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La Côte d’Ivoire sur la voie du changement

Quatorze mois après la chute de Laurent Gbagbo et l’investiture d’Alassane Ouattara à la présidence de la République, le calme règne à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Le changement est considérable. « Il y a onze mois, des militaires, kalachnikov à la main, réglaient encore la circulation et les barrages routiers étaient légion », se souvient Wayne Camard, le représentant résident du Fonds monétaire international (FMI). Aujourd’hui, « le pays est en voie de pacification, un vent de normalisation souffle », remarque, pour sa part, Jean-François Bijon, le chef du Service économique à Abidjan.

« Nous ne sommes plus rackettés sur les routes et la voie qui mène au port d’Abidjan a totalement été refaite », enchaîne Florent Thomas, le directeur général d’Evotech, un petit éditeur de solutions de sauvegarde, basé à Grand Bassam. « Aussi, dites bien aux entreprises françaises, qui sont trop frileuses, qu’il n’y a pas de risque pour leur sécurité », renchérit Frédéric Kouassi Konan, le président de l’Association des distributeurs de matériels biomédicaux (ADBI-CI).

Cependant, chacun est conscient que le travail de réconciliation après les violences politiques du passé n’est pas achevé et la véritable reprise économique tarde. « L’activité quotidienne reste calme », confirme Jean-Michel Papin, directeur Clientèle entreprises et institutionnels à la Bicici (BNP Paribas). « Il est normal, dans la période de consolidation de la paix que nous connaissons, que l’économie peine à repartir », juge Jean-Louis Giacometti, le directeur général de la Chambre de Commerce et d’Industrie française en Côte d’Ivoire (CCIFCI).

Les exportations de cacao se portent bien et les livraisons d’hévéa ont explosé en 2011, en raison de cours mondiaux élevés. Mais la hausse de 30 % des importations ivoiriennes au cours des cinq premiers mois de l’année 2012 s’explique avant tout par un phénomène de reconstitution de stocks de matières premières et de produits finis. « En fait, les ventes stagnent, mais les importateurs anticipent une reprise de l’économie », précise Jean-Michel Papin.

Certains signes sont encourageants, comme les missions d’hommes d’affaires étrangers qui se succèdent à Abidjan ou l’ouverture de nouveaux magasins de produits bruns (télévision, micro-informatique). De nouvelles enseignes de distribution, et des chaînes d’alimentation s’implantent comme Roche Bobois, Mango, Etam, Hippopotamus, ou Paul.

Du 14 au 17 octobre prochain, Ubifrance emmènera quelque 120 entreprises françaises au 1er forum franco-ivoirien, organisé avec le Cepici (Contacts utiles).
Parallèlement, les chantiers de rénovation de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) et celle du siège de la Banque africaine de développement (BAD), qui avait déménagé à Tunis pendant la période de troubles, ont débuté. Des travaux routiers ont commencé, à l’instar du bitumage de la route Boudiali-Tengrela, confié à la société chinoise Covec.
Du chauffeur de taxi au chef d’entreprise, les habitants d’Abidjan se réjouissent de la reprise du chantier du troisième pont sur la lagune, entre les communes de Marcory au sud et Cocody (quartier de Riviera) au nord, un des grands projets emblématiques des années quatre-vingt-dix. « Le temps de réceptionner tous les équipements nécessaires et de recruter le personnel, il n’y aura pas d’effet sur l’économie avant décembre », tempère Jean-Louis Giacometti, qui a visité ce chantier réalisé par Bouygues.

Mais côté finances publiques, les nouvelles sont plutôt bonnes pour le nouveau pouvoir, donc pour l’avenir de ses projets d’investissements. En juillet dernier, le pays a atteint le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays très endettés (PPTE). Le FMI et la Banque mondiale, en y ajoutant un mécanisme supplémentaire appelé Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM), ont pu ainsi annoncer une annulation de dette de l’Etat ivoirien de 4,4 milliards de dollars au total.

Du coup, la Côte d’Ivoire et la France, son premier partenaire économique, vont pouvoir lancer un Contrat de désendettement et développement (CDD) de 630 millions d’euros réservé essentiellement à des financements de projets concrets. Les grands projets du nouveau pouvoir sont regroupés dans le Plan national de développement (PND). Ils sont déclinés par grandes priorités sectorielles pour la période 2012-2015 pour un montant total de 17 milliards d’euros (voir encadré). « Grâce à ces politiques sectorielles, les bailleurs de fonds, qui ont tous leurs propres axes de développement, vont pouvoir orienter leurs engagements », se félicite Anne-Lise Rêve, chargée de mission au bureau de l’Agence française de développement (AFD) à Abidjan.

Reste à le financer. Le PND représente quatre fois le montant annuel total du budget national et le gouvernement s’est engagé à recourir aux partenariats public-privé (PPP) pour plus de la moitié de ce chiffre. Pour l’heure, il faut toutefois que la nouvelle administration ivoirienne mette de l’ordre dans son fonctionnement. Ainsi certains fonds publics dévolus à l’investissement servent, par exemple, à assurer des dépenses de fonctionnement, et des ministres lancent des projets qui ne sont pas de leur compétence. Les bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale, AFD) « voudront s’assurer de la bonne utilisation des fonds que l’Etat injectera dans des projets », avertit un observateur avisé. « Les besoins de tous les ministères sont connus. Il faut maintenant de la coordination, admet pour sa part Lanciné Diaby, directeur général du Plan et de la lutte contre la pauvreté. Il faut que les ministres comprennent que le PND fixe un cadre qui doit être respecté ».

La présidence ivoirienne, pour sa part, entend jouer un rôle central dans la conduite des opérations. Un acteur majeur du PND est ainsi une cellule d’économistes constituée à la présidence autour du Français Philippe Serey-Eiffel, un ancien conseiller du président Ouattara à l’époque où il était le Premier ministre de feu Félix Houphouët-Boigny (1990-1993). Avec le titre de conseiller économique chargé des infrastructures du chef de l’Etat, il s’est arrogé la responsabilité des ports et aéroports aux dépens des ministères techniques. Ancien numéro deux du FMI, Alassane Ouattara garde ainsi la haute main sur les programmes d’investissement prioritaires. Un gage de leur réussite ? Quoi qu’il en soit, les entreprises françaises doivent sans tarder se mettre en veille sur ce sujet.

De notre envoyé spécial en Côte d’Ivoire

François Pargny

Les trois priorités du Plan national de développement (PND) 2012-2015

Education nationale
Primaire : 25 000 nouvelles classes, dont 40 nouveaux collèges, et rénovation de 30 000 classes.
Supérieur : rénovation des universités, de l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny (INPHB), de l’École supérieure interafricaine d’électricité (ESIE), de l’Institut d’histoire, d’art et d’archéologie africains (IHAAA), construction de trois nouvelles universités.

Santé

Rénovation : 17 centres hospitaliers régionaux (CHR), 54 hôpitaux généraux, 600 établissements sanitaires de premier contact (ESPC).
Construction : 450 nouveaux ESPC, quatre hôpitaux généraux, onze CHR, deux antennes de l’Institut national de formation des agents de santé (INFAS).

Infrastructures

Achèvement de l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro, revêtement de la route Boundiali-Tengrela (vers le Mali), construction du pont de Jacqueville, extension des ports d’Abidjan et de San Pedro, modernisation de la ligne ferroviaire Abidjan-Burkina Faso et de plusieurs nouvelles voies ferrées, rénovation/mise à niveau de huit aéroports régionaux.

Source : Mission économique Ubifrance


Chiffres clés

Superficie : 322 463 km²
Population : 22 millions
Population active
: 51,8 %
Taux d’alphabétisation : 43,4 %
Taux d’inflation : + 4,9 % (estimation 2011) (prévision 2012 : + 3,6 %)
PIB par habitant (2010) : 784 euros
Taux de croissance projeté
: + 8,62 % en 2012, + 6 à + 7 % en 2013 et 2014.

Sources : Cepici, OCDE

Voir en bas de page la carte des ressources minières de la Côte d’Ivoire

D’après le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici), les mines contribuent à 1 % du produit intérieur brut (PIB).
Le manganèse est la ressource la plus exploitée, mais le gouvernement a également fixé des objectifs ambitieux en matière de production annuelles d’or (21 tonnes), de diamants (1 million de carats), ou de fer (24 millions de tonnes). Concernant l’or, deux gisements sur un total de dix seulement seraient exploités. Deux projets de nickel sont aussi identifiés à Biankouma et Touba.
Quant aux hydrocarbures, les réserves de pétrole et de gaz sont estimées respectivement à 100 millions de barils et 30 milliards de m3. Huit blocs d’exploration sont encore disponibles et l’extension de la raffinerie d’Abidjan est projetée pour augmenter sa capacité actuelle de 30 %.

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