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Guide business Côte d’Ivoire 2016 : entretien avec Jean-Louis Billon, ministre du Commerce de la République de Côte d’Ivoire

Le MOCI. Quatre ans après la fin de la crise, la Côte d’Ivoire a-t-elle retrouvé son niveau d’ouverture à l’international ?

Jean-Louis Billon. Il est certain que, pendant la crise politique et économique qui a duré onze ans, la Côte d’Ivoire s’est recroquevillée sur elle-même. C’était contre nature, car elle était auparavant très ouverte sur l’extérieur. C’était le pays africain le plus accueillant. Au milieu des années 90, il disposait même d’un taux d’ouverture de 26 %, qui était alors le plus élevé au monde. C’est maintenant celui dans la région qui est le plus ouvert politiquement et diplomatiquement, grâce à l’action du président de la République Alassane Ouattara, qui a beaucoup voyagé lors de son premier mandat. De fait, notre nation a retrouvé sa place dans le concert mondial et, parallèlement, nous nous sommes mis à jour avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – de nombreuses conventions internationales étaient restées dans les tiroirs – ou dans le cadre des organisations régionales en Afrique de l’Ouest, dans les espaces Uemoa et Cedeao, et avons adopté toute une série de bonnes pratiques. En avril 2016, quelques fondamentaux des échanges seront améliorés. Le nouveau Code de la consommation sera examiné par l’Assemblée Nationale, tout comme les textes portant sur le système national de métrologie et de répression des fraudes et des falsifications en matière de ventes de biens ou services. Enfin, d’autres textes qui réglementent le commerce vont être toilettés et la loi sur la concurrence va être mise à jour.

 

Le MOCI. Moteur de l’Union économique et monétaire ouest- africaine (Uemoa), la Côte d’Ivoire a tout intérêt à une intégration régionale réussie. Pourquoi ne pousse-t-elle pas plus ?

J-L. B. La Côte d’Ivoire pousse, mieux, elle reste un modèle de référence dans cet espace, mais il faut que tout le monde avance. Lors des négociations sur les Accords de partenariat économique (APE) et surtout des règles d’origine, la contribution de la Côte d’Ivoire et du Ghana aux côtés des deux commissions de l’Uemoa et de la Cedeao a été prépondérante et se poursuivra. N’oublions pas également qu’avec le franc CFA, nous avons eu une monnaie commune avant l’Union européenne. L’Uemoa est devenue une vraie zone et beaucoup d’industries ivoiriennes ont déjà 50 % de leur marché dans la sous-région, dans l’emballage par exemple ou l’agro- alimentaire. Maintenant il faut passer à la Cedeao, qui comprend aussi, notamment, le Ghana et le Nigeria. Depuis le 1er janvier 2015, l’Uemoa et la Cedeao disposent d’un tarif extérieur commun (Tec) et nous pensons qu’un grand pays comme le Nigeria a tout intérêt à s’ouvrir plus pour pouvoir investir, notamment, en Côte d’Ivoire. Ce qui manque aujourd’hui clairement, c’est la libre circulation des biens et des personnes. Et depuis l’an dernier, on commence aussi à s’atteler au plus difficile, c’est-à-dire l’adoption d’une monnaie commune au sein de la Cedeao.

 

Le MOCI. Vous avez adopté l’an dernier une stratégie nationale de l’exportation. Quels en sont les ressorts ?

J-L. B. Nous avons, d’abord, créé des structures comme le Conseil national des exportations (CNE) et le réseau des conseillers du
commerce extérieur ivoiriens (RENACCE-CI). Ensuite, notre intention est de booster l’exportation de secteurs prometteurs et insuffisamment ouverts sur l’extérieur, comme le caoutchouc-plastique, l’anacarde, le manioc, les fruits et légumes pour les livrer dans la sous-région dans un premier temps, puis dans le reste de l’Afrique et en Europe. Le ministère travaille avec le Centre de commerce international à Genève et nous allons identifier des PME dans chaque secteur, tout en travaillant sur des domaines transversaux qui doivent aider à la réussite de la démarche : transport, emballage. Un système de conformité des marchandises va encore être mis en place pour les denrées sensibles et nous sommes très avancés dans la facilitation des procédures du commerce extérieur, leur dématérialisation et la baisse du nombre de documents avec l’instauration d’un « guichet unique du commerce extérieur (GUCE) ». Enfin, nous sommes en voie de mettre sur pied un fonds d’appui à l’export avec deux composantes : la création d’un fonds de garantie et la mise en place de l’assurance-crédit à l’export, avec l’appui de l’Agence africaine d’assurances commerciales (AACC) pour la seconde composante, basée en Tanzanie, qui va ouvrir un bureau à Abidjan. C’est notre intérêt, car la balance commerciale nationale est traditionnellement positive, même si aujourd’hui ce solde avantageux a tendance à se réduire.

 

Le MOCI. Ici à Abidjan, on parle d’une « corruption généralisée à tous les niveaux » ? Qu’en pensez-vous ?

J-L. B. Il ne faut pas se le cacher. La corruption existe à différents niveaux, parce que de mauvaises habitudes ont été prises, notamment pendant la crise. Ces habitudes perdurent malheureusement. En fait, beaucoup de gens critiquent, mais peu d’entre eux la dénoncent. Pour sévir, il faut des dénonciations. Certains préfèrent payer et se taire. Dès mon arrivée à la tête de ce ministère, j’ai fait prendre un code d’éthique et de déontologie et une cellule de lutte contre la corruption a été créée en 2013. J’ai également pris des sanctions au sein de mon ministère à l’endroit de ceux pour lesquels des faits de corruption étaient avérés. La corruption est clairement un frein à notre croissance. Il faut de l’exemplarité.

 

Le MOCI. À la mi-mai à Paris, le nouveau plan national de développement 2016-2020 sera présenté aux bailleurs de fonds et au secteur privé. Quel sera son principal objectif ?
J-L. B. L’objectif est la compétitivité et donc l’amélioration de l’environnement des affaires. On ne peut pas imaginer de devenir une économie émergente en demeurant en deçà des standards de compétitivité internationale. C’est une bataille de tous les jours. On travaille sur les facteurs de compétitivité et les institutions. Mais le moteur de la compétitivité, comme en France, en Allemagne ou aux États-Unis, c’est l’innovation avec un sens prépondérant à anticiper. Et là, on n’y est pas encore. La sécurité juridique et judiciaire est également un gros enjeu. Nous avons créé des tribunaux de commerce, mais il reste beaucoup à faire.

 

Le MOCI. En 2015, la France s’est maintenue comme le premier fournisseur de la Côte d’Ivoire, hors pétrole. Est-ce une surprise pour vous, alors que de nombreux compétiteurs sont arrivés ?
J-L. B. Non, la France est la nation pour qui l’exercice est le plus facile, en raison de la langue, de la culture et de sa présence ancienne. Pour autant, je constate qu’elle est moins audacieuse en Afrique et en Côte d’Ivoire en particulier. Elle reste notre premier partenaire, mais on aimerait voir plus d’investissements français dans de multiples domaines. La France s’est un moment intéressée moins à l’Afrique pour se tourner vers d’autres zones qu’elle ne connaissait pas et, en Côte d’Ivoire en l’occurrence, a abandonné des pans de l’économie au profit d’investisseurs venus d’ailleurs, par exemple dans la distribution. Certes, Carrefour, avec le groupe CFAO vient de revenir après être parti, mais autrefois il y avait aussi Monoprix ou Printania. Pourtant, quand les Français sont partis, la distribution n’a fait que croître. Aujourd’hui, comme le commerce se modernise, ça va encore croître. Il y a 80 % de commerce informel, nous allons en formaliser une partie et il n’y a pas assez de commerce de proximité. Les autres investisseurs sont venus combler le vide laissé par la France. Je ne comprends pas non plus pourquoi la France n’est pas plus offensive sur la francophonie économique, un levier pas assez utilisé.

Propos recueillis à Abidjan par François Pargny

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