Le rachat d’une société brésilienne est l’option choisie par la majorité des entreprises françaises, et pas seulement les grands groupes, pour entrer au Brésil. Cette solution permet de gagner du temps à condition de réaliser un audit rigoureux, de négocier un bon prix et de savoir conserver l’équipe dirigeante.
Cet été, il n’y a pas eu de pause pour les investissements français au Brésil. Au début du mois de juillet, Vinci Park a fait son entrée sur le marché brésilien grâce à la prise de participation de 50 % dans la société brésilienne Moving, un des premiers opérateurs de stationnement du Sud du Brésil, qui gère plus de 30 000 places. En août, la filiale de Danone a racheté Nutrimed tandis que Lactalis en a fait de même avec Balkis. Et d’autres projets sont en négociation.
Toutes ces opérations ont un point commun : il s’agit de rachats, complets ou partiels, de sociétés brésiliennes. Pour les grands groupes français, comme pour les PME, le rachat d’un acteur est devenu la voie privilégiée d’entrer sur le marché brésilien. « Des nombreux dossiers d’acquisitions que nous suivons actuellement, il ressort que la stratégie de nos clients d’opérer par rachat de sociétés brésiliennes ou par prises de participations significatives est motivée par une volonté de pénétrer le marché local, qui demeure très spécifique, avec rapidité et maîtrise, explique Charles-Henry Chenut, avocat associé du cabinet Chenut Oliveira Santiago. En effet, il est parfois plus long de monter sa propre structure au Brésil et surtout plus hasardeux de tenter de conquérir ex nihilo un secteur d’activité, sans implantation réelle préalable. Ces spécificités locales, bousculées par des besoins et une demande au Brésil hyperdynamiques, incitent fortement à l’acquisition d’entreprises brésiliennes ».
Le rachat offre une série d’avantages appréciables. L’investisseur s’épargne la litanie des enregistrements administratifs et des différentes démarches nécessaires pour créer une entreprise au Brésil. D’autant que les délais tendent à s’allonger, même pour des opérations mineures. « Il faut désormais entre 20 et 25 jours pour ouvrir le compte en banque d’une nouvelle société » fait remarquer Alain Goulène, avocat aux barreaux de Paris et de São Paulo. Les autorités brésiliennes tiennent à vérifier l’origine de fonds en provenance de l’étranger pour s’assurer qu’il n’y a pas de blanchiment d’argent sale.
Grâce au rachat, l’investisseur entre de plain-pied sur le marché brésilien. « L’acquisition permet d’acquérir un outil de travail et une clientèle » affirme Alain Goulène. Il n’y a plus ensuite qu’à développer l’activité en apportant le savoir-faire de l’investissement étranger. « Le rachat peut être un excellent tremplin pour développer les affaires au Brésil » note un banquier.
L’avantage du Brésil est de disposer d’un tissu abondant de sociétés en raison de la taille du pays et du niveau avancé de son développement économique. De plus, l’économie brésilienne, est diversifiée. Résultat : des opportunités existent dans une large gamme de secteurs, notamment l’agroalimentaire, les biens d’équipement et les services.
Toutefois, une telle opération nécessite d’importantes précautions. « La première difficulté au Brésil tient à son environnement culturel et juridique qui, de par sa proximité avec les pratiques françaises, fait “baisser la garde” de nos entreprises qui investissent » souligne Charles-Henry Chenut. La proximité culturelle, la sympathie naturelle des Brésiliens et le dynamisme des entrepreneurs locaux peuvent masquer des éléments moins reluisants, notamment lorsqu’il s’agit d’affaires familiales.
« Nous avons découvert qu’une partie importante de l’activité était réalisée au noir, il a fallu mettre en place un plan de normalisation progressif de la situation » explique un investisseur français présent au Brésil suite au rachat d’une société familiale. « L’abus de bien social n’est pas une notion encore totalement intégrée au Brésil » précise Charles-Henry Chenut. La conclusion s’impose : « il faut faire un véritable audit financier, juridique et fiscal » indique Alain Goulène.
Une des questions les plus épineuses est celle du prix de cession. La croissance économique et l’intérêt des investisseurs étrangers ont tiré les prix à la hausse, souvent de façon irréaliste. « Nous travaillons sur des projets avec une start-up brésilienne : le patron nous a proposé de nous vendre l’affaire pour plusieurs centaines de millions de dollars, à un prix représentant un multiple astronomique de son activité réelle » affirme le dirigeant d’une PME qui travaille dans l’offshore pétrolier. Cependant, force est de reconnaître que dans les secteurs matures de l’économie brésilienne, la marge de manœuvre en matière de prix peut s’avérer étroite. « Parfois, il faut y mettre le prix, c’est la condition lorsqu’il s’agit d’accéder à un secteur qui conserve un gros potentiel de croissance sur le long terme » tempère un avocat d’affaires brésilien qui travaille avec des investisseurs étrangers.
La question du prix doit être intégrée à la stratégie mise en place. « Pour réussir au Brésil, il faut venir avec un véritable projet » explique Thierry François-Marsal, responsable de l’International Banking Centre de HSBC au Brésil. Une autre condition du succès réside dans la capacité à conserver l’équipe dirigeante, voire parfois l’ancien patron, dans la nouvelle structure. « Si vous les licenciez tous du jour au lendemain, ils peuvent créer un concurrent » souligne un consultant.
D. S.
GL events : « Bénéficier de la flexibilité et de la réactivité des salariés brésiliens »
Le groupe GL events a fait son entrée au Brésil en 2006 en remportant la concession du Parc des Expositions de Rio de Janeiro, le Riocentro, et l’aménagement des Jeux panaméricains de 2007.
La même année, le groupe a racheté une société de réalisation de salons : Fagga. Le Riocentro est le plus grand site d’expositions et d’événements d’Amérique du Sud. Avec ses 9 000 places de parking, son lac naturel et ses 5 halls interconnectés, ce site héberge notamment, tous les deux ans, le grand salon brésilien des hydrocarbures : le Rio Oil & Gas.
En entrant sur le marché dès le milieu des années 2000, GL events a fait une belle opération. « Nous avons pris un risque calculé » souligne Olivier Ferraton, directeur général délégué de GL events, qui rappelle qu’en 2006 les grands événements sportifs n’étaient pas à l’ordre du jour. Depuis cette date, le groupe a bénéficié d’une série de contrats, notamment l’organisation du sommet Rio +20 au Riocentro (2012) et la participation à la Coupe des Confédérations (2013).
Il s’est positionné également sur les événements à venir. GL events a aménagé 10 000 m2 de bureaux au sein du Riocentro pour héberger le siège du comité d’organisation de la coupe du monde de football. Pour ce qui est des JO, le village des athlètes est situé à trente mètres du Riocentro. « Nous serons au cœur de l’événement » précise Olivier Ferraton.
Le dispositif a été complété avec le rachat de LPR, une société de location de mobilier et de montage d’événements, et la constitution de Veredas, une agence spécialisée dans la création d’événements et la réalisation de prestations. Conjointement avec des experts venus de France, Gl events est en mesure de développer au Brésil ses trois grands segments d’activités : l’organisation d’événements, la gestion d’espaces événementiels et les services pour salons, congrès et événements.
Aujourd’hui, GL events est devenu un acteur de référence au Brésil. Mais une des clés essentielles de ce succès réside dans le facteur humain. « Le rachat de sociétés nous a permis d’obtenir des compétences. Les Brésiliens ont une flexibilité et une réactivité que nous n’avons pas » souligne Olivier Ferraton qui rappelle que 48 heures après avoir gagné le contrat pour le Rio +20, les salariés brésiliens avaient imaginé et installé des caméras sur le site du montage afin de permettre un suivi permanent. « Le transfert de compétences fonctionne dans les deux sens » précise-t-il.
D. S.
FM Brasil : « Le rachat permet d’avoir une base pour aller plus vite »
Dans le cadre de son plan stratégique, FM Logistic a décidé de s’implanter au Brésil.
Après avoir cherché, dans un premier temps, à s’implanter en direct la société a étudié la possibilité d’un rachat. En décembre 2012, une opportunité a surgi : le logisticien américain McLane souhaitait se désengager du Brésil. L’accord a été conclu fin juin 2013.
L’exemple de FM Logistic est original dans la mesure où il s’agit du rachat non pas d’une société brésilienne mais de la filiale d’une compagnie étrangère. « Nous avons découvert une organisation solide » affirme Michèle Cohonner, directrice générale de FM Brasil après avoir passé quatre années au même poste en Russie. Il n’y a donc pas eu de mauvaises surprises pendant l’audit préalable à l’acquisition, contrairement à ce qui se passe lorsqu’il s’agit de sociétés familiales brésiliennes.
Et, bien sûr, FM Logistic entre de plain-pied sur le marché brésilien, avec quatre sites implantés à proximité des grands centres de consommation du pays tels São Paulo, Rio et le sud du pays ; et représentant plus de 200 000 m². FM Logistic prend en charge un portefeuille de clients, dans les domaines de la cosmétique, de l’électronique grand public, des produits de grande consommation et de l’automobile. « La moitié des clients sont déjà les nôtres, d’où la possibilité de mettre en œuvre de réelles synergies » précise la directrice générale.
L’avantage du rachat est d’aller plus vite dans un marché très concurrentiel et en pleine mutation. « Dans un contexte de moindre croissance, les entreprises locales revoient leur organisation logistique » souligne Michèle Cohonner. Le taux d’externalisation de l’activité logistique est encore très faible, d’où l’existence d’une belle marge de progression compte tenu de la taille du pays. L’objectif est maintenant de développer de nouvelles activités, des solutions de transport et de co-packing, et d’ouvrir un site dans le nord-est, une région en plein développement économique. « Nous avons des demandes de clients » précise Michèle Cohonner. Concernant l’organisation interne, l’équipe dirigeante a été gardée à l’exception du président, de nationalité américaine. Le pôle commercial va être renforcé.
D. S.
Fiscalité brésilienne : le cauchemar des entreprises
La lourdeur et la complexité de la fiscalité brésilienne demeurent l’un des principaux obstacles au développement des affaires au Brésil. Une enquête réalisée à l’initiative des Conseillers du commerce extérieur (CCEF), en collaboration avec le Medef et l’Afep, par le truchement de l’Observatoire français des conventions fiscales internationales (OFCI) illustre bien l’ampleur du problème. Un questionnaire a été adressé fin 2012 à des entreprises françaises installées au Brésil, 40 % d’entre elles étant basées dans l’état de São Paulo et 30 % dans celui de Rio de Janeiro. Il apparaît que pour 52 % des entreprises implantées sur place, la fiscalité a eu une influence sur la décision de s’installer. Un seul élément est jugé positif : les incitations fiscales au niveau de l’Union, des États et des municipalités. Les autres aspects sont jugés négatifs : la fiscalité indirecte (ICMS, etc.), les impôts locaux et les droits de douanes ; les retenues à la source ; la réglementation des prix de transfert ; et la non-déductibilité de l’impôt brésilien sur les sociétés de certaines charges intragroupe.
En matière d’assistance technique, les entreprises interrogées déplorent l’application par le Brésil d’une retenue à la source non prévue par la convention fiscale franco-brésilienne. Il en découle une double imposition car cette retenue à la source brésilienne n’ouvre droit à aucun crédit d’impôt en France. Concernant la question délicate des prix de transfert, 56,7 % des entreprises interrogées affirment avoir rencontré des difficultés dans la détermination des prix de transfert et 84,6 % indiquent qu’aucune solution satisfaisante n’a été trouvée. Le Brésil a une conception du prix de transfert qui diverge de celle de l’OCDE et l’administration demande des justificatifs excessifs. L’appréciation d’ensemble est sans surprise : 79,3 % des entreprises considèrent que l’environnement fiscal brésilien n’est pas favorable aux investissements étrangers.
D. S.