Les PME françaises qui réussissent au Gabon font souvent preuve d’une ténacité à toute épreuve. Indépendantes ou filiales, elles se heurtent à l’inertie de l’Administration, ce qui les amène souvent à privilégier le secteur privé. Avec bonheur finalement. Retour sur des expériences passionnantes et des parcours d’entrepreneurs souvent atypiques.
Le Gabon, ce n’est pas la France, ce n’est pas non plus toute l’Afrique. « Quand vous arrivez ici, il faut avoir au minimum une connaissance de l’Afrique centrale », estime Jérôme Lafargue, directeur général d’Easywave, une PME active dans les télécommunications et les services aux entreprises et aux opérateurs. Et « surtout, ajoute-t-il, ne prenez pas un financier ou un prête-nom pour travailler au Gabon, mais plutôt un associé qui travaille et que vous connaissez ».
En l’occurrence, son associé, qui est le directeur commercial d’Easywave, est un Gabonais qui a fait des études et a travaillé en France. « Il dispose d’un bon réseau au Gabon, connaît les responsables en entreprise et dans l’Administration sur lesquels on peut se reposer, les rouages et les procédures, notamment quand il s’agit de marchés publics », se félicite Jérôme Lafargue.
« Une fois que vous avez formé votre tour de table, adressez-vous à un notaire. L’entreprise doit être obligatoirement enregistrée auprès du Centre de développement des entreprises (CDE) et c’est moins long, de l’ordre de 3 à 4 semaines en général », souligne Rachid Nachirou, un sympathique Béninois, qui a grandi au Gabon où il a fondé le cabinet de conseil Africaine de l’information commerciale, financière et économique (AICFE). Selon lui, pour constituer une SARL, il faut compter de 2 300 à 3 000 euros de la rédaction des statuts à leur enregistrement.
« Ici, tout est cher, l’eau, l’hébergement, l’alimentation… », affirme Éric Bérard, le directeur général de LDMobile Gabon, une société de marketing et de publicité sur le téléphone mobile. Selon lui, « il faut compter au moins 150 000 euros de frais par personne la première année ». « Raison de plus pour profiter des avantages disponibles », lance Rachid Nachirou. Selon lui, « quand un entrepreneur étranger ouvre une activité sur place, il doit identifier avec précision ses fournisseurs et importer lui-même ». Car il peut bénéficier d’exonérations dans le cadre de programmes prioritaires. Par exemple, certains grands travaux donnent droit à des exonérations de taxes douanières et même de la TVA. L’Administration, dans de tels cas, fait preuve de flexibilité. Et il est toujours possible de négocier avec les ministères des Finances et de l’Habitat.
Autre clé du succès, quand on s’implante, il faut réfléchir à son recrutement. Le niveau d’éducation s’est effondré, si bien que la Banque mondiale et l’Agence française de développement (AFD) réfléchissent aujourd’hui à reconstituer des programmes de soutien. « Le redoublement touche 40 % des enfants du primaire, soit le taux le plus élevé du monde », déplore la Nigérienne Zouera Youssoufou, représentant résident de la Banque mondiale.
« Les entreprises manquent de compétences », déclare encore Didier Lespinas, le président de la section Gabon des Conseillers du commerce extérieur de la France. Pour sa part, le directeur général de LDMobile (13 salariés avec une moyenne d’âge de 30 ans) se félicite des recrutements effectués à la sortie de l’Association franco-américaine de management (AFAM) et de l’Institut supérieur technique (IST). Mais, prévient Éric Bérard, « il faut savoir s’intégrer à l’environnement local ». Donc, « pour éviter les problèmes, la règle est de refuser tout recrutement ethnique ». En même temps, « au Gabon, il est indispensable d’être plus proche de ses employés qu’on peut l’être en Europe. Enfin, il est important de les respecter ». « Il faut être proche, attentif, à l’écoute de ses employés et les barrières doivent être celles du respect mutuel, chacun dans la société connaissant la vie familiale de l’autre », renchérit Frédéric Dumas, patron de Cetra (eau, énergie…). Le salaire est aussi un élément indispensable de motivation. « Ayez toujours en tête que la vie est chère au Gabon », martèle Éric Bérard. Chez LDMobile, les salaires du personnel administratif, de l’assistante, de l’aide comptable ou de l’infographe s’élèvent ainsi autour de 600 euros par mois, alors que le SMIG au Gabon atteint 275 euros.
Le salaire est d’autant plus important que les entreprises, notamment les PME, doivent tenir compte de la politique salariale des compagnies pétrolières, qui peuvent offrir des rémunérations très élevées. Au départ, la société Easywave embauchait à la sortie d’écoles secondaires et techniques, puis formait sur le tas. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de favoriser la promotion des salariés qui ont connu les heures difficiles du démarrage de l’entreprise.
Ingénierie Conseil Géomatique : une ambition, une démarche, un recentrage réussi
Il y a environ un an et demi, Jean-François Bihan-Poudec a quitté la France pour créer avec un associé gabonais, Jules Anderson Mouiti, le cabinet Ingénierie Conseil Géomatique (ICG) à Libreville.
À la croisée de la géographie et de l’informatique, la géomatique propose des systèmes d’informations géographiques (par exemple, des systèmes de gestion embarqués), résultant du traitement informatique d’informations recueillies sur le terrain. Le Français, âgé de 27 ans, est urbaniste de formation, le Gabonais, 34 ans, est un spécialiste de la géomatique. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Evreux. Le premier suivait les dossiers de création d’entreprises à la CCI de l’Eure, le second était ingénieur chez Thales. Jean-François Bihan-Poudec a commencé par prospecter dans l’Hexagone pour mesurer les chances d’établir des partenariats. Une fois parvenu au Gabon, il s’est adressé à un notaire, en l’occurrence le frère du président de la République, Alfred Bongo, que lui avait conseillé de rencontrer le consul du Gabon en Haute-Normandie.
Il a fallu un mois au notaire pour valider les statuts. « C’est plus cher, de l’ordre de 1 500 euros, que si je m’étais adressé directement au Centre de développement des entreprises (CDE) qui enregistre les nouvelles entreprises, mais c’est plus rassurant », explique le jeune Français.
De façon chronologique, le CDE a enregistré les statuts, puis, à son tour, le greffe du tribunal de Commerce, qui se situe à côté, a apposé son tampon sur les documents. Enfin, il y a un passage obligatoire à la Direction générale des impôts puis la validation finale de l’ensemble par la direction générale du CDE. Cette procédure commençant et finissant au CDE demande en gros un mois et demi. Une période que Jean-François Bihan-Poudec a mis à profit pour effectuer un travail de réseau.
Par différents canaux – le consul du Gabon en Haute-Normandie, le Service économique de l’ambassade de France à Libreville, la famille de Jules Anderson Mouiti – ICG a cherché à acquérir conseils, informations et connaissances. Ses dirigeants ont aussi fréquenté les salons, les séminaires, ont pris langue avec l’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales (Ageos), qui se développe avec l’appui technique de l’Institut français de la recherche pour le développement (IRD) et l’Institut de recherche spatial brésilien (INPE).
Il y a encore un an, Jean-François Bihan-Poudec se montrait encore prudent et discret. De fait, son associé gabonais a depuis quitté l’entreprise et ICG a préféré se recentrer sur un marché moins difficile pour une petite structure : la topographie et la cartographie. Un recentrage réussi puisque la société ICG, qui compte au total cinq salariés, a pu ainsi travailler pour une société tchèque, l’Institut gabonais d’aide au développement (Igad) ou encore l’Agence nationale de l’urbanisme.
« Depuis le début de l’année, nous avons développé un nouveau service », se félicite encore Jean-François Bihan-Poudec. Son entreprise a acquis un drone civil en Suisse, « ce qui nous permet, précise le jeune Français, de produire pour nos clients des images aériennes à haute résolution et des modèles numériques de surface, c’est-à-dire des représentations de l’environnement en trois dimensions ». De quoi voir l’avenir en bleu ciel.
LDMobile : lancée grâce à la sécurité routière
Numéro un français du marketing et de la publicité sur le téléphone mobile, LDMobile s’est établi à Libreville il y a cinq ans.
« À l’époque, l’entreprise marseillaise était à la recherche d’une diversification géographique. Pour sa première implantation en Afrique, elle a choisi le Gabon, un pays stable politiquement », relate Éric Bérard, directeur général de LDMobile Gabon (13 salariés).
C’est un appel d’offres remporté auprès du ministère de Transports et de l’aviation civile qui a permis à la filiale « de mettre le pied à l’étrier, raconte encore Éric Bérard. De façon concrète, nous avons envoyé 700 000 SMS et fourni des panneaux de signalisation devant les écoles, dans le cadre d’une campagne sur la sécurité routière ».
La « route » enregistre quelque 300 morts par an, ce qui est un chiffre élevé pour un pays de 1,6 million d’habitants. Environ 40 % des Gabonais ont également été victimes d’un accident de la route et 80 % ont un proche parmi les accidentés. Le thème de la sécurité routière devenant un thème national, les grandes entreprises privées ont voulu apporter leur contribution en communiquant. « Total nous a ainsi sollicités et LDMobile a été chargé par la compagnie française d’installer des panneaux de signalisation routière devant dix écoles de Libreville », explique Éric Bérard.
Malgré ces succès dans la communication institutionnelle et privée, LDMobile Gabon a dû se diversifier. Le marché gabonais est concurrentiel, avec de gros « joueurs » comme Havas Media et AG Partenaire et des sociétés locales disposant d’un réseau important. C’est pourquoi, parallèlement, la société de Libreville représente des entreprises.
Fin 2012, elle a accompagné Cotecna, spécialiste des services de test, de l’inspection et de la certification, dans son implantation au Gabon, lui offrant ainsi toute une panoplie de services : création d’une société anonyme, ouverture des comptes en banque, lobbying ou encore installation de scanners dans les ports du Gabon.
Cetra : percer dans l’eau, l’électricité et les fondations
Après ses études en France, Frédéric Dumas a choisi de rentrer au Gabon, le pays de son enfance, où il a, d’abord, travaillé chez Enarda, une société gabonaise spécialisée dans l’énergie solaire et l’eau.
Il y a trois ans, à 35 ans, il a décidé de créer Cetra, une société de forage, d’adduction et de traitement d’eau, aussi active dans les travaux de fondation et la fourniture de groupes électrogènes et de matériel de basse tension. Les banques privées ne l’ont pas soutenu. « Au début, un ami m’a prêté un bureau et un ordinateur et ce n’est qu’au bout de la première année que la société était propriétaire d’un bureau et du petit matériel », se souvient Frédéric Dumas. À l’époque, la Banque Gabonaise de Développement (BGD), plus vieil établissement de la place, a accepté de l’appuyer. Société anonyme d’intérêt national, cette banque de développement s’est diversifiée avec des offres commerciales à des taux plus intéressants (12 % au lieu de 15 %).
Depuis décembre dernier, Cetra possède ainsi son gros matériel (foreuse, camions…). « Nous sommes aussi en phase d’acquisition d’un terrain à l’entrée de la Zone économique spéciale (ZES) de Nkok, que l’on paiera 20 000 FCFA le m2 au lieu du double dans la ZES, à la fois bien situé pour travailler à Libreville et vers l’intérieur du pays », explique Frédéric Dumas. Cetra pourra ainsi y installer ses bureaux, ses ateliers mécaniques et y produire des ensembles mécaniques. La majorité de ses clients sont des entreprises privées, comme la Société d’exploitation du Transgabonais (Setrag), l’entreprise de BTP Entraco ou l’autorité Gabon Port Management (GPM). « Avec l’Administration, c’est plus compliqué de travailler », assure Frédéric Dumas, qui se plaint de sa lenteur. « Faute d’être payés, nous pouvons être amenés à arrêter un chantier 6 mois, voire un an, et parfois même, nous devons faire monter les élus au créneau », regrette-t-il. « Pour une entreprise d’une vingtaine de salariés, il faut à la fois beaucoup de travail et de persévérance », affirme encore Frédéric Dumas, qui travaille tous les jours entre 6 heures du matin et 20 heures, tout comme son associé gabonais. « Pour l’électrification d’un hôpital au sud à Gamba, je suis parti seul pendant trois semaines », se souvient le fondateur de Cetra. Dans les prochaines années, l’entreprise continuera à travailler de concert pour des sociétés privées et le ministère des Ressources hydrauliques.
Easywave : un bon conseil juridique l’installe sur une niche de services télécom
Spécialiste des télécommunications et des services aux entre- prises et opérateurs (visio-conférence, vidéosurveillance, détection incendie, contrôle d’accès), Easywave SA est une société fondée en 2006 par quatre anciens du groupe CFAO au Gabon, trois Français et un Gabonais.
« Pour nous implanter, se souvient Jérôme Lafargue, le directeur général, nous avons sollicité le cabinet Deloitte. Et bien nous en a pris, car une simple phrase bien rédigée dans les statuts de la société nous a permis de mener une opération connexe – activité ponctuelle au demeurant et non récurrente, ce qui nous était interdit. Easywave a pu ainsi tenir jusqu’à son premier gros contrat. Lors de la rédaction des statuts, Deloitte avait aussi pensé à la possibilité pour nous d’importer et d’exporter ».
« Au début, relate encore le directeur général d’Easywave, nous avions beau être connu au Gabon, beaucoup doutaient ou s’interrogeaient sur notre solidité financière ». Jusqu’au moment où l’entreprise a décroché son premier gros contrat avec Sonema, un opérateur de télécommunications par satellite, basé à Monaco, que Jérôme Lafargue avait connu dans les années 90 quand il travaillait chez un concurrent en France.
Non seulement Sonema a accepté un contrat annuel, comportant des conditions financières avantageuses (paiement à l’avance chaque trimestre), mais cet opérateur a ouvert des marchés à son prestataire gabonais. « Nous installons les réseaux et assurons la maintenance des réseaux de télécommunication de clients de Sonema », confirme Jérôme Lafargue. C’est d’ailleurs grâce à un client de Sonema que la PME gabonaise (10 salariés) a pu répondre fin 2008 à un appel d’offres lancé par l’américain Polycom, numéro un mondial des solutions de communications unifiées (CU) pour des rencontres en face à face. Appel d’offres qu’elle a gagné, portant sur l’installation d’un système de visioconférence entre le Gabon, le Congo, la Guinée Equatoriale et la France. Enfin, en 2011, Easywave a conclu un contrat annuel avec un deuxième opérateur de télécommunication par satellite, la société EADS Astrium, portant sur l’installation et la maintenance de liaisons VSAT (Terminaux à très petite ouverture).
François Pargny