L’eldorado chinois », « l’usine du monde », « le géant prometteur »… Formules devenues clichés ? Peut-être. Dix ans après son entrée à l’OMC, l’empire d’Asie continue plus que jamais à attirer les investisseurs étrangers (116 milliards de dollars d’IDE en 2011, + 9,72 % sur un an) mais n’est plus tout à fait un marché émergent. Fini le temps où l’on débarquait à Pékin avec un sac à dos et plein d’idées pour y créer sa PME. « Tout était possible », se souvient un industriel européen présent sur place depuis 2005. « Aujourd’hui, le marché s’est resserré. La concurrence est plus forte. » La rançon du succès.
Désormais la Chine – avec son taux de croissance qui oscille toujours entre 9 et 10 % – est la deuxième puissance économique mondiale, juste derrière les États-Unis. Chaque année, elle dépose près de 10 000 brevets, intègre tant bien que mal dans son économie quelque 7 millions d’étudiants fraîchement diplômés et injecte des fonds gigantesques dans des secteurs jugés « prioritaires ». Et avec ça, ce pays de 1,39 milliard d’habitants que l’on dit volontiers fermé s’est parfaitement intégré à l’économie globalisée : rachats d’entreprises en Europe, investissements massifs en Afrique, internationalisation progressive du yuan (en décembre dernier, Pékin et Tokyo décidaient – dernier exemple en date – d’utiliser la monnaie chinoise dans leurs échanges), etc.
Mais le climat des affaires connaît aussi des passages moins euphoriques dont les entreprises étrangères doivent tenir compte. La Chine – premier exportateur mondial – fait aussi l’expérience d’un monde en crise : faible croissance américaine, pays d’Europe plombés par le poids de leurs dettes… Pékin redoute un effet domino alors que la part de ses biens et services destinés à l’étranger, même si en nette diminution par rapport à 2008, pèse encore plus de 20 % dans son PIB. Ce contexte, accentué par le surendettement des collectivités locales (27 % du PIB l’année dernière, selon des estimations du Crédit Suisse), a poussé le régime à notamment resserrer depuis deux ans – via une politique de quotas stricte – les vannes du crédit.
En 2011, la Banque centrale chinoise augmentait ainsi les taux d’intérêt à trois reprises. Résultat : ce sont les PME qui trinquent, celles-là même qui représentent, rappelle Constance Boublil, économiste spécialisée Asie chez Coface, « 60 % de la création de richesses » du pays, « 68 % des exportations et 66 % des brevets et licences ». « Les banques prêtent en priorité aux entreprises publiques qui disposent du soutien de l’État », explique-t-elle. Beaucoup de ces PME s’orientent, faute de choix, vers un « système alternatif d’officines bancaires » qui prêtent à des taux quatre à cinq fois supérieurs à la moyenne du marché. Une situation insoutenable qui a déclenché, en octobre 2011, une crise locale du crédit à Wenzhou, grande ville exportatrice du Zhejiang. Là, plusieurs « petits » patrons ont disparu ou se sont déclarés en faillite pour invalider leurs dettes contractées auprès de créanciers privés. « Les autorités ont conscience de ces problèmes, précise Constance Boublil. Elles savent que le resserrement de la politique risque de peser sur la croissance. » Elles ont réagi dernièrement en modifiant, pour ces PME « le seuil sur la TVA et la taxe sur le chiffre d’affaires ».
Sera-ce suffisant alors que nombreux sont ceux, en Europe notamment, qui parient sur un tassement de l’économie chinoise dans les années à venir (1) ? De fait, le paquebot Chine commence à montrer quelques faiblesses. L’hebdomadaire chinoisCBNweekly listait en janvier une vingtaine de compagnies 100 % chinoises qui ont particulièrement souffert du ralentissement du marché boursier dans le pays (- 22 % l’année dernière). Près de deux tiers des entreprises qui prévoyaient une entrée en Bourse ont, d’après le magazine, fait marche arrière. Des titres comme ceux de renren.com ou tudou.com ont par ailleurs baissé de 60 %. En cause, une inflation soutenue (plus de 5 % sur l’année), de nouvelles politiques visant à limiter la spéculation immobilière, des coûts de production plus élevés, etc. Des facteurs qui cumulés ont pénalisé beaucoup d’entreprises de taille moyenne notamment. « Nombre de PME chinoises rencontrent aujourd’hui des difficultés financières car elles n’ont pas de plan de développement à long terme », analyse, quant à elle, pour Le Moci, Xi Zhen Wang, CEO Euler Hermes Chine.
Il n’empêche, la Chine reste l’un des marchés les plus dynamiques au monde. « Il y a encore beaucoup de choses à faire », confirme depuis Shanghai Jean-Maurice Hébrard, directeur Chine d’Erai (Entreprises Rhône-Alpes International). « Ce n’est jamais très simple », reconnaît-il, car « il y a sans cesse de nouvelles réglementations » et il est « difficile au début de s’y retrouver » mais le pari Chine (son marché intérieur) est assurément gagnant. Même si les salaires augmentent, si la corruption reste un problème important, l’offre des fournisseurs, elle, « est très large par rapport à d’autres pays de la région » et la qualité est souvent au rendez-vous. « Pour le luxe, les biens de consommation, les services… c’est le bon moment », note M. Hébrard.
L’incroyable plan de relance de 2008-2009 (4 000 milliards de yuans/à l’époque 400 milliards d’euros environ) a beau être passé, le 12e Plan quinquennal en cours offre – constatent la plupart des observateurs sur place – des belles opportunités pour les entrepreneurs étrangers, français notamment. D’ici à 2015, Pékin entend en effet booster, « les industries de pointe et les nouvelles technologies de l’information ».
D’autres secteurs, comme celui des technologies vertes, des énergies nouvelles et ceux non moins stratégiques des biotechnologies et de l’agroalimentaire sont également très porteurs. « Les investisseurs [positionnés en priorité sur ces secteurs] sont les bienvenus », rappelait mi-2011 le ministre du Commerce, Chen Deming. Pour cela, la Chine, critiquée pour sa politique parfois protectionniste, se prête à mieux respecter les règles du jeu et à améliorer l’environnement des affaires.
Sur ce dernier point, le pays est encore « classé B », relève Constance Boublil. Une note moyenne qui s’explique notamment par le manque de transparence financière des PME chinoises et la difficulté à recouvrer une créance en cas d’impayé. Le dragon chinois doit encore sur certains points « mûrir », estime le même industriel européen, s’il veut réussir sa mue et définitivement s’imposer dans la cour des grands…
Pierre Tiessen, à Pékin
(2) Une enquête réalisée par Bloomberg en septembre 2011 montre que la majorité des investisseurs tablent sur une croissance chinoise à 5 % à partir de 2016. Euler Hermes prévoit 8,5 % en 2013.