En signant l’Accord économique et commercial global (AECG), l’Union européenne et le Canada ont noué un partenariat très ambitieux. Pour les Européens, ce n’est pas seulement le marché canadien qui leur est offert, c’est aussi la possibilité de partir à la conquête de l’Amérique, en profitant pleinement de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena). Enfin, quand le partenariat transpacifique (TTP), encore en négociation, sera conclu, ils pourront mettre le cap sur l’Asie-Pacifique.
On y tient et on s’y accroche. La diversité culturelle est si chère au citoyen qu’on ne cache pas son soulagement au Canada, et encore plus au Québec, province francophone de la confédération. La France, champion de l’exception culturelle dans le monde, aura pesé de tout son poids et l’audiovisuel est ainsi exclu de l’Accord économique et commercial global (AECG) conclu entre le Canada et l’Union européenne (UE).
Il est vrai que près de quatre années auront été nécessaires, tant les sujets de contentieux étaient nombreux (propriété intellectuelle, viande bovine, monopoles d’importation…). L’accord, le premier de l’UE avec un pays du G8, a finalement été scellé par le Premier ministre canadien Stephen Harper et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, le 18 octobre 2013. Mais il faudra encore attendre fin 2015, au mieux, avant son entrée en vigueur, le temps qu’il soit approuvé par le Parlement européen, les 28 États membres, et, au Canada, par les gouvernements fédéraux et provinciaux. Et surtout, « il reste des ajustements de textes à effectuer », souligne Frédéric Kaplan, le chef du Service économique au Canada.
Prenons des exemples : les négociateurs s’étant entendus pour la libéralisation du marché automobile sur sept ans, quel sera maintenant le rythme annuel du démantèlement tarifaire ? La réponse à cette question n’a pas encore été fournie. Tout comme pour la suivante. Les deux parties étant convenu que les quotas d’importation de spécialités fromagères au Canada seront portés à 17 000 tonnes, quelle sera la répartition de ce volume par importateur et pour quelle durée seront valables les autorisations ? Quant aux règles d’origine, elles ne sont pas encore connues. La Commission européenne a tout lieu de se féliciter de l’AECG, un accord qui devrait, selon les estimations, accroître le commerce euro-canadien de biens et services de 22,9 % (soit 25,7 milliards d’euros) et engendrer une hausse du produit intérieur brut (PIB) de l’UE de 11,6 milliards d’euros par an et le PIB de son partenaire de 8 milliards. Une fois appliqué, l’AECG entre la France et le Canada devrait entraîner une hausse des échanges bilatéraux de plus de 20 %, soit deux milliards d’euros.
La levée des barrières techniques (normes, marquage, étiquetage…) et une meilleure entente en ma-tière sanitaire et phytosanitaire devraient contribuer ainsi à booster le commerce bilatéral. Cependant, le principal bénéfice sera apporté par l’élimination, dès l’entrée en vigueur de l’AECG, de 99 % des tarifs. Quelques droits et protections seront maintenus pour les produits agricoles : viande de volaille, œufs et produits dérivés ; les produits laitiers font également l’objet de contingents, mais, finalement, le quota pour les fromages a été doublé ; les monopoles d’importation des vins ont, par ailleurs, été conservés dans toutes les provinces, à l’exception de l’Alberta, qui a aboli le sien depuis plusieurs années. « Or, il s’agit de la province la plus riche et la plus accessible pour de nouveaux travailleurs », fait remarquer Frédéric Kaplan.
Mais l’intérêt du partenariat bilatéral n’est pas seulement pour la France un accès facilité au marché du Canada. Par ricochet, le traitement préférentiel dont vont bénéficier ses exportateurs va leur donner la possibilité d’être aussi compétitifs que leurs concurrents des États-Unis et du Mexique, signataires avec le Canada de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) en 1994.
Le raisonnement est le même pour les investissements. Jusqu’à présent, dans les marchés publics, l’engagement du Canada est moins étendu que celui de l’UE dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une asymétrie qui va être gommée avec l’AECG. En effet, les provinces canadiennes vont ouvrir la majorité de leurs appels d’offres, réduire, sur une base de réciprocité, voire supprimer toute mention de contenu local. L’accord entre l’UE et le Canada va donc favoriser la compétitivité des sociétés européennes sur le marché canadien, en les mettant sur un pied d’égalité avec leurs concurrentes des États-Unis. Toutefois, comme la France est déjà un gros investisseur sur place (voir page 26), les gains seront sans doute moins importants pour elle que pour d’autres États membres de l’UE. Le Canada a promis de créer un site web unique pour la passation électronique des marchés publics. Un bémol, toutefois, on ne sait pas encore, à l’heure actuelle, si tous les marchés seront inclus.
Par ailleurs, Ottawa s’étant engagé à libéraliser l’énergie, les mines, le transport maritime, les télécommunications ou les services financiers, les entreprises des 28 seront plus concurrentielles. En théorie, Areva, champion français dans le nucléaire, pourra obtenir la majorité dans une mine d’uranium. Pour atténuer les obstacles à l’investissement, une instance de règlement des litiges va aussi être mise en place et les déplacements temporaires de personnels d’entreprises et de professionnels (architecte, expert-comptable, ingénieur) seront facilités. Paris souhaitait, de son côté, pour ses champions pharmaceutiques et de jeux vidéo les mêmes protections en matière de propriété intellectuelle qu’en Europe. La Commission européenne a obtenu une prolongation de la période d’exclusivité des médicaments.
Plus compétitives au Canada, plus nombreuses aussi peut-on espérer, les entreprises françaises installées sur place pourraient également en profiter pour investir plus aux États-Unis. Dans le cadre de l’Alena, une filiale française installée au Canada peut déjà exporter sans entrave aux États-Unis et au Mexique. Une progression des investissements français aux États-Unis à partir du Canada n’est donc pas à exclure.
Un aspect très important de l’AECG est pour Paris la reconnaissance des indications géographiques (IG), une reconnaissance qui, pour les seuls vins et spiritueux, avait fait déjà fait l’objet d’un accord de protection en 2004. Cette-fois-ci, une liste d’une centaine de noms, allant de la lentille verte du Puy au roquefort, a été acceptée. Ce sont autant de signes de reconnaissance de la qualité du Made in France qui, pense-t-on côté français, pourrait gagner les autres terres nord-américaines à la faveur de l’Alena.
À cet égard, il faut noter que l’AECG est beaucoup plus large, avec ses douze chapitres (accès au marché, règles d’origine, procédures douanières, barrières techniques, mesures sanitaires, développement durable…) que le partenariat transpacifique (TPP), négocié sous l’impulsion de Washington depuis 2011. Il y a moins d’un an, Ottawa s’y est associé. Pour Stephen Harper, l’Asie-Pacifique est devenue une priorité. Certes, cet accord à 12 (avec aussi des pays d’Amérique latine : Mexique, Chili, Pérou) est encore loin d’être conclu. Mais il doit aussi être envisagé, à l’instar de l’accord de libre-échange transatlantique (TAFTA) discuté entre les États-Unis et l’UE, comme une future porte d’entrée en Asie pour les entreprises françaises implantées en Amérique du Nord.
François Pargny
Chiffres clés
Superficie : 9 976 139 km2
Population (octobre 2013)*: 35,29 millions d’habitants
Inflation (janvier 2014)* : 1,5 %
Chômage (janvier 2014)* : 7 %
Produit intérieur brut (2014)** : 1 887 milliards de dollars US (+ 3,38 %)
PIB par habitant (2014)** : 53 118 dollars US (+ 2,4 %)
Exportations de biens*** (2013) : 353,88 milliards d’euros (- 2,59 % sur 2012)
Importations de biens*** (2013) : 347,32 milliards d’euros (- 3,43 % sur 2012)
Sources : Statistiques du Canada (*), FMI (**estimations-projections), GTA/GTIS (***)