Les turbulences monétaires et la grogne sociale du mois de juin ont ébranlé l’image du Brésil mais n’ont pas véritablement affecté une économie qui tournait déjà au ralenti en raison d’un problème structurel de compétitivité. Pour autant, le Brésil reste un marché porteur pour les entreprises françaises à condition de surmonter l’obstacle du protectionnisme : trouver un partenaire local ou s’implanter sont la voie royale. Voici analyses, témoignages et avis d’experts sur le mode d’emploi.
Au cours des dernières semaines, l’image de solidité des grands pays émergents, et notamment du Brésil, a été sérieusement écornée. La monnaie brésilienne, le real, a décroché par rapport au dollar, suite au changement de cap de la politique monétaire américaine dans un sens restrictif.
Mais, au Brésil, un phénomène de nature politico-sociale est venu s’ajouter aux turbulences monétaires : les manifestations organisées dans les principales villes brésiliennes en juin 2013 afin de demander une amélioration des services publics (transports urbains, santé et éducation) et dénoncer la corruption de la classe politique
« Les Brésiliens ont dit tout haut ce qu’ils pensaient tout bas » affirme Christian Déséglise, directeur d’HSBC Global Asset Management et spécialiste des BRICS. Les nouvelles couches de la population qui sont sorties de la pauvreté ne veulent plus seulement consommer : elles veulent aussi des services publics de qualité.
Curieusement, cette révolte renvoie aux problèmes structurels de l’économie brésilienne qui affectent sa compétitivité, notamment la faiblesse du système éducatif. Dans le dernier rapport du World Economic Forum, le Brésil se classe au 89e rang (sur 148 pays) pour la santé et l’éducation primaire. « Une grande partie des revendications des manifestants apparaissent noir sur blanc dans ce rapport » précise Christian Déséglise.
Ces événements se sont produits dans un contexte économique caractérisé par la faiblesse de la croissance (+0,9 % en 2002) et une recrudescence de l’inflation (6,3 % actuellement en rythme annuel). La popularité de la présidente, Dilma, Rousseff s’est effondrée à un peu plus d’un an des élections présidentielles (octobre 2014).
Pour répondre aux demandes des manifestants, qui exprimaient un sentiment majoritaire de la population, le gouvernement brésilien a lancé un programme de développement des transports urbains tandis que des médecins cubains sont arrivés au Brésil pour renforcer l’offre de soins. La plupart des économistes privés brésiliens sont cependant critiques : ils craignent l’annonce de nouvelles mesures populistes et demandent un ajustement des finances publiques pour lutter contre l’inflation. « Dans le contexte actuel, il va être encore plus difficile d’adopter des mesures impopulaires » fait observer Alexandre Schwartsman, ancien directeur des affaires internationale de la Banque centrale du Brésil (BCB) et consultant.
Pour autant, personne n’anticipe une récession, ni une crise majeure. Alexandre Schwartsman table sur une croissance du PIB de 2 % et estime que le déficit de la balance des paiements courants (3,5 % du PIB en 2013) « n’est pas préoccupant ». Il est vrai que la BCB dispose d’un beau matelas de réserves de change : 374 milliards de dollars à fin juillet 2013 ! En 2014, la hausse du PIB pourrait être légèrement supérieure mais pas plus car la « croissance potentielle » du Brésil se situerait, selon les économistes, aux alentours de 2,5 % par an en raison de la faiblesse du taux d’investissement et des problèmes structurels de compétitivité. « Il ne faut pas s’attendre, dans le meilleur des cas, à une croissance de type asiatique au Brésil au cours des prochaines années » note un expert. Reste que cette croissance, même modeste, sera supérieure à celle de la France. Et l’effet de taille d’un marché de 200 millions d’habitants va continuer à jouer à plein, avec des évolutions très différenciées selon les secteurs, une autre originalité du Brésil. Le principal obstacle pour les PME réside dans le protectionnisme pratiqué par le Brésil.
Aux droits de douanes élevés qui frappent les importations (jusqu’à 35 % selon le code douanier du Mercosur), notamment celles de produits industriels, s‘ajoutent les taxes qui s’empilent les unes sur les autres, ce qui aboutit à renchérir le prix final. Certaines autorisations sont longues à obtenir (santé) ce qui complique encore plus l’accès. Dans l’industrie pétrolière, des exigences en matière de contenu local sont jugées « irréalistes » par les sociétés étrangères installées sur place. « La solution consiste à budgéter les amendes à venir dans les offres » souligne le responsable d’une société.
Quelques signes timides d’amélioration pointent à l’horizon. Le ministère des Finances a décidé récemment de ne pas renouveler des surlignes tarifaires. Longtemps réticent aux accords de libre-échange, le Brésil semble amorcer un virage, en raison, semble-t-il, du dynamisme des pays de l’Alliance du Pacifique (Chili, Colombie, Mexique et Pérou). « Il y a une vraie pression du Brésil pour relancer le processus de négociation de l’accord entre la Mercosur et l’Union européenne » affirme une source diplomatique. « Il y a le sentiment au sein du patronat que le pays est retard en matière de libre-échange ».
Mais même si cette inflexion se confirme au cours des prochains mois, il ne faut pas s’attendre à une ouverture soudaine du marché. Car le protectionnisme traduit en fait la volonté du gouvernement de développer le tissu économique local et d’appuyer la « montée en gamme » de l’industrie par le biais de la recherche-développement et de l’innovation. L’objectif est d’inciter les entreprises étrangères à s’associer avec des partenaires locaux et à investir sur place, la législation brésilienne étant de ce point de vue plutôt accueillante puisqu’il n’y a pas de discrimination selon la nationalité des actionnaires, pourvu que ceux-ci résident effectivement au Brésil.
Le principal attrait du Brésil réside dans l’existence de réelles possibilités d’affaires. La société Eurodia a gagné en décembre 2011 un premier contrat clés en main : l’installation d’une unité de valorisation du lactosérum pour la filiale brésilienne de Nestlé. Puis elle a signé deux autres contrats pour l’installation d’unités de stabilisation tartrique destinées à l’industrie du jus de raisin. Elle n’est pas implantée au Brésil mais s’appuie sur un partenaire local brésilien et la filiale brésilienne d’un sous-traitant français. « Nous avons pu intégrer du contenu local et présenter des offres compétitives » explique Bernard Gillery, président d’Eurodia, qui s’intéresse également au marché très prometteur de la chimie verte.
Les succès obtenus récemment par plusieurs grands groupes français (Thales, Latécoère, Technip, etc.) montrent que le Brésil est un marché dont ne peut pas faire l’impasse. Après une période de flottement, liée aux changements de présidents de la République au Brésil (2011) puis en France (2012), la relation bilatérale a été relancée en décembre 2012. Plus que jamais, le Brésil apparaît comme un vrai « marché du futur » pour les entreprises françaises.
Daniel Solano
Chiffres clés
Superficie : 8,5 millions de km2
Population : 201 millions (estim. 2013), 228 millions en 2040
Densité : 23,65 habitants/km2
PIB : 2 253 milliards de dollars (2012)
Variation du PIB : +0,9 % (2012)
PIB par habitant : 11 462 dollars (2012)
Taux d’inflation : +6,1 % (août 2013, sur an)
Taux de chômage : 6 % (juin 2013)
Exportations : 242,6 milliards de dollars (2012)
Importations : 223,2 milliards de dollars (2012)
Balance commerciale : +19,4 milliards de dollars (2012)
Récolte de grains : 169,1 millions de tonnes (2012)
Production de pétrole : 2,15 millions de barils/jour (2012)
Production d’automobiles : 3,43 millions de véhicules (2012)
Sources : Institut brésilien de géographie et statistique (IBGE), Ministère du Développement, de l’industrie et du commerce extérieur (MDIC), Agence nationale du pétrole, du gaz naturel et des biocarburants (ANP), Association nationale des fabricants d’automobiles (Anfavea) et Ubifrance.