Bailleurs de fonds et investisseurs internationaux soutiennent la Côte d’Ivoire. Et les soubresauts politiques ne freinent pas l’engouement des entreprises étrangères.
Pour l’État et les entreprises de Côte d’Ivoire, le mois d’octobre se sera terminé en apothéose. Dans son dernier rapport sur la Facilité à faire des affaires (Doing Business) 2019, la Banque mondiale y souligne ainsi que la Côte d’Ivoire est passée de la 139e à la 122e place sur 190 pays classés.
Déjà début octobre, le Fonds monétaire international (FMI) avait annoncé un décaissement de 136,6 millions de dollars dans le cadre d’un accord de prêt de 917,8 millions sur trois ans. Le soutien du FMI ne venait ainsi que confirmer la confiance que les bailleurs de fonds ont dans ce pays sorti d’une décennie noire depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011.
Partenaire historique, la France ne manquait pas à l’appel. Mi-octobre, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, effectuait une visite en Côte d’Ivoire de deux jours : le 17, soit deux ans et demi après l’attentat de Grand-Bassam en mars 2016, l’ancien ministre de la Défense de François Hollande se rendait à Jacqueville, près d’Abidjan, sur le site de la future Académie internationale de lutte contre le terrorisme, qui ouvrira fin 2019.
Le lendemain, le 18 octobre, Jean-Yves Le Drian lançait, depuis l’Institut national Polytechnique Houphouët Boigny à Yamoussoukro, le hub éducatif franco-ivoirien. Objectif : permettre aux étudiants ivoiriens d’obtenir des diplômes universitaires français en Côte d’Ivoire. À cette occasion, 56 partenariats avec des écoles ivoiriennes étaient signés. Le ministre souhaite, pour sa part, que ce chiffre passe rapidement à 100.
L’année 2018 aura été une année riche. Elle avait commencé par un rapport de la Banque mondiale très discuté. Il est vrai que si le titre « Aux portes du paradis » pouvait laisser penser que l’objectif de l’émergence fixé par Alassane Ouattara pouvait être atteint (le chef de l’État avait fixé l’échéance à 2020, mais a reconnu cette année que cette date était un peu optimiste), le sous-titre, lui, renvoyait la Côte d’Ivoire, carrefour et pôle industriel de l’Afrique de l’Ouest, quasiment aux portes de l’enfer. « Comment la Côte d’Ivoire peut rattraper son retard technologique ? », interrogeait, sans prendre de gants, la Banque mondiale.
Ainsi, d’un côté, la Banque mondiale saluait la bonne santé et la vitalité de l’économie ivoirienne, d’un autre, elle alertait sur l’insuffisante ouverture du pays sur l’extérieur et son manque d’innovation.
Certes, à court terme, personne ne pense, et sans doute la Banque mondiale la première, qu’un tel retard technologique supposé est de nature à freiner l’engouement international pour l’Éléphant d’Afrique. Pour autant, cette interrogation concernant l’évolution économique et industrielle du pays à moyen et long terme mérite que le monde politique et économique se penche sur la question.
Dans l’immédiat, les entreprises, ivoiriennes et étrangères, ont une autre préoccupation : la détérioration du climat politique. « Surtout que la campagne a été lancée trois ans avant les élections présidentielles, qui doivent se tenir en 2020 », observe, un peu dépité, un représentant du monde économique. La scène politique est d’autant plus agitée que le président Ouattara ne se représentera pas.
Pour autant, note Jean-Louis Giacometti, le directeur général de CCI France Côte d’Ivoire, « les missions d’entreprises s’enchaînent au même rythme ». Dernièrement, des sociétés du Grand Est (14) et du Centre Val de Loire (12) se sont déplacées en Côte d’Ivoire.
Il est vrai qu’après avoir atteint des sommets en 2012 (10,7 %) et en 2015 (9,2 %), l’économie ivoirienne a encore crû de 7,6 % en 2017. Cette année, le FMI prévoit + 7,4 %. La campagne électorale, aussi longue soit-elle dans les faits, n’a donc pas encore d’impact sur l’activité générale.
« Le taux de croissance se maintient, à ce stade, les investisseurs restent confiants ». Et « quel que soit le déroulement et le résultat des élections de 2020, nous restons positifs. L’économie est comme un torrent, elle peut être temporairement ralentie, mais elle continuera de s’écouler », explique Jean-Luc Ruelle, président de la Chambre de commerce européenne et P-dg de KPMG Afrique francophone subsaharienne.
Enfin, « selon les banquiers, les investissements se poursuivent et l’octroi de crédits reste dynamique », relate Jean-Luc Ruelle. Preuve encore de la confiance des investisseurs étrangers, la Côte d’Ivoire a récolté 1,8 milliard d’euros lors de sa dernière émission d’euro-obligations en mars, dont une moitié sur une période longue de 30 ans. « Non seulement ce pays bénéficie d’une bonne image, mais elle est respectée parce qu’elle est bien gérée », commente François Sporrer, chef du Service économique régional pour l’Afrique de l’Ouest, basé à Abidjan. Sa dette est inférieure à 50 % du produit intérieur brut (PIB), alors que le plafond est fixé à 70 % dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Tous les observateurs à Abidjan le disent « le problème, ce n’est pas la croissance économique, c’est l’impôt sur les sociétés ». La collecte fiscale serait faible, de l’ordre de 16 % du PIB, alors que la norme serait de 20 % dans l’Uemoa.
Du coup, le gouvernement bouclerait difficilement son budget. Il est coutume de dénoncer le manque de volonté politique et le poids de l’économie informelle pour freiner toute réforme. L’État aurait, toutefois, décidé d’élargir l’assiette de l’impôt. Cette réforme essentielle est moins visible que d’autres, en partie parce qu’elle est toujours en cours.
De façon concrète, le gouvernement aurait demandé à l’Administration fiscale d’établir un bilan des contribuables réels. D’après nos informations, leur nombre serait particulièrement restreint, de l’ordre de 7 000 à 8 000.
Mais ils seraient aussi 45 000 à bénéficier, sans raison valable, de conditions douces, en acquittant l’impôt réel simplifié ou synthétique (forfait sur chiffre d’affaires). L’Administration fiscale aurait commencé son travail cette année. Les résultats pourraient tomber en 2019.
François Pargny
Pourquoi l’environnement des affaires s’est amélioré
A Abidjan, on ne cache sa satisfaction à la lecture du rapport Doing Business 2019 de la Banque mondiale, dans lequel la Côte d’Ivoire est classée à la 122e place, au lieu de la 139e un an plus tôt. « Si on creuse un peu, des améliorations ont été constatées dans trois domaines, observe Jean-Luc Ruelle, le président de la Chambre de commerce européenne et P-dg de KPMG Afrique francophone subsaharienne : les procédures et délais de création d’entreprise, l’obtention du permis de construire et l’accès au crédit bancaire.
S’agissant des titres de propriété, les commissions de demandes ont été enrichies, avec l’intégration d’architectes indépendants, ce qui a permis d’accroître la qualité des contrats.
En ce qui concerne l’octroi de prêts, « l’opérationnalisation du Bureau d’Information Crédit a conduit à un plus grand partage de l’information entre les acteurs du financement », relate Jean-Luc Ruelle. C’est en 2014 que le ministère de l’Economie et des finances a fait appel à la société Creditinfo VoLo, joint-venture entre l’islandais Creditinfo Group et VoLo Africa, pour être le premier bureau d’information sur le crédit (BIC) de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa).
Le BIC collecte ainsi auprès des organismes financiers, des sources publiques et des grands facturiers (sociétés de fourniture d’eau, d’électricité, de téléphonie, etc.) des données sur les antécédents de crédit ou de paiement d’un client.