Jean-Baptiste Bikalou est le patron de PetroGabon, une société privée 100 % gabonaise, véritable success story qui s’est hissée en dix ans au premier rang de la distribution d’hydrocarbures au coude à coude avec Total. Il est aussi le premier président issu du secteur privé de la Chambre de commerce, d’agriculture, d’industrie, des mines et de l’artisanat du Gabon (CCAIMAG). Cet entrepreneur croit à la possibilité pour le Gabon d’atteindre l’émergence d’ici à 7 ans.
Le Moci. Le président Ali Bongo Odimba souhaite mener son pays à l’émergence à l’horizon 2025. N’est-ce pas là un projet trop ambitieux pour un petit pays de 1,6 million d’habitants très dépendant des hydrocarbures ?
Jean-Baptiste Bikalou. En 2009, l’objectif de l’émergence suscitait beaucoup de scepticisme. Trois ans après, l’Afrique est dans le viseur de tous les grands investisseurs internationaux et nombre de programmes d’urgence ont été réalisés en Afrique centrale comme en Afrique de l’Ouest. En Asie, Singapour ne produit même pas son eau et pourtant ce petit territoire est devenu un grand pays. Et en Afrique, regardez le Rwanda ! Il y a 20 ans, les coupeurs à machettes y faisaient la loi. Aujourd’hui, ce pays est passé du chaos à l’ordre et à la croissance économique. Alors, il faudra du temps au Gabon. Sa population est faible, pas très travailleuse et entrepreneuriale, et ce n’est pas en trois ans que les mauvaises habitudes peuvent changer. Y parvenir dans les 5 à 7 ans sera déjà un exploit. Il faut en finir avec l’idée d’argent facile. Le plan stratégique Gabon émergent est une vision ambitieuse qu’il faut protéger et rendre plus lisible. D’autant qu’on en voit déjà les premiers effets positifs. Par exemple, un grand barrage hydroélectrique à Franceville a été construit. Et près de Lambaréné, un tronçon routier, qui attendait depuis 16 ans, a enfin été réalisé.
Le Moci. Il y a 16 ans, on parlait aussi de diversification économique. Mais il ne se passait rien. Or, depuis 2010, le Gabon aurait reçu 4 milliards de dollars d’investissement dans le bois, l’agriculture et les infrastructures. Qu’en pensez-vous ?
J-B. B. Il y a une petite diversification économique. Mais n’oubliez pas que le baril de pétrole coûtant aujourd’hui 90 à 100 dollars, faire de l’exploration dans les forêts tropicales comme les nôtres est devenu rentable. Les technologies actuelles permettent aussi au Gabon de s’engager dans l’exploration en eau profonde, ce qui doit être bénéfique pour tous les services dans les hydrocarbures. Nous devons diversifier nos partenaires, car la concurrence est bonne pour la professionnalisation du secteur et la baisse des coûts. S’ouvrir ne signifie pas oublier nos partenaires industriels, mais, en l’occurrence, la France gère en ce moment sa crise. Elle ne peut plus être au même niveau de réalisation qu’il y a 30 ans, et donc l’ouverture du Gabon est tout à fait naturelle.
Le Moci. Comment PetroGabon imagine sa propre diversification ?
J-B. B. Quand nous nous sommes lancés en 2002 dans la distribution, le paysage était très différent. Si Total est toujours là et a avalé Elf, Shell et Mobil ont également disparu. Petronas et Libya Oil ont, eux, émergé, le premier possédant aujourd’hui 90 % du sud-africain Egen, le second ayant repris les actifs de Mobil.
Aujourd’hui, PetroGabon, avec 32 à 34 % de part de marché, titille Total, qui est numéro un. Dans le gaz, nous sommes le leader.
Dans la distribution de carburants, PetroGabon dispose de 21 stations service et si Total en possède le double, le nombre de ses clients industriels est équivalent au nôtre. En revanche, nous sommes absents du marché de l’aviation. Le groupe s’est étendu en créant des filiales dans les services ou la logistique et en acquérant 11 % du capital de la Société gabonaise de raffinage (Sogara) à Port Gentil.
Le Moci. Allez-vous lancer votre entreprise dans l’exploration ?
J-B. B. L’exploration est budgétivore. Notre engagement passera forcément par un partenariat en raison des besoins en expertises techniques et support financiers. La compagnie nationale Gabon Oil Company [NDLR, créée par un décret d’août 2011] serait un partenaire logique, mais notre recherche n’est pas exclusive.
Par ailleurs, PetroGabon s’est doté l’an dernier d’une filiale de construction, un secteur porteur qui bénéficiera d’une croissance soutenue sur une longue période. PetroGabon Construction (PGC) a déjà réalisé des stations service et nous allons clairement l’orienter vers le marché du luxe. Il lui faut d’abord être reconnu avant d’aborder l’aménagement routier ou la construction de logements de masse.
Le Moci. Comme entrepreneur et président de la CCAIMAG, que demandez-vous à l’Etat et à l’Administration si souvent décriée ?
J-B. B. Tous les pays se sont développés avec un secteur public qui avait une culture du privé. Alors au Gabon, aujourd’hui, le fonctionnaire tout puissant, c’est fini. Le grand challenge évidemment, c’est de changer la mentalité et les comportements de l’Administration. Etre homme d’affaires ici, c’est encore un sacerdoce. Ce qui est bien aujourd’hui, c’est que les autorités demandent à l’Administration d’être en contact, d’établir une concertation avec le secteur privé. La compagnie consulaire et les syndicats patronaux ont ainsi un rôle à jouer. Le secteur privé grandit. La preuve, c’est que je préside la Chambre depuis deux ans, alors que je suis le patron d’un groupe privé. Je partage donc mon temps. Avant, le poste de président de la Chambre était toujours occupé par un permanent, qui était fonctionnaire.
Le Moci. Comme président de la CCAIMAG, quelle stratégie menez-vous en faveur du secteur privé ?
J-B. B. Un premier volet est la promotion et le développement des PME. Les Gabonais n’ayant pas une mentalité d’entrepreneur et préférant s’engager dans l’Administration et la politique, nous cherchons des partenaires pour créer un centre de gestion agréé. La Chambre a déjà mis sur pied une bourse de sous-traitance avec la Banque mondiale, mais comme les PME manquent de capacités techniques et financières, nous demandons aussi qu’elles obtiennent un accès obligatoire aux appels d’offres publics afin d’améliorer leur expertise. Enfin, l’établissement de centres d’arbitrage est indispensable, car les tribunaux n’ont pas la notion du temps qui correspond au temps réel des entreprises.
Un deuxième volet est celui des partenariats. Tout ce qui relève du partenariat public-privé ou PPP est profitable à tous.
Le troisième volet est de s’attaquer au manque de capacités humaines au Gabon. Il y a une forte inadéquation entre la formation et l’emploi chez nous et nous avons un besoin réel d’élites. Ainsi, en octobre prochain, l’Ecole supérieure de commerce que nous créons avec HEC va accueillir sa première promotion. Les discussions avec HEC ne sont pas closes, mais elles sont bien avancées et si les formateurs seront en partie des locaux, la nouvelle école devra faire aussi appel à des enseignants d’HEC.
Trois modules d’enseignement seront proposés : force de vente, comptabilité et qualité-sécurité-environnement. Nous entendons aussi développer la formation continue, l’objectif final étant d’apporter aux entreprises du conseil en ressources humaines. De plus en plus, les entreprises vont être aussi obligées de former une main d’œuvre qualifiée, car débaucher les meilleurs n’est certainement pas une bonne solution à long terme. C’est ainsi que la première banque d’Afrique centrale, la BGFI a créé pour ses métiers la BGFI Business School.
Propos recueillis par François Pargny