Pour le fabricant de spiritueux Sodialci, il serait impossible de résister à la concurrence déloyale du secteur informel local et étranger, si elle ne possédait quelques atouts déjà anciens. La compétition, en revanche, Veilleur des médias ne la connaît pas, puisque la société française est en train de créer le marché de la veille presse écrite, web et réseaux sociaux en Côte d’Ivoire. Deux expériences, deux portraits très différents.
« La Côte d’Ivoire est un marché pour les initiés et plutôt pour la moyenne entreprise que pour la petite. En tous les cas, il faut de véritables compétences métiers pour l’aborder », estime Jean-François Giacometti, le directeur exécutif de la Chambre française de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire (CFCI CI). Une certaine proximité culturelle, la langue ne suffisent pas. Ainsi, le baromètre conjoncturel de la CFCI CI montre une véritable inquiétude des PME face à la montée de la corruption ou la persistance de l’économie informelle. Selon certains observateurs, l’économie informelle représenterait plus de 80 % de l’activité. « C’est au moins 60 % », évalue, pour sa part, Angel Abelleira, attaché commercial à la délégation de l’Union européenne. Sur les 145 entreprises sondées, dont 70 % de PME/PMI, entre le 6 janvier et le 11 février, « 39 % signalent une concurrence renforcée du secteur informel ». Directeur exécutif de la Société de distillation d’alcool en Côte d’Ivoire (Sodialci), Dominique Galli s’inquiète des dégâts causés par l’informel sur son activité et son secteur.
La justice est aussi pointée du doigt, tout comme l’allongement des temps d’attente en zone aéroportuaire et des délais de livraison dans les ports, mais aussi les bons points : la sécurité, l’amélioration des relations avec l’Administration. Globalement, les sondés déclarent qu’ont progressé en 2015 à la fois leur chiffre d’affaires (82 %), leur personnel (73 %) et leur investissement (68 %). Mais ils s’inquiètent aussi de la corruption… dans les secteurs privé et public. Selon un bailleur de fonds, la Haute autorité pour la bonne gouvernance qui a été créée « n’a traité jusqu’à présent que de peu de dossiers ». Évidemment, le meilleur moyen de pénétrer le marché sans trop d’encombres, c’est d’apporter un nouveau service. C’est le cas de Veilleur des médias sur le segment en pleine explosion de l’économie numérique.
Sodialci
Comment compenser la concurrence déloyale des alcools informels
Pour les quatre producteurs locaux de spiritueux, dont la Sodialci, tout serait parfait sans le secteur informel, qui absorbe à lui seul 85 % du marché domestique. En Côte d’Ivoire, l’informel est de deux natures : les dosettes de 5 centilitres produites sur place et les produits importés de la sous-région. « Nous quatre acquittons des taxes sur les boissons alcoolisées de 45 % sur le prix de vente, alors qu’au Ghana, par exemple, cette taxe est seulement de 12 % et est appliquée sur le prix de revient usine, ce qui est plus avantageux », explique Dominique Galli, le directeur général de la Société dedistillation d’alcool en Côte d’Ivoire (Sodialci), qui, au passage, ne manque pas de préciser que pour l’état qui ne la combat pas, l’économie informelle représente un manque à gagner de 20 milliards de francs CFA (30 millions d’euros).
« Sans les taxes, la société pourrait tripler son chiffre d’affaires et réinvestir », poursuit le patron français. Fort heureusement pour son entreprise, elle possède sa propre distillerie, ce qui lui permet de diminuer de moitié le prix de revient de l’alcool éthylique par rapport à l’alcool éthylique industriel importé. Son siège et son unité de production sont situés au centre à Bouaké et la Sodialci dispose encore d’une usine d’embouteillage à Abidjan. Les bouteilles sont achetées à Saint-Gobain, les aromes proviennent d’Europe. La mélasse est livrée par les quatre unités locales de transformation de la canne à sucre (Borotou-Koro, Zuénoula, Ferkessédougou 1 et 2).
Autre avantage, la Sodialci produit de l’alcool éthylique surfin à 96 degrés, un alcool de bouche servant de grandes marques, comme La Martiniquaise, Bardinet et Slaur. Mais aussi des produits coutumiers, comme le Royal Stork Gin servi dans une bouteille en forme de cercueil (appelé bouteille à sarcophage), le rhum Mangoustans et le rhum Saint James qualité Afrique. Lors de Vinexpo 2015, le salon des vins et spiritueux de Bordeaux, Dominique Galli a même présenté deux nouveaux produits, des alcools de vie à base de mangue et de cacao. Enfin, la Sodialci est le seul fournisseur du réseau de l’Hyper Hayat du groupe Prosuma, qui compte 100 points de vente de différents formats.
Veilleur des médias
Etre le premier à ouvrir à ses clients le marché de l’information digitale
En lançant Veilleur des médias en Côte d’Ivoire avec l’aide de ses parents et d’investisseurs privés, Fabrice Piofret y a offert un nouveau service : la veille dans la presse écrite, sur le web et les réseaux sociaux. Sa société, le jeune patron de 37 ans, marié à une Ivoirienne, l’a créée en 2013, après huit années d’expérience du métier, notamment dans la société Press Index à Boulogne Billancourt, une société de veille dans la presse écrite, l’audiovisuel et le web, rachetée en 2013 par le concurrent Kantar Media (WPP).
« Veilleur des médias est né à Versailles, mais j’ai voulu revenir en Afrique, où j’avais vécu en 2002, relate le Pd-g de l’entreprise. J’ai hésité entre Dakar et Abidjan, mais l’étude de marché que je venais de réaliser en Côte d’Ivoire m’a persuadé de m’y installer. D’une part, des éditeurs étaient prêts à mettre à ma disposition des contenus en mode électronique. D’autre part, des chargés de communication dans une université et une entreprise privée m’ont indiqué qu’ils étaient intéressés à recevoir des informations rapides et exhaustives ».
À partir de solutions mises au point dans l’Hexagone, Fabrice Piofret a développé une plateforme technique en Côte d’Ivoire à laquelle il est possible d’accéder avec une connexion Internet. Le client peut ainsi obtenir un panorama, faire de la recherche d’informations ou obtenir une analyse média (retombées dans la presse, nature des articles, liste des journalistes…). Aujourd’hui, les locaux de Veilleur des médias à Abidjan sont trop petits et la PME, qui compte huit personnes et une vingtaine de clients (cinq ministères, des associations et des entreprises privées dans la banque, la distribution, l’agroalimentaire), s’apprête à déménager.
Pour créer sa structure abidjanaise, le jeune P-dg de la société par actions simplifiées (SAS) française s’est adressé à un notaire, qui a réglé les formalités en trois jours, se tournant notamment vers le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). Comme le statut de SAS n’existe pas dans ce pays, le notaire lui a conseillé d’ouvrir une succursale pendant les deux ans de période légale avant de créer une filiale valable pour 99 ans sous forme de SARL. Parmi les adaptations qu’il a dû consentir, la déclaration de TVA qui doit être exécutée tous les trimestres et l’élaboration de la facture, également spécifique.
Les huit salariés de Veilleur des médias sont des consultants, six travaillant la nuit et deux le jour. La partie commerciale est sous-traitée à des apporteurs d’affaires locaux avec lesquels le P-dg passe des contrats. Parvenue à l’équilibre financier, la PME française affiche déjà sur les deux premiers mois de cette année une croissance de son activité de 30 % par rapport au chiffre d’affaires global de 2015. Une performance facilitée par l’absence de concurrence.
En février-mars, Fabrice Piofret s’est rendu au forum Africallia à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, où il a rencontré des apporteurs d’affaires de l’ensemble de l’Afrique francophone. D’ici la fin de l’année, il espère ainsi travailler au « pays des hommes intègres », au départ à partir de Côte d’Ivoire. « Mais il me faudra à un moment ou un autre établir un bureau à Ouagadougou », annonce déjà le jeune P-dg. La proximité avec la clientèle est essentielle ».
François Pargny