Après une décennie de crises politiques, les besoins sont immenses. De la part du secteur privé ivoirien et des autorités nationales, le message est souvent le même : « appuyez-vous sur les compétences locales, nouez des partenariats, investissez sur place ». Revue de détail dans six secteurs porteurs pour des PME.
Economie numérique : 4 grands programmes à suivre avec des compétences locales
Le ministère des Postes et Technologies de l’Information et de la Communication (MPTIC) a établi quatre grands programmes : e-gouv, e-santé, e-éducation et e-agriculture. C’est au début du quatrième trimestre que la Direction des marchés publics lancera des appels d’offres.
Pour le premier programme, le transfert de technologie est jugé essentiel. Infrastructures, contenus, formation, télé-administration, télé-procédures, le chantier, dont la durée doit s’étendre sur cinq ans, est vaste. S’agissant de l’e-santé, le but est de réduire la fracture sanitaire en améliorant les pratiques médicales et la gestion. Des partenariats devront être noués avec des éditeurs de logiciels. Un réseau doit être aussi constitué autour des formateurs, des spécialistes de technologies et des compagnies d’assurance.
Concernant l’e-éducation, « L’Etat veut que les structures de formation utilisent des technologies pour leur gestion administrative et la délivrance des formations », expose Roger Kouadio, directeur général d’Inova Formations. A titre expérimental, l’inscription dans les écoles primaires d’Abidjan et de ses environs se fera en ligne.
Enfin, le programme e-agriculture vise à améliorer le pouvoir d’achat de la paysannerie en créant de la demande. De façon concrète, il convient d’accroître l’information des agriculteurs, de baisser leurs coûts, d’optimiser la gestion de leurs exploitations ou encore de les aider à gérer leurs transactions.
Ces quatre grands programmes font l’objet d’un chiffrage dans le Schéma directeur des technologies de l’information et de la communication (SDTIC). Le MPTIC est en train de mettre en place l’organisme régulateur, à savoir l’Agence nationale de gouvernance électrique (Ange). Pour le financement des projets, les bailleurs de fonds traditionnels (Banque mondiale, Banque africaine de développement) vont être sollicités, mais une partie proviendra aussi de l’ex-Fonds national des télécommunications, devenu Agence nationale du service universel et de la téléphonie (Ansut). Ce n’est qu’à la fin du troisième trimestre que l’Ansut devrait être mise en place.
Comment se positionner sur ces programmes ? Patrick M’Bengue, président du groupement professionnel GoTIC (Groupement des opérateurs du secteur des technologies de l’information et de la communication de Côte d’Ivoire) et de la société d’ingénierie informatique Inova, est bien placé pour répondre. Fondé en 2009, GoTIC réunit les principaux opérateurs ivoiriens hors télécommunications (un tiers sur un total de 300 représentants, 90 % du chiffre d’affaires, et 80 % de l’effectif global de la profession) et il a contribué étroitement à l’élaboration de ces programmes.
Son conseil ? Confrontée à la concurrence des pays émergents, « la France doit revoir sa conception du partenariat », assure le président de GoTIC, et ses entreprises doivent « prendre conscience qu’elles peuvent s’appuyer sur des compétences locales ». Par ailleurs, elles ne doivent pas « se concentrer seulement sur des opportunités à court terme, mais adopter une démarche de développement durable ». « La capacité de développement existe dans les entreprises ivoiriennes », affirme de son côté Roger Kouadio,. « Ce qui manque en général, c’est l’expérience des grands projets ».
F. P.
« N’oubliez pas San Pedro ! »
San Pedro, la ville portuaire à l’ouest de la Côte d’Ivoire, est le grand centre national d’exportation du cacao, dont ce pays est le premier producteur mondial (1,3 à 1,4 million de tonnes par an). « Ne vous limitez pas à Abidjan ! N’oubliez pas San Pedro ! », conseille Xavier Lemaire, qui préside la Chambre de Commerce européenne en Côte d’Ivoire. Ce patron belge, établi de longue date dans le pays, dirige une petite société de construction, qui a elle-même des projets à San Pedro. L’armateur MSC, à lui seul, y réaliserait près de la moitié du nombre total de conteneurs traités chaque année dans le port d’Abidjan (460 000), soit 200 000 boîtes. Pour sa part, le groupe agroalimentaire algérien Cevital envisage de créer à San Pedro un gros pôle agro-industriel pour conquérir le marché ouest-africain.
Téléphonie : coopérer avec les opérateurs mobiles
L’avènement de la troisième génération (3 G) du mobile devrait inciter des distributeurs de terminaux (smartphones, etc.) et de connexions Internet à nouer des partenariats avec des opérateurs.
Pour le moment, ils sont trois à avoir déboursé à la mi-avril la somme de 9,15 millions d’euros pour obtenir une licence d’exploitation de réseaux de télécommunications mobiles 3 g : le français Orange, le sud-africain MTN et l’émirati Moov. « Les Ivoiriens sont très friands de téléphonie mobile », souligne Innocent N’Dry, chargé des nouvelles technologies, de l’innovation et des services à la Mission économique Ubifrance à Abidjan. Sur une population de 21 millions d’habitants, ils seraient ainsi 16 millions d’abonnés. Et la Côte d’Ivoire compte encore trois autres opérateurs : le libanais Comium, le libyen Green et, depuis peu, l’ivoirien NK Télécom, propriété de l’homme d’affaires Niamoutié Kouao, président de Côte d’Ivoire Logistique, une société chargée de l’immatriculation des véhicules dans le pays. Innocent N’Dry insiste aussi sur l’intérêt d’un événement annuel qui se tient à Abidjan, les Africa Telecom People (ATP) qui sont des rencontres dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) en Afrique centrale et de l’Ouest. Organisées par le groupe Safep Communication, propriétaire du journal Réseau Telecom Network (RTN), les ATP 2012 se dérouleront les 3 et 4 octobre à l’hôtel Ivoire.
F. P.
Matériel médical : viser les partenariats
Mobilier hospitalier, lits, potences, matériel de diagnostic, équipement radiologique, laboratoires, etc., les besoins sont faramineux.
En effet, ce qui n’a pas été détruit pendant la crise politique est, en fait, défraîchi, en raison de l’usage trop intensif qui en a été fait », résume Frédéric Kouassi Konan, le président de l’Association des distributeurs de matériels biomédicaux de Côte d’Ivoire (ADBI-CI).
Dès 2011, les premiers appels d’offres ont été lancés dans le cadre du programme présidentiel d’urgence (PPU), mais les entreprises européennes, inquiètes pour leur sécurité, se montreraient frileuses. « En revanche, il n’y a pas un trimestre sans visite de leurs concurrents chinois. Les Russes et les Indiens sont également très présents », remarque Frédéric Kouassi Konan. Les Chinois peuvent offrir des prix avantageux, mais les Européens disposent de spécialités et de matériel plus qualitatif. « Dans les appels d’offres, il nous est demandé de présenter du matériel de qualité. Du coup, nous sommes à même de persuader le ministère de la Santé de privilégier le mieux disant plutôt que le moins disant », affirme le président de l’ADBI-CI. Le principal dirigeant de l’association ivoirienne invite ainsi les entreprises françaises à nouer des partenariats. « Nous importons du matériel de qualité et l’ADBI-CI, qui compte aujourd’hui une cinquantaine de membres, a été créée, le 9 juillet 2011, pour privilégier les meilleurs équipements », précise-t-il. Elu pour deux ans – son mandat est renouvelable une fois -, le président de l’association ivoirienne est aussi le directeur général de la société Edna & SA (équipements de laboratoire, matériels hospitaliers, médico-chirurgicaux, consommables).
F. P.
Pharmacie : investir à tout prix
La Côte d’Ivoire ne couvre que 10 % de ses besoins. Mais, dans les deux à trois ans à venir, 95 % des produits qui sont importés ne seront plus protégés par des brevets.
« Ce qui devrait, en faisant appel au savoir-faire international, permettre d’investir », se félicite Parfait Kouassi, président de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire, propriétaire à Abidjan de la Pharmacie moderne Mazuet et président de DPCI, un grossiste répartiteur, filiale du distributeur français Serp Bretagne Nord. Reste à convaincre l’Etat de mettre fin à « certaines incohérences », affirme-t-il. Par exemple, les produits finis sont exonérés de droits de douane, ce qui n’est pas le cas de biens intermédiaires. De même, comme la pharmacie requiert des investisseurs lourds, il faudrait accorder aux entreprises en création des exonérations du bénéfice industriel et commercial de plus de cinq ans.
Comme les techniques médicales se banalisent, il est possible aujourd’hui de construire en Côte d’Ivoire des unités de taille moyenne. Les Français seraient intéressés, mais ils ne seraient pas les seuls : les Chinois, les Tunisiens, et les Marocains s’informeraient également. Les Indiens porteraient plus leurs efforts sur la vente de génériques. Ils seraient donc très actifs en matière d’enregistrement de médicaments. Mais, selon Parfait Kouassi, ils feraient plutôt « des coups », leurs exportations manquant de régularité.
Le gouvernement élaborant en ce moment une assurance maladie universelle, il cherche à faciliter l’accès aux médicaments en favorisant le développement des génériques. Dans un premier temps, l’équipe au pouvoir s’est engagée à réparer les conséquences de la guerre. Puis elle a fixé certaines priorités, comme la réhabilitation des hôpitaux. Le chantier d’un centre de radiothérapie doit commencer. Et la restructuration de la Pharmacie de la Santé publique (PSP) doit démarrer l’an prochain dans le cadre du volet santé du Programme national de développement (PND) 2012-2015.
Environ 90 % des médicaments vendus par cette structure publique seraient des génériques. Chargée d’importer des médicaments pour les hôpitaux publics, la PSP doit passer du statut d’établissement public à caractère commercial (Epic) à celui d’association à but non lucratif (ASBL). « Elle gagnera en flexibilité », souligne Parfait Kouassi. De façon concrète, le but de cette réforme est de lui donner plus d’autonomie financière et de favoriser une gestion plus rigoureuse. « Elle passera des contrats d’objectifs avec l’Etat », précise encore le président de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire. La structure devrait aussi être recapitalisée.
F. P.
Elevage : priorité à l’aviculture
Dans l’élevage, la filière la mieux structurée est l’aviculture. Outre l’Interprofession avicole ivoirienne (Ipravi), un club d’une cinquantaine d’éleveurs et de producteurs de maïs, appelé Avibusiness Club, a été créé sous l’égide du ministère des Ressources animales et halieutiques. « Abattage, transformation : la filière est complète, ce qui offre des opportunités compte tenu des besoins », observe Pascal Dufour, directeur du bureau régional de l’Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires (Adepta).
Lors de la mission qu’il vient de piloter avec Alain Réocreux, président de la filière élevage de l’Adepta et directeur de la société Olmix (alimentation animale, ingrédients nutritionnels), des acteurs ivoiriens de l’aviculture, mais aussi des investisseurs financiers ont marqué leur intérêt pour développer des projets en commun.
Les opportunités sont moins évidentes dans le secteur bovin. Le cheptel a été décimé en partie et, si les besoins sont réels, les races locales génèrent des rendements faibles tant en viande qu’en lait. Toutefois, des contacts ont été établis et des projets évoqués. « Au total, sur les 12 entreprises présentes, la moitié opérait dans l’élevage et nous pensons que dans les six mois à venir des affaires devraient se concrétiser », souligne Pascal Dufour.
Pendant la crise, la communauté libanaise n’a pas cessé d’investir. Et la délégation de l’Adepta a rencontré notamment des responsables du groupe Carré d’Or (meunerie, pâtes alimentaires, eau minérale), appartenant à la famille Ezzedine. S’agissant du secteur des PME-PMI ivoiriennes, les projets sont souvent freinés par la difficulté d’accéder à un financement.
Pendant son séjour à Abidjan, des contacts ont aussi été noués avec des éleveurs de porcs, des transformateurs, et l’Interprofession porcine de Côte d’Ivoire (Interporci). Certains élevages comptent plus de 1 000 porcs. Mais la France n’est pas seule. Ainsi, par exemple, les Pays-Bas espèrent être les grands bénéficiaires du programme de réhabilitation de l’abattoir national de porcs, situé dans la zone industrielle de Yopougon.
« A l’occasion de notre rencontre avec le ministre des Ressources animales et halieutiques, Kobena Kouassi Adjoumani, nous avions invité ce dernier au Salon de l’élevage Space, qui vient de se tenir du 11 au 14 septembre à Rennes, pour approfondir notamment les possibilités de développement dans l’élevage porcin et l’aviculture », précise Pascal Dufour. Par ailleurs, la relance du Salon de l’agriculture et des ressources animales (Sara) à Abidjan avait été évoquée. Peut-être un Sara en 2013 ?
F. P.
Formation : réformer de l’école à l’entreprise
En charge des nouvelles technologies, de l’innovation et des services à la Mission économique Ubifrance à Abidjan, Innocent N’Dry réfléchit à l’organisation de rencontres acheteurs dans la formation professionnelle en 2013, tournées vers les nouvelles techniques, l’e-learning, le coaching.
Le Fonds de développement de la formation professionnelle (FDFP), explique-t-il, « gère une taxe, représentant 1,2 % de la masse salariale des entreprises ». Quelque 3 500 plans de formation ont ainsi bénéficié d’une manne de 9,14 millions d’euros.
Par ailleurs, les bailleurs de fonds internationaux devraient renforcer leur appui à la formation professionnelle, tant l’enseignement général a souffert ces dernières années et le nombre de salariés qualifiés a diminué. L’Agence française de développement (AFD) gèrera ainsi un gros volet Education-formation-insertion dans le cadre du contrat de désendettement et de développement (CDD) signé entre la France et la Côte d’Ivoire (lire pages précédentes).
« Même des BAC + 4 doivent être reformés », assure Joël-Eric Missainhoun, directeur général du cabinet de ressources humaines AfricSearch Côte d’Ivoire. Du coup, il n’est pas rare de recourir à des Ivoiriens opérant à l’étranger. « Le problème, explique-t-il, c’est que le monde de l’entreprise dans mon pays, même s’agissant des sociétés étrangères, se comporte encore comme par le passé ».
Les dirigeants ne se soucient pas de la carrière de leur personnel, alors que les jeunes demandent à évoluer dans l’entreprise. « Ils sont devenus exigeants et veulent bénéficier d’un plan de carrière », précise Joël-Eric Missainhoun. Résultat : la rotation des salariés qualifiés et compétents est élevée. « Pensez à la carrière de vos jeunes salariés », délivre ainsi Joël-Eric Missainhoun, à l’attention des PME françaises souhaitant s’implanter. En matière de formation professionnelle, les services pour les entreprises françaises devraient être les plus porteurs, avec le tourisme, le BTP, l’énergie et l’Administration centrale.
F. P.