Qui sont les interlocuteurs des hommes d’affaires étrangers en quête de partenaires ou de décideurs pour investir ou développer des courants d’affaires au Kazakhstan ? Une jeune génération prend les choses en main, animée d’un vrai esprit des affaires, mais surfant néanmoins entre fonction publique et secteur privé.
L’auteur du présent article avait interviewé Almaz Irichev voilà quatre ans, pour préparer un article sur le pétrole : un rendez-vous avait été arrangé chez Kazmounaïgaz (KMG), la société pétrolière nationale, avec celui qui était alors son directeur financier. Almaz Irichev avait 31 ans, et déjà un poste important. Pour les besoins du présent reportage, son nom a été à nouveau proposé. En le voyant s’avancer dans le lobby de l’hôtel Rixos, impossible de ne pas reconnaître la coupe « golden boy » et le costume parfaitement taillé du jeune responsable. Entre-temps, Almaz Irichev est passé dans le privé, à la tête de SB Capital, une banque d’investissement basée à Almaty.
« Après mon passage à KMG, et six mois passés ensuite chez Samruk-Kazyna [la holding d’État], j’ai réuni des gens avec qui j’avais travaillé pour monter SB Capital », nous explique-t-il. Le privé, « je pensais, et je souhaitais y faire toute ma carrière, après mes études de finances à l’université américaine de Londres ». Mais voilà, public- privé, dans cette ex-république soviétique, cela revêt un sens particulier.
Le parcours d’Almaz Irichev est représentatif de celui des nouvelles élites des affaires kazakhstanaises. On y multiplie les allers-retours entre service de l’État (dans un ministère, une agence publique, une entreprise d’État…) et sociétés privées. Le Kto est’ kto (Qui est qui) kazakhstanais est intéressant de ce point de vue. On y découvre au passage combien cette jeunesse est souvent issue de la bourgeoisie soviétique.
Comme Almaz Irichev, beaucoup de ces jeunes, qui ont entre 30 et 45 ans, disent préférer le privé et n’aller dans le public qu’à reculons. Pourtant, aujourd’hui, la crème de la jeunesse kazakhstanaise choisit le public. « C’est là qu’est l’essentiel de notre économie », explique M. Irichev.
Mais cette tendance a aussi à voir avec les deux « générations » de cette nouvelle élite : les quadras (enfants de la perestroïka) et les trentenaires (« génération MBA », Master of business administration). « Nous avons tous la même vision de l’économie, mais ceux qui se sont lancés pendant la perestroïka savent prendre des risques alors que nous, les trentenaires, qui avons étudié aux États-Unis ou en Europe, on ne le sait pas », estime Almaz Irichev. Comme l’explique Marie Dumoulin, auteure d’une thèse sur « Les élites politiques kazakhstanaises », les jeunes hommes d’affaires montent dans la hiérarchie en s’adossant à une « légitimité [fondée sur] leur connaissance pratique de l’économie de marché. » « Avoir des horaires fixes, cela ne me convient pas », nous confie Aïdan Karibjanov, 40 ans, le vice-président de Samruk-Kazyna. Après des études au MGIMO, le prestigieux Institut moscovite des relations internationales, le voilà plongé dans la perestroïka, moment des privatisations et des fortunes qui se font en quelques semaines.
Très recherchés, les étudiants du MGIMO se font alors de l’argent de poche en devenant consultants pour les sociétés occidentales qui partent à la conquête de l’Est. Aïdan Karibjanov découvre l’économie de marché en travaillant pour le Crédit Commercial de France.
Il apprend vite, y prend goût et développe son flair pour les affaires. Après quelques années, il crée Vizor Capital, fonds qui rachète les affaires boiteuses, les restructure avant de les revendre avec profit. Ce n’est qu’en 2008 qu’il passe dans le public, chez Samruk-Kazyna, invité par Timour Koulibaïev, 45 ans, le gendre du Président Nazarbaïev et grand maître de l’économie du pays. Ce milliardaire est un des vrais leaders de cette nouvelle élite, businessman jusqu’au bout des ongles et grand artisan du capitalisme d’État à la kazakhe.
Certains se demandent comment expliquer toutes ces carrières fulgurantes ? Les liens familiaux en expliquent sans doute beaucoup. En tout cas plus que le factionnalisme clanique des trois jouz (« tribus parapluie ») du pays, trop souvent invoqué. Selon Marie Dumoulin, c’est le svoj, mot russe désignant le lien de confiance entre personnes d’un même réseau, qui explique l’intriguant fonctionnement de l’élite kazakhstanaise. Des liens « aux contours fluctuants » et moins traditionnels que l’on pourrait le croire, parfois tissés à l’université, au travail, dans une organisation de jeunesse ou encorre dans sa région.
R. G.