Accueilli au départ avec crainte par certains, l’accord de libre-échange de 2010 entre l’Union européenne et la Corée s’avère finalement très favorable aux États membres. La balance commerciale s’est inversée et penche désormais en faveur de la France comme de l’UE. Mais cinq ans après la signature de l’accord, les entreprises françaises doivent encore creuser leur sillon.
Peut encore mieux faire. Alors que l’Union européenne (UE) et la Corée du Sud ont signé le 6 octobre 2010 un accord de libre-échange (ALE), les entrepreneurs français ne semblent pas en profiter autant qu’ils le pourraient. Ainsi, d’après la Commission européenne, entre mars et juin 2013, le taux d’utilisation des tarifs préférentiels par les exportateurs français atteignait 55 %, contre 66 % en moyenne dans l’UE (77 % en Corée). Les causes seraient le manque d’information et les difficultés administratives. C’est pourquoi « nous informons systématiquement les entreprises qui s’intéressent au marché coréen des avantages de l’ALE », rapporte Dominique Boutter, directeur de Business France à Séoul.
Dans l’agroalimentaire, remarque Lucas Boudet, secrétaire général de la Chambre de commerce franco-coréenne, « pour pouvoir bénéficier de l’accord de libre-échange, les produits agroalimentaires doivent préalablement être agréés par un accord des autorités sanitaires coréennes. Or, ces processus peuvent être très coûteux et longs nous rapportent nombre d’entreprises françaises ».
Au fil du temps, les entreprises prennent conscience de l’intérêt de l’ALE et font un usage plus fréquent des préférences. « Économiser les droits de douane permet de se montrer plus compétitif face aux concurrents, et ce dans tous les secteurs », s’enthousiasme Dominique Boutter. En d’autres termes, l’accord de libre-échange renforce l’attractivité de la Corée… à condition d’être bien informé sur les conditions à remplir et d’arriver avec un projet solide.
En outre, l’accord bilatéral a été conclu à un moment où les Coréens, consommateurs dans l’âme, soucieux de leur statut et dotés d’un fort pouvoir d’achat, se sont tournés vers l’offre étrangère. Parallèlement, « l’augmentation des ventes de produits européens reflète les changements d’habitude des consommateurs sud-coréens », assure Lucas Boudet.
Un an à peine après l’entrée en vigueur de l’accord, la balance commerciale entre les deux zones s’est inversée. « La balance commerciale avec la Corée est passée d’un déficit de 20 %, soit – 7,4 milliards d’euros, à un excédent de 6 %, soit + 2,3 milliards d’euros, entre l’année précédant l’application provisoire de l’ALE et la deuxième année de sa mise en œuvre », note un rapport de la Commission européenne. Les 28 membres de l’Union ont exporté pour 41,5 milliards d’euros de biens entre juillet 2013 et juin 2014, un chiffre en hausse de 35,5 % depuis 2011. Dans le même temps, ils ont importé pour 37,8 milliards d’euros depuis la Corée, en baisse de 0,9 % sur la même période.
Il n’en fallait pas moins pour que Séoul dénonce un texte trop avantageux pour Bruxelles. « Il existe une corrélation entre l’inversion de la balance commerciale UE-Corée et la mise en œuvre de l’accord de libre-échange, mais le lien de causalité n’est pas strict et les chiffres sont à analyser avec recul », relativise Lucas Boudet. Si la baisse des tarifs douaniers a clairement contribué à faire pencher la balance, elle n’explique en effet pas tout. La Corée du Sud, qui a bâti son succès sur sa force d’exportation (en majorité des produits finis, dans le secteur de l’électronique ou des transports notamment), a tout d’abord souffert de la conjoncture économique récessionniste en Europe.
« Par ailleurs, beaucoup d’entreprises coréennes ont développé des filiales à l’étranger, à l’instar de Samsung qui s’est implanté au Vietnam, créant de nouveaux flux qui doivent aussi être pris en compte », rappelle Lucas Boudet. Et de poursuivre : « sans oublier l’effet de décalage dans le temps de certaines commandes, qui sont passées maintenant, mais ne seront comptabilisées que dans un futur proche, dans le secteur naval, par exemple, dont les chantiers se réalisent souvent sur plusieurs années, avec un phénomène de cycle économique assez accentué ».
C’est le plus important accord de libre-échange jamais signé par l’Union européenne avec un pays tiers. Et le premier conclu avec un pays asiatique. Progressivement, entre 2011 et cette année, 98 % des droits de douane sur les transactions bilatérales entre les deux zones ont été éliminés, à l’exclusion de quelques exceptions comme le riz. Également au programme : l’élimination de barrières non douanières (réglementations, normes…) pour certains secteurs tels que l’automobile ou l’industrie pharmaceutique. Autant de mesures qui, selon la Commission européenne, devraient « permettre de doubler le montant des échanges commerciaux bilatéraux d’ici 20 ans, par rapport à un scénario sans ALE ».
Quatorzième puissance économique mondiale, juste derrière l’Espagne et devant le Mexique, la Corée du Sud est aujourd’hui le huitième partenaire commercial de l’Union européenne. L’UE représente, de son côté, le second partenaire du pays du matin calme, derrière le voisin chinois. Quant à la France, elle est le neuvième investisseur en Corée du Sud. « C’est un partenaire économique majeur en Asie et un pays où la marge de progression de nos ventes apparaît la plus prometteuse. Malgré ces opportunités, le marché coréen reste encore méconnu et sous-prospecté par les PME françaises », indique-t-on du côté du bureau Business France en Corée.
La France, troisième exportateur européen vers la Corée du Sud, y a vendu pour 4,6 milliards d’euros de produits entre juillet 2013 et juin 2014, un résultat en augmentation de 18 % par rapport à l’avant-ALE et qui équivaut à 11,1 % du total des exportations des 28 membres (source Eurostat, octobre 2014). L’aéronautique, les cosmétiques, les produits pharmaceutiques ou encore les machines industrielles comptent parmi les secteurs français qui ont connu des augmentations substantielles depuis 2011. Pour ne prendre qu’un exemple, les importations de fromages français ont augmenté de 215 % entre 2008 et 2012 ! En trois ans, les fromages du groupe Bel ont augmenté de plus de 35 % ! Ces chiffres, qui résultent aussi d’effets conjoncturels, s’expliquent au moins en partie par l’accord de libre-échange.
Côté secteur, dès le début, l’industrie automobile européenne dans son ensemble a bien démarré en Corée. Sur ce marché asiatique autrefois totalement fermé aux véhicules étrangers, elle a accéléré, doublant pratiquement ses livraisons depuis 2011, lesquelles se sont élevées à 141 800 unités en 2014.
Pour la Corée du Sud, qui avait signé un accord similaire avec les États-Unis en 2007, l’ALE s’inscrit dans la continuité logique d’une politique de soutien au commerce extérieur et d’attraction des investissements étrangers. S’appuyant sur le succès de l‘accord de libre-échange conclu avec le Chili en 2004, qui lui a permis de quintupler le volume des échanges avec ce pays, elle multiplie depuis les négociations pour conclure des accords bilatéraux similaires.
Eva John à Séoul
Chiffres clés
Superficie : 99 618 km² (hors zone démilitarisée)*
Population (estimations 2013 )**: 51,34 millions d’habitants
Inflation (janvier 2015 )**: 0.8 %
Chômage (janv 2015 )** : 3,8 %
Taux de croissance du PIB réel (2014)*** : 2014 : 4,05 % ; 2015 : 4,04 % (p)
PIB par habitant (2013)**** : 25 977 dollars US
Exportations de biens***** (2014) : 553,639 milliards de dollars (+ 2,1 %)
Importations de biens***** (2014) : 510,362 milliards de dollars (+ 1,6 %)
Sources : ministère français des Affaires étrangères (*), Kocis, statistiques de Corée (**), FMI (***), Banque mondiale (****), ministère du Commerce, de l’industrie et de l’énergie (*****). (p) Prévision