Les Emirats Arabes Unis jouent la carte de la diversification mais le chemin sera encore long. Actuellement, la croissance bénéficie de l’activité générée par l’Exposition universelle à venir à Dubai et la bonne tenue de la consommation intérieure. Le point en détail dans ce guide.
A l’heure de l’or noir bon marché, les Émirats ne misent plus sur le tout pétrole. Les surplus encaissés grâce aux hydrocarbures ont déjà fondu, mais, grâce à une économie déjà en partie diversifiée, le pays a pu jusqu’à présent maintenir en l’état ses dépenses. Dubai, de loin le plus dynamique des sept émirats (Abu Dhabi, Ajman, Dubai, Fujaïrah, Ras al-Khaïmah, Sharjah, Umm al-Qaïwain), illustre parfaitement ce mouvement de diversification. De fait, il mise à la fois sur le tourisme, le commerce et les services. Toujours tournée vers le futur, l’extravagante cité État est la vitrine de cette métamorphose qui enrichit en un temps record les Émirats Arabes Unis (EAU). Elle apporte ainsi à elle seule aujourd’hui 26 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.
« Les hydrocarbures constituent en revanche l’essentiel des revenus d’Abu Dhabi », selon le rapport 2015 d’Oxford Group. Malgré la dégringolade des prix du brut, cet émirat poursuit ses projets pétroliers, l’objectif étant d’augmenter sa capacité de production de 2,8 millions de barils par jour (mbj) aujourd’hui à 3,5 mbj. Ce qui ne l’empêche pas, parallèlement, de mener sa propre « diversification », note l’Oxford Group. Propriétaire de 95 % des réserves hydrocarbures des EAU, Abu Dhabi détient aussi Adia, le deuxième plus grand fonds d’investissement au monde, nourri par les revenus de la manne pétrolière.
Par rapport à Dubai, Abu Dhabi semble aussi bien plus posé et conservateur. Ici, le business demande plus de temps. Il est le plus grand émirat de la fédération et, pour se diversifier, mise sur d’autres domaines, comme la défense, l’industrie ou la culture. Sur l’Ile Saadiyat un gigantesque quartier des arts doit être construit, accueillant des musées de renommée internationale, tel que le Louvre d’Abu Dhabi. Autre variation, l’industrie du cinéma, que représentent notamment la compagnie de production Image Nation et la zone franche de Twofour54, « foyer de plus de 300 médias et d’entreprises de divertissement du monde entier ».
« Dubai a suivi le modèle singapourien. Tout doit aller vite, les procédures administratives sont rapides », constate Marc Cagnard, directeur de Business France à Dubai, et « les dix dernières années, le développement du secteur hors hydrocarbures a été rendu possible grâce aux politiques « business friendly ». Surtout depuis le début de l’année, le gouvernement communique beaucoup sur la part grandissante de l’activité hors hydrocarbures. Selon les experts d’Alpen Capital, « même si la part du secteur pétrolier est encore importante, les initiatives de diversification entreprises par le gouvernement des EAU commencent à porter leurs fruits et stabilisent la croissance ». Une part que le gouvernement souhaite ramener à 80 % d’ici à 2021 « afin de renforcer la stabilité économique et financière des Émirats Arabes Unis et de nous prémunir contre les fluctuations et les instabilités des marchés mondiaux inhérents », affirme cheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, vice-président et Premier ministre des EAU.
Sélectionné pour son modernisme, Dubai accueillera la prochaine Expo Universelle 2020. Les travaux lancés à cette occasion sont considérés comme l’actuel moteur de l’économie et les projets sont censés attirer de nombreux investisseurs. Après la crise de 2008/ 2009, les Émirats ont mis l’accent sur la création d’un environnement stable pour les affaires. Modernisation du cadre législatif, renforcement des banques, gestion prudente des ressources… tout a été fait pour récupérer la confiance des investisseurs internationaux et locaux. Patrick Erbs, l’adjoint économique de l’ambassade de la France aux EAU, souligne cependant l’importance d’un bon cadrage juridique des contrats et le choix d’un bon partenaire pour la réussite des investissements.
Aujourd’hui Dubai vise un développement durable à long terme. Ainsi l’innovation, les sciences ou le tourisme médical sont devenus stratégiques pour prolonger les bénéfices de l’expo 2020. Et des moyens sont mis en place, à l’image de la nouvelle zone franche Dubai World Trade Center pour stimuler la création des structures organisatrices d’expositions, de salons et conférences, et des sociétés d’événementiel. Objectif : développer le tourisme des affaires. De nouveaux secteurs également, tels que l’économie islamique, figurent parmi les priorités.
Parallèlement, le pays a lancé diverses initiatives pour réveiller l’intérêt des jeunes générations pour les sciences. Pour se doter des compétences indispensables pour assurer son futur, il accueille les meilleures universités du monde, parmi lesquelles Paris Sorbonne Abu Dhabi et New York University of Abu Dhabi. Dans certains émirats du Nord, l’effervescence de l’Expo Universelle aussi se ressent et on s’attend ainsi, du côté du gouvernement, pour l’ensemble du pays à une poussée du PIB de l’ordre de 3,5 % cette année. Cette croissance serait aussi tirée par la consommation interne d’une population qui a dépassé le seuil des 10 millions de personnes.
Pour autant, ce n’est pas suffisant pour combler la diminution des revenus générés par l’or noir. Les EAU, nation bénie en matière de fiscalité par les sociétés qui ne sont pas imposées : cette image idéale pourrait disparaître ou perdre de ses couleurs, si le gouvernement choisissait d’introduire des taxes (TVA) ou des impôts pour compenser la baisse des recettes pétrolières.
Un projet de loi sur la fiscalité des entreprises serait déjà rédigé. Il suffirait de le sortir des cartons, mais pour l’instant, le gouvernement semble vouloir encore privilégier une autre voie, celle de la baisse des dépenses, avec la suspension de certains projets « non prioritaires » et l’arrêt des subventions sur l’eau, l’électricité ou les carburants. Pour certains, ce n’est qu’une question de temps : « un jour on y viendra, les Émirats sont en voie de devenir un pays comme les autres », acquiesce un cadre français, membre de la jeunesse de l’Union des Français de l’étranger (Ufe) à Abu Dhabi.
Peu habitué à être chahuté, le gouvernement voit les nuages s’amonceler. À Dubai par exemple, les prix de l’immobilier ont perdu environ 11 % en un an. On y constate un léger déclin dans les nouveaux recrutements. Enfin, les bénéfices des compagnies émiraties commencent à plonger. Pour ne rien arranger, en septembre, Moubadala, le fonds d’investissement d’Abu Dhabi, qui est chargé de la diversification économique de cet émirat, a annoncé que ses bénéfices ont plongé de 25 % au premier semestre. À cette occasion, le groupe a précisé que ses bénéfices se sont établis à 625,5 millions de dirhams (170,4 millions de dollars) au cours de six premiers mois de l’année, contre 1,3 milliard de dirhams (354,2 millions de dollars) durant la même période de l’année dernière. La baisse concernait principalement les secteurs de l’aérospatial et des hydrocarbures. D’autres domaines – santé, technologies de l’information et de communication, également immobilier et industrie – ont malgré tout tiré ses revenus.
Dans le secteur bancaire, « on anticipe la baisse des profits », conséquence directe de la chute des revenus des sociétés pétrolières, de la baisse du nombre des transactions, explique une source bancaire. L’engagement du pays dans la lutte contre le terrorisme et au sud de la péninsule arabe constitue également une source d’inquiétude. Plateforme logistique et commerciale internationale, par son emplacement géographique et stratégique, la fédération est l’un des centres mondiaux de la logistique et du transport, avec des ports internationaux comme Khalifa Port, Jebel Ali, Fujeirah. Les connexions routières actuelles et les projets ferroviaires avec ses voisins sont d’autres atouts.
Dubai historiquement engagé dans le commerce avec l’Iran espère récupérer ses anciennes habitudes. Certains l’appellent même le « Hong Kong » de l’Iran. La suppression espérée des sanctions devrait constituer ainsi un virage important pour le commerce des EAU. Selon le département du développement économique d’Abu Dhabi, le commerce contribue à hauteur de 70 % du PIB du pays, en grande partie, il est vrai, grâce aux exportations du brut. Cependant « si on calcule uniquement la part des exportations et réexportations des non-hydrocarbures, ce pourcentage tombe à 3,3 % pour 2012, ce qui est peu », constate Adeeb Al Afeefi, directeur du département Soutien au commerce extérieur et aux exportations, Secteur des relations économiques de l’institution.
Aujourd’hui, les patrons des grandes entreprises restent optimistes: « On ne ressent pas de changement dramatique, les Émirats ont une économie très forte, ce n’est pas encore inquiétant », assure Mikail Houari, président de la section EAU des CCEF, dans un entretien exclusif au Moci (lire page 38). Preuve en est l’afflux d’entreprises étrangères, désireuses de tenter leur chance sur place. Non seulement elles sont nombreuses, mais elles savent qu’aux EAU, « avec un bon produit, qu’importe le secteur, il est possible de réussir ».
Eva Izabella Levesque
à Abu Dhabi
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Chiffres clés
Superficie : 83 600 km²
Population (*) : 9,3 millions d’habitants en 2014, 9,581 millions en 2015
Produit intérieur brut (*) : 399,45 milliards de dollars en 2014, 339 milliards en 2015
PIB par habitant (*) : 42 944 dollars en 2014, 35 392 en 2015
Croissance économique (*) : 4,6 % en 2014, 3 % en 2015
Exportations (**) : 359 milliards de dollars en 2014
Importations (**) : 262 milliards de dollars en 2014
Investissements directs étrangers entrants (***) : 10,066 milliards de dollars en 2014
IDE sortants (***) : 3,072 milliards de dollars en 2014
Sources : FMI (*), OMC (**), Cnuced (***)