Si L’Allemagne est omniprésente au Kazakhstan grâce à ses PME, la France l’est grâce aux fleurons de son industrie. Pour les entreprises françaises, l’immense république d’Asie centrale est d’abord une terre de grands contrats. Quitte à nouer avec les autorités kazakhstanaises de nouveaux partenariats industriels et technologiques.
Gisement pétrolier de Kashagan, commande de 295 locomotives électriques pour Alstom avec des partenaires kazakhstanais et russes (Alstom évalue sa part dans le contrat autour de 800 millions d’euros), vente de 45 hélicoptères EC 145 par Eurocopter (EADS), Areva qui dispose d’une licence pour produire 4 000 tonnes d’uranium par an… Autant de méga-contrats engrangés par les grands groupes français en terre kazakhstanaise.
La visite de l’ancien président Sarkozy, le 6 octobre 2009, lors de laquelle a été confirmé le « partenariat stratégique » établi l’année précédente avec le président Nazarbaiev, a servi de tremplin pour nombre de ces contrats. Certes, Total et Areva étaient là avant, mais c’est cette visite qui a permis de débloquer certains dossiers. « La relation politique est importante pour ces grands contrats. Les dirigeants kazakhstanais y sont très attachés. Le président Nazarbaïev aime à se souvenir de la visite de François Mitterrand en 1993, à une époque où son pays était fragile », souligne Jean-Charles Berthonnet, l’ambassadeur de France au Kazakhstan.
Aujourd’hui, Astana se sent sûre d’elle-même. Pas un contrat pour ainsi dire ne se signe désormais sans transfert de technologie. « C’est capital. Mais cela va encore plus loin. Les kazakhstanais examinent de plus en plus la qualité du projet industriel qu’une entreprise étrangère propose », fait remarquer Pierre-Yves Lucas, fondateur de K Consulting et familier des milieux d’affaires du Kazakhstan où il est installé depuis une douzaine d’années
Les grands industriels français ont dû faire preuve de pédagogie pour expliquer leurs contraintes. « Nous avons pris le temps d’expliquer nos métiers, notre industrie, que nous intégrons des systèmes complexes, gérant des démarches qualité exigeantes et des notions d’airworthiness (naviguabilité) », explique Silvère Delaunay, directeur général d’EADS Kazakhstan.
Avec EADS, un terrain d’entente a été trouvé pour la construction d’une usine d’assemblage final d’hélicoptères, abritant un centre de maintenance et de formation, dans le cadre de l’accord sur l’achat de 45 hélicoptères EC-145. L’usine, bâtie à Astana, capitale nouvelle qui peine à attirer la population à elle, devrait passer de 40 employés actuellement à 120 et plus avec la montée en puissance des activités de maintenance. « Peut-être emploierons-nous davantage de personnel si nous signons d’autres contrats, de maintenance, avec les autres pays de la région », espère Robert Sollinger, directeur de la coentreprise Eurocopter Kazakhstan. Thalès, qui a signé en 2009 un contrat pour fournir 4 500 radios tactiques aux forces armées du Kazakhstan, a dû aussi engager une discussion sur ses fondamentaux industriels avec ses partenaires kazakhstanais. « Ces radios sont la brique à partir de laquelle il sera possible à l’armée kazakhstanaise de mettre en place un commandement intégré. Nous sommes dans une logique de partenariat industriel et technologique. Cela suppose de pouvoir gérer nos implantations locales au plus près de nos partenaires, afin par exemple de pouvoir en permanence discuter et valider ce que nous nous pouvons faire et ne pas faire, du point de vue industriel », explique Olivier Sidiqian, directeur de Thales pour le Kazakhstan.
Exemple de problématique : « Les autorités du pays souhaitent que nous produisions sur place autant de composants que possible pour nos radios. Ce n’est pas toujours possible, pour des raisons de volume ou de contraintes d’approvisionnement, concernant les circuits imprimés, par exemple. Notre projet contribue au développement de la filière électronique de défense au Kazakhstan mais il ne peut pas la constituer à lui tout seul », détaille Olivier Sidiqian.
Même démarche initiée par Bernard Gonnet, directeur d’Alstom transport pour la CEI : « Il faut du temps pour se comprendre. Notre partenaire kazakhstanais, la société nationale de chemins de fer Temir Zholy, a ses propres normes, techniques ou de fonctionnement, imposée par son actionnaire, le holding d’Etat Samruk Kazyna. Pour travailler ensemble, il a fallu s’extraire de ces normes ». Autre difficulté : « Les exigences légales en termes de contenu local sont très hautes. Cela nous pose des problèmes surtout pour le recrutement du personnel. Nous n’en trouvons pas suffisamment dans le pays pour répondre à nos besoins », regrette Bernard Gonnet. La discussion s’avère difficile au sujet de ce « local content ». C’est le genre de questions dont peut débattre le « Conseil franco-kazakhstanais des affaires », qui se réunit en même temps que la Commission mixte qui se tient en principe annuellement.
R. G.
Total : Kashagan entrera en production au printemps prochain
La première huile devrait sortir de Kashagan, le plus grand gisement pétrolier offshore du monde situé en mer Caspienne, autour de mars-avril 2013. « Cet été, nous avons commencé le commissioning. C’est une phase très importante où après avoir tout raccordé nous testons l’ensemble des installations. Cela durera le temps qu’il faudra compte tenu des défis posés par le projet. Il en va de sa sécurité et de son efficacité », explique Jean-Luc Porcheron, le directeur de la filiale kazakhstanaise de Total.
Les premiers barils de brut étaient initialement attendus en 2005. Mais la combinaison des défis physiques (eaux très peu profondes et gelées l’hiver au Nord de la Caspienne, pression extrême, importantes quantités de soufre) a rendu la tâche des plus ardues et fait gonfler la plus lourde facture de l’histoire du pétrole. Elle est de plus de 30 milliards de dollars pour l’heure mais pourrait s’élever à 130 milliards à terme. D’où, depuis la découverte en 2000 des 11 milliards de barils de réserves récupérables de ce gisement géant, une série de disputes entre le gratin des majors pétrolières devenues actionnaires, dont Total (16,81% des parts), et les autorités kazakhstanaises.
Aujourd’hui, la phase 2 du projet est différée. « C’est une approche prudente d’opérateur, pour redéfinir un schéma de développement progressif tenant compte de ce que l’on apprendra de la production de la phase 1 quant au comportement du réservoir », explique Jean-Luc Porcheron. Le retour sur investissement pourrait donc se faire attendre. De ces discussions dépend l’avenir économique du Kazakhstan, « radieux ou très radieux », comme le dit un cadre d’une firme étrangère, parce qu’il « dépend beaucoup de Kashagan. »