement actuel, lui, prépare l’avenir. « C’est pourquoi il faut se rendre en Libye dès maintenant », insiste Michel Casals, pour qui la France et la Libye ont noué « un lien historique » depuis la reconnaissance officielle du CNT, le 10 mars 2011. « N’arrivez pas en conquérant, écoutez ! Puis cherchez à vous adapter et implantez-vous ! Le Libyen observe. Il ne donne pas sa confiance de suite et teste votre intérêt », avertit Joël Marrouat.

« Et n’allez pas croire ce qu’écrivent certains journaux. Le CNT n’a jamais promis 35 % des nouveaux contrats pétroliers à la France. C’est impossible », affirment en chœur les hommes d’affaires français et les observateurs économiques et politiques en Libye. En revanche, lors de rencontres à huis clos, leurs interlocuteurs libyens expriment régulièrement leurs remerciements à la France. Selon Joël Marrouat, « il faut comprendre qu’à égalité, techniquement et financièrement, avec des concurrents, les Français pourront retirer un avantage de la position passée de leur gouvernement. Mais rien de plus. Et, surtout, les Libyens ne l’exprimeront jamais en public. »

Ainsi, « le marché n’est pas à prendre, mais à gagner », résumait, dans une réunion à huis clos, Thierry Courtaigne, vice-président délégué de Medef International. Hormis les entreprises déjà établies en Libye, « les sociétés françaises ne doivent pas partir seules », conseille Michel Casals. D’abord, pour des raisons de sécurité.

Ensuite, les administrations, les organismes publics, voire les entreprises nationales ne sont pas encore restructurées, à l’instar de la Gamra, l’organisme public en charge de la Grande Rivière artificielle, système de pompage et de transport de l’eau fossile du sud vers le nord du pays, dont on ne connaît pas encore aujourd’hui les véritables responsables.

Pour autant, le gouvernement semble désireux d’éviter toute chasse aux sorcières. Plusieurs dirigeants français indiquent ainsi avoir croisé à Tripoli l’ancien président du puissant fonds souverain Libyan Investment Authority (LIA) Mohamed Layas, qui serait toujours « utilisé, peut-être comme conseiller ». Tahar Charkass, le ministre de l’Economie, qui a appelé à une nécessaire « révolution économique » après sa nomination et à « ouvrir la voie aux investisseurs de l’étranger », est, pour sa part, l’ancien directeur général du Fonds de stabilité des prix (ex-Nasco), qui subventionnait les produits de première nécessité sous le précédent régime.

Sa compétence est reconnue, tout comme celle du ministre du Pétrole et du Gaz, Abdelrahmane ben Yazza, un ancien cadre du géant italien Eni, passé par la compagnie nationale libyenne NOC. Il s’agit d’un portefeuille crucial puisque les hydrocarbures génèrent 95 % des ressources en devises de l’État. Il est donc important que la production de pétrole reprenne rapidement. Elle est revenue à ce jour à environ 700 000 barils par jour, soit plus du tiers de celle d’avant la révolution.

En principe, le gouvernement issu des urnes en 2013 ne devrait pas manquer de ressources financières. À la mi-octobre, le CNT avait estimé à environ 140 milliards de dollars les fonds engagés dans le capital de sociétés, dans des obligations ou déposés sur des comptes bancaires à l’étranger, dont 65 milliards d’actifs gérés par la LIA. À la fin de la révolution, 7 à 9 milliards d’euros auraient été découverts dans des banques libyennes.

Les pays amis de la Libye (France, Royaume-Uni…) ont annoncé clairement que la contrepartie au dégel des fonds devait être la réconciliation nationale. Un grand nombre d’armes circulent et 7 000 personnes sont emprisonnées. Un comité de réconciliation nationale devra être mis en place au lendemain du 23 juin 2012 pour assurer la sécurité et la justice. Un préalable à la reconstruction du pays.

Le 18 décembre 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU a levé les sanctions prises contre la Libye pendant la guerre, ce qui devrait ouvrir la porte au dégel des avoirs et permettre de « faciliter les transactions bancaires et internationales », selon le gouverneur de la Banque centrale libyenne (BCL), Al-Seddik Omar al-Kabir.

De son côté, le gouvernement de Tripoli a opté pour la réouverture de lettres de crédit afin d’importer des produits et des équipements dans l’agriculture, l’alimentation, la pharmacie et la médecine. Toutes les banques peuvent y recourir si elles y sont autorisées par la BCL. « Si le gouvernement a limité cette mesure aux besoins d’urgence, c’est qu’il craint les fuites de devises », avance Joël Marrouat. « Pour l’instant, seuls les grands importateurs parviennent à obtenir des lettres de crédit, compte tenu de leur surface financière », affirme Dominique Grancher, le chef du Service économique à Tripoli.

Encore aujourd’hui, le pays manque de liquidités et l’argent ne circule pas. La Libyan Foreign Bank, la plus grande banque du pays, détenait le monopole pour l’exportation des produits pétroliers sous le régime Kadhafi. Elle conserve à ce jour le monopole des opérations à l’étranger, étant seule à recourir aux ressources en devises de la Banque centrale. Résultat : le marché noir en devises se développe. Comme les transferts d’argent sont contrôlés, le recours au « cash » est courant. « Il est probable que le système des mallettes va continuer et même grandir », pronostique un opérateur économique. Le marché parallèle se développe aussi avec les pays limitrophes. « La quasi-totalité des importations de biens de consommation transite toujours principalement par la Tunisie et l’Égypte», remarque Dominique Grancher.

Réduit à gérer les urgences, le gouvernement transitoire s’est, néanmoins, engagé à respecter les contrats passés du temps du Guide suprême. Du baume au cœur pour les entreprises françaises. Si certaines accusent quelques impayés, elles ont surtout arrêté des chantiers, qu’elles souhaitent reprendre, ne serait-ce que pour ne pas laisser le champ libre à la concurrence. Seul bémol, en cas de manipulation ou malversation avérée, le gouvernement révisera le contrat. La nouvelle Libye entend bien d’ores et déjà poser son empreinte.

Enquête réalisée par François Pargny

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