L’État ivoirien a décidé de promouvoir le transport multimodal et l’interopérabilité des modes de locomotion dans la capitale économique. Au centre de ce grand projet, un métro de 32 kilomètres, qui servira de colonne vertébrale pour la connexion avec le bus, le bateau bus ou le taxi.
Le 21 décembre, le groupement français retenu pour le marché, composé de Bouygues (génie civil), Alstom (matériel roulant), Kéolis (opérateur) et Colas Rail (voies), remettra son offre pour la réalisation du métro d’Abidjan. Ensuite, s’engageront les négociations sur le prix et le contenu.
Avec ce projet de transport de masse, la Côte d’Ivoire s’attaque à un chantier d’une ampleur et d’une technicité qu’elle n’a jamais connues. Une grande partie du coût sera couverte par un prêt du Trésor français. C’est une enveloppe de 1,4 milliard d’euros qui est prévue, indiquait Amadou Koné, lors de l’évènement business Ambition Africa, à Paris, le 23 octobre.
Le métro, sorte de RER à gros débit, couvrira en 50 minutes une distance de 37,5 kilomètres entre la commune d’Anyama au nord et Port-Bouët dans le Sud. « 20 stations sont prévues, ce qui permettra de relier les communes les plus reculées », se félicite Ibrahima Koné, le directeur général de Quipux et président de l’Association ivoirienne pour le développement des systèmes de Transports Intelligents (AITI ITS). Selon Amadou Koné, le métro d’Abidjan devrait être mis en service en 2023.
La ligne de métro, qui devrait transporter jusqu’à 500 000 passagers par jour, est financée dans le cadre d’un contrat de désendettement et de développement (CCD) que gère l’Agence française de développement (AFD). Le CDD assure aux champions français de remporter les contrats sur la base des remboursements effectués par la Côte d’Ivoire de sa dette à la France.
Pour les fournisseurs et les sous-traitants français, la chasse aux lots techniques est ainsi engagée. Le bureau local de Business France prévoit aussi d’organiser des rencontres d’affaires au premier semestre 2019 à Abidjan, devant permettre à des PME et ETI tricolores de se positionner et d’identifier des partenaires ivoiriens.
Ce grand chantier qui va être ouvert est structurant. « En l’espace de quelques années, Abidjan va passer du tout voiture à l’intermodalité », constate Gérald Petit, directeur de Business France Côte d’Ivoire. En fait, c’est un concept multimodal, puisque le métro sera développé selon un axe nord-sud et qu’il faudra ensuite y connecter les autres modes de locomotion : bus, bateau bus, taxi et même vélo.
Qui dit multimodal, dit aussi interopérabilité : un passager du métro devra pouvoir passer directement au bus ou au bateau bus ou encore au taxi, ce qui sous-entend de mettre en place une billettique adaptée, via une plateforme numérique. Sur les 5 millions d’Abidjanais, ils sont déjà plus de 2 millions à traverser la lagune en bateau bus, ce qui donne une idée des besoins. Des couloirs de bus dédiés sont aussi à l’étude pour mettre en place un système de transport rapide (BRT ou Bus Rapid Transit).
Ce plan de développement multimodal est un véritable défi technologique. Mais Abidjan a-t-il le choix ? La capitale économique, comme toutes les grandes métropoles africaines, ne cesse de s’étendre. Pour être plus précis, elle ne suit pas un développement vertical, mais grossit horizontalement, ce qui accroît l’urgence d’un traitement de la mobilité. « L’urbanisation est rapide, mal maîtrisée et demande une mobilité de plus en plus forte », reconnaissait le ministre des Transports.
Estimant que les communes ne disposent pas de l’autorité suffisante, le gouvernement a décidé d’impulser les changements nécessaires, en commençant par le cadre réglementaire. Lors d’Ambition Africa, Amadou Koné expliquait que l’État devait être « le leader » pour prendre en compte l’ensemble des besoins en matière d’aménagement du territoire. Abidjan est constituée d’une dizaine de communes, possède une lagune étendue et un port qui nourrit un hinterland important (Burkina Faso, Mali, Niger).
L’État doit aussi adapter la réglementation, mettre en place des organismes, comme l’autorité de régulation des transports, et établir une planification avec, par exemple, la création de zones industrielles hors d’Abidjan et un plan d’aménagement des horaires de circulation.
À Paris, Amadou Koné a mis l’accent sur le Port autonome d’Abidjan. Ce port est intégré à la cité. Pour fluidifier la circulation routière, l’objectif est aujourd’hui de définir des voies de contournement et des sites logistiques à la périphérie de la ville, non seulement pour les camions, mais aussi pour le fret, maritime comme aérien.
Avec l’appui de la Coopération japonaise et de la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire a concocté le Plan 2015 de transport durable. L’adoption d’un schéma directeur, associant largement le secteur privé, doit permettre de réduire les dépenses d’investissement. L’État, depuis 2011, a consacré 1,7 milliard d’euros aux infrastructures abidjanaises.
« Les infrastructures coûtent très cher, sans compter leur entretien. Et dans la plupart des pays, il y a un fonds d’entretien routier. En Côte d’Ivoire, exposait Amadou Koné, on met en place une agence d’autoroutes et instaure des péages sur les autoroutes et les ponts pour injecter des recettes additionnelles dans l’entretien ».
Toutefois, compte tenu de l’énormité des coûts, l’appui des bailleurs de fonds demeure essentiel. C’est ainsi que la Banque africaine de développement (Bad) a approuvé, le 16 octobre, un prêt d’environ 330 millions d’euros pour favoriser les transports et la mobilité à Abidjan. Parmi les projets : transformer 88 km de voies menacées de saturation en autoroutes urbaines et doubler la capacité d’écoulement du trafic ; faciliter l’accès des populations des zones défavorisées de Yopougon, de Songo, d’Abobo et d’Anyama, qui affichent des taux de pauvreté de 40 à 70 %, à des zones d’emploi ; aménager le périphérique et le boulevard Latrille ; réhabiliter des feux tricolores à 90 carrefours et installer un système intelligent de contrôle du trafic. Un des investissements les plus symboliques de ces dernières années est le troisième pont sur la lagune, avec un péage, inauguré en 2014 et construit par Bouygues entre Cocody et Marcory. Le 30 juillet, les travaux d’un quatrième pont, d’un coût de 216 millions d’euros, ont été lancés pour désengorger le nord d’Abidjan. La société chinoise China State Construction Engineering Corporation (CSCEC), doit terminer cet ouvrage entre les quartiers de Yopougon et du Plateau fin août 2020, à quelques semaines de la fin du second mandat du président Ouattara. Un cinquième pont est même annoncé pour plus tard.
François Pargny
Le port autonome investit pour faire face à la hausse du trafic
Environ 90 % du commerce extérieur de la Côte d’Ivoire passent par le port de la capitale économique. En hausse de 3,8 % en un an, le trafic portuaire global s’est ainsi élevé à 22,5 millions de tonnes en 2017 et, pour les seuls conteneurs, Abidjan était numéro quatre en Afrique de l’Ouest, avec un volume de 663 600 tonnes équivalent vingt pieds, derrière Lomé (Togo), Lagos (Nigeria) et Tema (Ghana).
Concessionnaire jusqu’en 2030 du terminal 1 du port d’Abidjan et vainqueur du deuxième encore en construction, le groupe Bolloré vient d’y investir près de 10 millions d’euros pour accroître les exportations de cacao. Le trafic à Abidjan va forcément augmenter, d’autant que sa filiale Sitarail est engagée dans la réhabilitation de sa ligne de chemin fer Abidjan Ouagadougou, avec des premiers effets attendus en 2021 pour le transport de marchandises et de passagers.
Tous les projets autour d’Abidjan et du port sont imbriqués. Le 29 juin, la Banque mondiale et le gouvernement ivoirien ont ainsi conclu un accord de financement du Projet Port d’Intégration-Ville d’Abidjan (PIDU) d’un montant de 315 millions de dollars. En particulier, le projet de l’autoroute périphérique d’Abidjan va connaître un coup d’accélérateur. Cette grande voie de contournement, connue sous le nom de Y4, va ainsi libérer l’accès au port.