Aïdan Karibjanov est sans doute parmi les plus francophiles, et francophones, des Kazakhstanais. Mais, au-delà des sentiments, c’est surtout l’offre française qui l’intéresse en ce qu’elle répond à la priorité stratégique d’Astana : diversifier l’économie nationale, sortir du tout-pétrole.
Le Moci. Le holding d’État Samruk-Kazyna a fait de l’Allemagne et la France ses deux cibles privilégiées en Europe. Cela signifie que la France est bel et bien un partenaire stratégique pour le Kazakhstan ?
Aïdan Karibjanov.C’est aux politiques qu’il faudrait poser la question. Ce que je peux dire, c’est que ce qui compte, c’est le fait que la France apporte une technologie qui contribue à la diversification de notre économie, ce qui est notre priorité. La plupart des entreprises américaines présentes au Kazakhstan sont dans le pétrole ; du point de vue technologique la Russie n’est pas une option, de même pour la Chine, outre des questions géopolitiques. Quant à la France, regardez la liste des entreprises qui travaillent au Kazakhstan. Ce sont des leaders dans leur domaine, pas seulement dans les hydrocarbures.
Le Moci. Dans ce cadre, quels sont les grands axes stratégiques de cette diversification ?
Aïdan Karibjanov. Industrialiser, innover. Le président Nazarbaïev a très tôt compris que l’économie kazakhstanaise est trop dépendante du pétrole et du gaz. Imaginez que les prix baissent soudainement. Un des axes a d’abord été de développer notre industrie de base. En créant de nouvelles structures pour la pétrochimie, en modernisant trois raffineries construites à l’époque soviétique. Les moderniser revenait aussi à les adapter à la demande actuelle, le diesel qu’elles produisaient n’étant plus demandé sur le marché. Nous essayons aussi de produire de la valeur ajoutée à partir de nos industries traditionnelles, d’extraction. Nous ne voulons plus que le Kazakhstan soit seulement producteur de matières premières. C’est là que notre stratégie vis-à-vis des transferts de technologie prend tout son sens.
En nous appuyant d’abord sur nos bases, nous pouvons mettre sur le marché des choses nouvelles pour nous. Regardez par exemple le secteur de la production de locomotives. Nous avons d’abord créé une joint-venture avec General Electric pour fabriquer des locomotives diesel. Et maintenant, nous allons faire de même avec les Français d’Alstom, ou bien avec EADS pour les hélicoptères.
Le Moci. C’est la visite à Astana d’octobre 2009 de M. Sarkozy qui a relancé les contrats franco-kazakhstanais ?
Aïdan Karibjanov. Elle a manifestement donné une impulsion nouvelle. C’est souvent comme cela, il faut l’impulsion politique.
Le Moci. Cela veut-il dire que les contrats ne peuvent pas se signer sans un soutien politique au Kazakhstan ?
Aïdan Karibjanov. Non, les politiques ne sont pas absolument nécessaires pour conclure des affaires au Kazakhstan. Le marché marche, dirais-je. Il y a d’ailleurs beaucoup d’affaires qui se concluent sans que les politiques y mettent leur nez. Les entreprises françaises qui comprennent la réalité kazakhe font du business ici, sans l’État. Mais évidemment, pour les grands contrats, sur des secteurs stratégiques, c’est différent.
Le Moci. Quels sont les secteurs où le Kazakhstan a, disons, « besoin » de la France ?
Aïdan Karibjanov. La France est là dans des secteurs clés et parce qu’elle apporte sa technologie et son savoir-faire. Voyez Total, Areva, EADS, Alstom. C’est de l’apport de nouvelles technologies, de hautes technologies, dont nous avons besoin. La défense est devenue un de nos grands axes de coopération. Je ne parle pas d’achat de Mirage ou de Mistral, mais de contrôler nos frontières par exemple. Le transport aussi est, bien sûr, un domaine où la France a sa place à prendre.
Le Moci. Qu’est-ce qui fait la différence en faveur des entrepreneurs français ?
Aïdan Karibjanov.Ils sont souvent perfectionnistes, toujours prêts. Les grands groupes ont une énorme expérience. Pour nous, vous savez, l’innovation n’est pas quelque chose de fantastique. Elle doit donner des résultats concrets. Parvenir à forer là où c’était compliqué, par exemple.
Le Moci. Quels conseils donnez-vous aux entreprises françaises qui voudraient travailler au Kazakhstan ?
Aïdan Karibjanov. Le Kazakhstan, depuis son indépendance il y a vingt ans, a développé un tissu d’entreprises qui peuvent répondre aux besoins des investisseurs français sur place : logistique, juridique, ressources humaines, etc. Les entreprises françaises désirant s’installer au Kazakhstan peuvent s’appuyer sur ce réseau.
Le Moci. Vous co-présidez, avec Yves-Louis Darricarrère, le n° 2 de Total, le Conseil des affaires franco-kazakhstanais*. Quel rôle aimeriez-vous que cette institution joue ?
Aïdan Karibjanov. Pour le moment, cela marche assez bien. Le Conseil permet de faire avancer des projets qui bloquent ici ou là. Pour nous, Samruk-Kazyna, il nous donne un contact plus direct avec les entreprises. C’est aussi parfois l’occasion de mettre sur la table de nouveaux projets. Et puis, c’est un forum pour dire quels sont les problèmes rencontrés par les uns et les autres. Ensuite, nous pouvons faire remonter l’information au gouvernement kazkahstanais. Je crois qu’il faut continuer dans cette direction.
Propos recueillis par R. G.
* Voir contacts à la fin du dossier.
Un Français chez Samruk-Kazyna
Pierre-Yves Lucas (notre photo) est un nom à connaître. Depuis l’été 2011, il est conseiller du président du holding d’État Samruk-Kazyna. Au quotidien, c’est surtout avec M. Karibjanov, le vice-président, qu’il travaille. Sa mission, pour ce qui est des relations franco-kazakhstanaises, il la définit ainsi : « Simplifier nos relations d’affaires ». « Un des problèmes de fond est le manque de confiance entre les parties.
Souvent, il s’agit de questions techniques qui n’ont pas besoin de remonter au niveau politique », explique-t-il. Pierre-Yves Lucas, 36 ans, connaît bien le Kazakhstan et ses élites. Voilà une douzaine d’années qu’il y travaille, pour des entreprises privées d’abord, pour la délégation de l’UE au Kazakhstan ensuite.
R. G.