Soit que la sortie de la crise soit encore récente, soit que le marché se modernise et s’occidentalise, les besoins sont considérables dans toute une série de secteurs, de l’alimentation et la restauration au BTP et au second œuvre, en passant par les télécommunications, l’économie numérique ou encore la mode, les cosmétiques et la santé. Revue de détail.
Alimentation-restauration
Un mode de consommation plus occidental
Les Ivoiriens ont de l’appétit et de plus en plus depuis la crise. Comme d’autres (Heineken dans la bière…), Bel l’a compris en investissant cinq millions d’euros dans une unité de production de la célèbre Vache qui rit. Il s’agit pour l’instant d’une mini-usine, mais à terme l’objectif serait d’exporter dans la région.
De son côté, Carrefour a créé à Abidjan la galerie commerciale The PlaYce, avec quatre restaurants, et un hypermarché dont l’alimentaire et les importations sont le moteur, et Total a investi dans la première chaîne de restauration rapide du pays, Tweat, fondant ainsi la Société africaine de restauration (Sares) une entreprise commune avec son partenaire ivoirien, la Sipra, spécialiste de la filière volaille (notamment avec la marque Croqivoire) et de la farine de blé (Les Moulins de Côte d’Ivoire/ LMCI).
Si la Société ivoirienne de productions animales (Sipra) est majoritaire, la Sares est dirigée par le Français Hubert Joffre. Pour Total, l’enjeu est réel. Sur un marché du carburant aux prix réglementés, il est important de se démarquer en offrant des services annexes. La Sares ne se limite, d’ailleurs, pas aux stations service de Total pour y installer ses Tweat et ainsi fidéliser les automobilistes. D’autres sont éparpillés dans la capitale économique et, d’ici la fin de l’année, le nombre de restaurants pourrait passer de sept à dix. Les deux partenaires réfléchissent également à l’internationalisation de leur concept.
« Il y a chez nous une montée de la démographie, avec une population de plus en plus jeune et citadine, voulant accéder aux modes de consommation mondiaux et de type occidental. Pour autant, nous n’avons pas voulu nous détacher de notre spécificité africaine, ce qui explique le goût très africain des plats aux trois quarts à base de poulet, épicés et accompagnés de produits locaux comme l’aloco et l’attiéké », expose Jean-Marie Ackah, président de la Sipra. « C’est, en quelque sorte, Mc Donald, sans être Mc Donald », convient-il en évoquant l’arrivée de Burger King qui s’est implanté dans la galerie The PlaYce et annonce l’ouverture d’un deuxième restaurant à l’aéroport d’Abidjan.
La montée de la grande distribution et d’une restauration modernes va de pair avec « une plus grande exigence des consommateurs pour un produit et un service de qualité », affirme Jean-Marie Ackah, également vice-président à la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI). Le segment de la boulangerie-pâtisserie se modernise aussi, avec des magasins et des vitrines flambant neufs. « Ce n’est plus la boulangerie d’arrière-cour. Aujourd’hui, selon le représentant de la CGECI, toutes les boulangeries qui ont pignon sur rue présentent un niveau d’hygiène et un produit de qualité. Elles offrent aujourd’hui des produits spéciaux et, derrière l’élite, il y a le plus grand nombre qui est tiré en avant dans cette exigence de qualité ».
De nouveaux comportements chez le consommateur que Chez Paul, avec ses deux boulangeries-pâtisseries à Deux Plateaux et en
Zone 4, a su prendre en compte, accueillant ainsi une classe moyenne émergente et une population plutôt aisée. De son côté, Business France a prévu cette année d’organiser des événements avec la grande distribution alimentaire et avec le monde de la boulangerie, de la pâtisserie et de la profession des glaciers (voir rubrique Pratique).
Pour toute une série de concepts et de produits alimentaires, la France a une carte à jouer. « N’oublions pas, par exemple, que nous sommes le deuxième exportateur de vins et spiritueux en Côte d’Ivoire et que, même s’il y a une concurrence mondiale, avec notamment l’Espagne, la demande est réelle », souligne Sophie Clavelier, la directrice du bureau de Business France en Côte d’Ivoire, qui accompagnera également cette année des entreprises françaises au salon du vin de la chaîne spécialisée l’Œnophile (groupe Prosuma), dans le cadre de rencontres acheteurs organisées à Abidjan, Lagos (Nigeria) et Douala (Cameroun), du 24 au 29 octobre.
BTP-second œuvre
La marée des projets réalisés et en retard
On assiste à un boom de la consommation de ciment, portée par la construction. Les investissements, de fait, s’accumulent. Début mars, les présidents ivoirien et turc, Alassane Ouattara et Recep Tayyip Erdogan ont inauguré une cimenterie turque d’un coût de 17 millions de dollars au nord d’Abidjan. « Le marocain Cimaf va lui-même doubler sa production et la production globale de ciment dans mon pays sera également multipliée par deux d’ici un an », affirme Jean-Marie Ackah, vice-président chargé de l’industrialisation à la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI).
Depuis la fin de la crise, les besoins sont considérables pour alimenter le bâtiment et les travaux publics (BTP). Certains projets d’avant crise ont finalement abouti, comme le pont à péage Henri-Konan Bédié (HKB), construit par Bouygues, qui permet de gagner une heure en traversant la lagune Ebrié entre les quartiers de Riviera et de Marcory. « D’autres projets ont essuyé des retards, mais se sont faits, comme les échangeurs de la ville d’Abidjan, mais d’autres sont encore en retard, comme le pont Yopougon-Attécoubé-Adjamé au nord d’Abidjan, seulement en phase d’étude », explique Jean Pascal Ouedraogo, 2e vice-président du Groupement ivoirien du bâtiment et des travaux publics (GIBTP), qui cite aussi d’autres projets à venir ou en cours : extension de l’aéroport et du port d’Abidjan, construction du barrage de Soubré sur financements chinois, de la route vers la Guinée avec également le soutien de l’Eximbank chinoise, ou encore de la route vers le nord-ouest avec l’appui de la Banque islamique de développement (Bid).
Jean Pascal Ouedraogo regrette aussi que « des projets ne se fassent pas », comme la liaison ferroviaire San Pedro-Man à l’ouest. On serait aussi loin, selon lui, de l’objectif affiché de 40 000 logements sociaux par an, un retard qui serait lié « au problème du foncier qui appartient aux communautés villageoises », mais aussi au manque de financements.
À cet égard, « depuis huit mois, les entreprises de travaux publics ne sont plus payées », dénonce Philippe Eponon, qui préside le GIBTP. Du coup, « la banque ne finance plus ». Une situation qui découlerait de la mauvaise gestion du plan présidentiel d’urgence (PPU), mis en place après l’élection du président Ouattara. « Vidé de son enveloppe, on est venu à son secours en prenant sur le fonds d’entretien routier qui ne peut plus nous payer maintenant », relate Philippe Eponon, qui aurait, néanmoins, reçu des assurances que le Fonds paierait ses arriérés ces jours-ci.
« Le boom de la construction profite aussi au second œuvre, selon Tanguy Boneu, chargé de Développement chez Business France, qui note la réalisation de nouvelles résidences au sud-est d’Abidjan et sur la route de Bingerville à l’est ainsi que de logements sociaux sur la route de Bassam également à l’est ». Sur tous ces projets, des sociétés de BTP et des maîtres d’ouvrage se sont placés. Abidjan revoit, à l’heure actuelle, son plan d’urbanisme, en raison notamment des très fortes inondations subies régulièrement. Des morts sont toujours à déplorer et l’assainissement des eaux y est déficient. Ce qui est certain, c’est que les autorités feront tout dans le futur pour éviter de surcharger le centre-ville.
Mode et cosmétiques
Anticiper les besoins pour plus tard
Tabler sur le marché de la mode en Côte d’Ivoire pourrait être un investissement à long terme. D’abord, parce que la mode africaine du pagne ou du boubou est spécifique. Les femmes s’habillent autant à l’occidentale qu’à l’africaine, les hommes se contentant le souvent d’un pagne quand ils optent pour un vêtement africain. Ensuite, si de grandes marques se lancent sur le marché, le budget des ménages est souvent insuffisant. « Seuls 10 % de la population s’habillent dans les grands centres commerciaux et quelques magasins spécialisés », rapporte Tanguy Boneu, chargé de Développement chez Business France.
Enfin, il faut compter sur un changement culturel profond, les Africains, en général, étant coutumiers des achats en France, aux États-Unis, en Italie, en Espagne. Reste qu’Abidjan abrite un nombre croissant de défilés et qu’un événement spécialisé s’y développe, le Salon international de la mode africaine (Simoa), qui se déroulera cette année du 5 au 7 mai.
Dans les cosmétiques, L’Oréal cherche aussi à anticiper les besoins de la clientèle, à en connaître les aspirations et à les influencer. Selon Sophie Clavelier, directrice de Business Côte d’Ivoire, « la Côte d’Ivoire est un marché test pour la consommation ». En Côte d’Ivoire, le géant des cosmétiques a conclu un accord de production et de distribution avec le groupe CFAO.
Santé
Les médicaments et les dispositifs médicaux, segments porteurs
Si la France détient une part de marché de 65 à 70 % dans les importations ivoiriennes de médicaments, elle ne domine pas autant dans les dispositifs médicaux, loin s’en faut. Certes, Bouygues s’est vu confier la rénovation du CHU de Youpougon, mais, dans la pratique, les entreprises de l’Hexagone se heurtent généralement à la concurrence de la Chine qui propose des prix imbattables « correspondant parfaitement à la demande locale », observe Tanguy Boneu, chargé de Développement chez Business France. Les sociétés françaises doivent aussi s’intéresser à la nouvelle Pharmacie de la Santé Publique (PSP), grossiste-répartiteur public des dispositifs et médicaments, qui redistribue, après appel d’offres, aux hôpitaux et pharmacies. Depuis que cet ancien établissement public et commercial (Epic) est devenu une association à but non lucratif, les impayés ont diminué et les cas de corruption sont moins nombreux.
Dans les médicaments et la dermocosmétique, le laboratoire Pierre Fabre pourrait franchir une nouvelle étape. Pour produire ? Ou faire reconditionner dans le cadre d’un partenariat ? Toujours est-il que la Côte d’Ivoire maintient des droits de douane élevés, supérieurs à 40 % dans les médicaments et de 45,47 % pour les dispositifs médicaux. Ce qui doit faire réfléchir le spécialiste français.
TIC
Des télécommunications fortes, mais une économie numérique fragile
Dans les télécommunications, la grande actualité est l’annonce de l’attribution future d’une quatrième licence de téléphonie mobile, une solution, à vrai dire, à laquelle se sont résolues les autorités nationales après l’échec de la fusion qu’elle souhaitait entre les petits opérateurs. Un scénario qu’avait déjà retenu avant que l’État s’y range le directeur exécutif de l’Union nationale des entreprises de télécommunications (Unetel), Paul Kangah, car « c’était la seule solution possible » pour faire face aux trois poids lourds – le sud-africain MTN, le français Orange et l’opérateur historique Telecom Côte d’Ivoire – sur un gros marché de consommation, si l’on considère que pour une population de 23 millions d’habitants, le nombre d’abonnement se monte à 24 millions.
« Le marché des TIC est dominé par les télécommunications, mais nous avons des lacunes », constate Paul Kangah, tout en se félicitant du projet de zone franche du Village des technologies de l’information et des biotechnologies (Vitib) à Grand Bassam pour stimuler le développement et la fabrication sur place. « Par exemple, il n’y a pas de montage de smartphones. Or, il y a un programme national de réseau de fibres optiques ou backbone qui pourrait donner l’opportunité de se lancer dans la production comme en Tunisie et en Algérie. Les populations ont un grand besoin d’équipements », affirme encore le dirigeant de l’Unetel.
De même, dans le génie logiciel, il y aurait une expertise de bon niveau, mais les dispositifs d’encadrement et d’accompagnement feraient défaut, selon Paul Kangah, qui se félicite de l’initiative de la France d’un French Tech Hub à Abidjan. « Il faut un véritable environnement d’incubateurs. Tout est à construire dans le génie logiciel », affirme-t-il encore.
Certains projets gouvernementaux dans l’e-learning, l’e-gouvernance et l’e-santé contribuent bien à la culture numérique de la population, mais il n’y a pas suffisamment d’accompagnement extérieur. Quant aux programmes d’équipement des ménages, ce sont surtout les grands équipementiers qui en profitent, alors que pour développer l’écosystème local il serait bon également d’y associer des entreprises du cru.
Pour autant, « l’économie numérique croit de 7 à 8 % par an depuis plusieurs années et 30 % des propriétaires d’un mobile l’utilisent pour accéder à Internet », observe Innocent N’Dry, conseiller Export chez Business France. À fin septembre 2015, avec environ 42 % du marché chacun, le sud-africain MTN et le français Orange se partageaient ainsi le gros du marché de l’Internet mobile, évalué à plus de 8,122 millions d’abonnés. S’agissant de la téléphonie mobile, ces deux opérateurs détenaient à la même époque des parts de 32,94 % et 41,86 % par rapport à un nombre d’abonnés supérieur à 24,694 millions. Un troisième acteur, Moov, possédant lui aussi une part non négligeable, de l’ordre de 20,24 %.
Outre les grands opérateurs de téléphonie mobile, quatre fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont présents en Côte d’Ivoire. Leur position est difficile et fragile, car, à l’instar du suisse YooMee, les FAI doivent s’adapter aux prix élevés pratiqués par MTN et Orange, propriétaires de la bande passante. « Orange et MTN ont l’exclusivité pour la Côte d’Ivoire des trois câbles internationaux sous-marins, Ace et Sat 3 pour le premier et Wacs pour le second », indique Yann Le Guen, le directeur général de YooMee. Un duopole qui expliquerait que les tarifs de l’Internet soient élevés.
François Pargny