Le Moci. Quel a été l’impact pour les entreprises françaises de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Corée du Sud ?
Martin Tricaud. La Corée du Sud est peut-être le pays avec le plus d’accords de libre-échange (ALE) au monde. Et il est rare qu’un État ait à la fois signé avec l’Union européenne, les États-Unis et, depuis l’an dernier, avec la Chine. Pour l’Europe, l’impact est très positif, puisque ses exportations – et plus particulièrement pour l’Allemagne, notamment dans l’automobile, mais aussi pour la France – ont augmenté sensiblement, au point que la France comme l’ensemble de l’Europe affiche aujourd’hui un excédent commercial. Ce qui est remarquable, au-delà de l’importance du marché domestique, c’est le rôle de plateforme vers d’autres destinations que joue ce pays asiatique, qui présente, notamment, des opportunités de partenariat avec des groupes locaux pour aborder des marchés où la Corée domine.
La Corée est devenue depuis deux ans le premier fournisseur de la Chine devant le Japon, les États-Unis et l’Allemagne, avec des exportations supérieures à 190 milliards de dollars en 2014. Ce montant représente le quart du total de ses ventes dans le monde et plus que le chiffre cumulé avec l’Union européenne et les États-Unis. Les entreprises françaises devraient se pencher de manière approfondie sur l’ALE Chine-Corée qui va entrer progressivement en vigueur dans les deux à trois années à venir. À noter que les autorités des deux pays sont aussi très actives dans l’utilisation du renminbi, à la fois dans les relations commerciales et financières.
Le Moci. En Asie, la Corée du Sud semble éclipsée par l’intérêt que l’on porte à la Chine, à l’Inde, voire au Vietnam, à Singapour et Hong Kong ? Qu’en pensez-vous ?
M. T. Ce n’est pas la réalité. Dans l’automobile, Renault assure une forte présence en Corée, tant dans la construction que dans la conception automobile. Total est bien investi dans la pétrochimie. C’est ainsi un marché très important pour nombre d’entreprises françaises, notamment dans le luxe. La Corée du Sud est le premier marché mondial du duty-free. À Séoul, vous trouvez des grands magasins dédiés à ce type de business, accessibles aux visiteurs étrangers et à des prix extrêmement compétitifs. Hors Hong Kong, la Corée du Sud est la première destination touristique chinoise, avec 6,5 millions de touristes en 2014 sur un total de 14 millions.
Les Chinois sont de gros consommateurs de produits coréens, surtout depuis le développement, il y a quatre à cinq ans, de l’halyu, une vague culturelle coréenne qui supporte une expansion commerciale véhiculée à l’étranger par les séries de télévision, la musique et les films locaux. Les Chinois regardent à la télévision des séries coréennes, où sont mis en avant les voitures, le matériel électronique de marque coréenne, les produits de beauté et la mode, très créative, coréens. C’est aussi une promotion pour le tourisme. Pour se rendre dans l’île coréenne de Jeju, les Chinois sont exemptés de visa. Et il paraît que la ligne aérienne entre Séoul et Jeju est la plus empruntée au monde. D’après les estimations, l’halyu, globalement, générerait 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, soit l’équivalent d’un événement majeur comme les Jeux olympiques.
Le Moci. La Corée est un pays avancé, donc avec une forte concurrence internationale et moins de grands contrats que par le passé ? Qu’en est-il exactement ?
M. T. De fait, ce n’est plus depuis longtemps une économie émergente. Dixième ou onzième puissance économie mondiale, membre de l’OCDE, la Corée du Sud rêve d’occuper la cinquième place comme nation exportatrice, aux dépens de la France. D’abord, les opportunités pour les PME existent. Certaines réussissent parfaitement dans des spécialités, comme dans l’agroalimentaire. Ensuite, s’agissant des grands contrats, le pays est bien équipé en infrastructures et ses sociétés dans l’ingénierie, la construction, les infrastructures sont très performantes.
C’est donc un marché ultra compétitif, avec des joueurs locaux sortis du pays battant leurs concurrents et pouvant se révéler de très grands acteurs comme au Moyen-Orient. Ce qui reste, c’est l’aéronautique, avec Airbus, et, de façon plus large, la défense, l’aérospatial avec les satellites.
Propos recueillis par François Pargny