Début avril, le fabricant de cosmétiques Coty a présenté une offre de rachat de son rival, Avon, pour 10 milliards de dollars. L’une des raisons de cette opération était de prendre le contrôle de la filiale brésilienne, numéro 2 sur le segment de la vente directe, et devenir un acteur majeur au Brésil, troisième marché mondial pour les cosmétiques après les États-Unis et le Japon.
Cette opération, rejetée par Avon, témoigne de l’intérêt des investisseurs étrangers pour le Brésil. De fait, le pays vit une transformation socio-économique majeure. Depuis 2005, la part des catégories les plus pauvres de la population a été réduite de moitié (de 51 % à 24 % en 2011) tandis que la catégorie moyenne, la classe dite « C », a vu son poids grimper de 34 % à 54 %, selon une étude récente de la filiale brésilienne du Cetelem. En six ans, 40 millions de personnes ont rejoint cette catégorie. Si on ajoute ce chiffre à celui des classes A et B, les plus favorisées, on constate qu’il y a actuellement 145 millions de consommateurs au Brésil. « La croissance de ce segment tire l’ensemble de l’économie brésilienne », affirme Benoit Trivulce, directeur d’Ubifrance Brésil. Les « nouveaux consommateurs » n’achètent pas seulement des biens traditionnels : ils acquièrent des ordinateurs, voyagent, etc. On considère que 44 % de la population brésilienne a accès à Internet et 23 % a déjà réalisé un achat via la Toile. La croissance du trafic aérien est telle que, selon une étude officielle, 17 des 20 principaux aéroports du pays sont dans une situation « critique » ou « préoccupante ». Mais ces consommateurs demandent aussi de meilleurs services d’éducation et de santé.
La poussée de la consommation des ménages a stimulé l’investissement des entreprises et la croissance de l’économie. Le PIB a cependant progressé de 3 % par an en moyenne depuis dix ans, un chiffre bien inférieur à ceux des autres BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – South Africa), car le gouvernement maintient une politique économique orthodoxe. « En dépit d’une dette relativement élevée, les finances publiques sont bien gérées et le Brésil est créditeur net vis-à-vis de l’extérieur », fait remarquer Dominique Fruchter, économiste en charge de l’Amérique latine chez Coface. Le secteur public brésilien n’a pas de problème de solvabilité et le pays est noté A3 par cet organisme : il figure dans la meilleure catégorie de risque.
Cette bonne santé financière et la croissance économique attirent les entreprises du monde entier. Cependant, à la différence des autres pays d’Amérique latine, le gouvernement brésilien a mis en place une stratégie volontariste de développement de l’industrie, quitte à heurter les préceptes de l’orthodoxie libérale. La nouvelle législation sur les marchés publics prévoit une préférence en termes de prix pouvant aller jusqu’à 25 % pour les entreprises installées au Brésil et dans les autres pays du Mercosur (Argentine, Paraguay, Uruguay, Venezuela).
Le gouvernement veut, par ailleurs, utiliser les investissements massifs de la compagnie pétrolière Petrobras (225 milliards de dollars pendant la période 2011-2015) comme levier pour le développement du tissu des fournisseurs de biens et de services par le biais d’exigences rigoureuses en matière de contenu local. Et, dans le cadre du Mercosur, certains droits de douane ont été relevés. « Ce n’est pas à proprement parler du protectionnisme : toute entreprises étrangère peut bénéficier de cette préférence nationale à partir du moment où elle s’installe au Brésil », fait remarquer Fernando Santiago, avocat associé du cabinet franco-brésilien Chenut Oliveira Santiago.
Cette stratégie a des conséquences très concrètes pour les entreprises françaises. « Le développement au Brésil suppose une réelle présence locale », souligne Benoit Trivulce. Mais, en investissant dans le pays, les entreprises se trouvent confrontées à une réalité des affaires qui n’est pas toujours celle qu’elles attendaient. Chez Ubifrance Brésil, on évoque, à propos du marché brésilien, les « 4 C » : compliqué, complexe, cher et avec des carences. L’un des aspects qui surprend le plus est le niveau des coûts : restauration, hôtellerie, mais aussi loyers, terrains, etc. Une inflation supérieure à l’indice officiel (5,2 % en mars 2012 en taux annuel) et la fermeté du réal par rapport à l’euro ont propulsé les prix à des niveaux anormalement élevés pour un pays dit « émergent ». Autre exemple : les salaires. Faute de cadres en nombre suffisant, ils se sont envolés. Résultat : un cadre dirigeant brésilien est plus cher que son équivalent en France, et certaines entreprises implantées localement préfèrent avoir recours à des expatriés.
Si les grandes entreprises disposent de ressources financières suffisantes pour investir, il n’en va pas de même pour les PME. « Beaucoup de PME qui viennent au Brésil pour la première fois découvrent des possibilités d’affaires intéressantes et les contacts avec les Brésiliens sont excellents. Mais je constate qu’elles ont du mal à concrétiser leurs projets », affirme Raphaël Allemand, directeur de la filiale brésilienne d’EOC International, une société d’accompagnement à l’international.
Le Brésil est-il un marché inaccessible ? L’engouement des entreprises étrangères, toutes nationalités confondues, pour ce pays montre que ce n’est pas le cas. En revanche, ce n’est pas l’eldorado : le marché est difficile d’accès. Il exige une démarche rigoureuse et l’élaboration d’une véritable stratégie. Surtout, et ceci n’est pas dit dans les réunions d’informations, il apparaît que le Brésil n’est pas à la portée de tous. C’est un marché pour entreprises aguerries à l’international et disposées à assumer des risques.
Daniel Solano, envoyé spécial au Brésil
Chiffres clés
Superficie : 8,5 millions de km2
Population : 190,7 millions (recensement de 2010), 250 millions en 2050
Densité : 22,43 habitants/km2
PIB : 2 180 milliards de dollars (2010)
PIB par habitant : 11 524 dollars
Taux d’inflation : + 5,2 % (mars 2012, sur un an)
Taux de chômage : 5,7 % (mars 2012)
Exportations : 256 milliards de dollars (2011)
Importations : 226,2 milliards de dollars (2011)
Balance commerciale : + 29,8 milliards de dollars (2011)
Récolte de grains : 157,5 millions de tonnes (estimation 2012)
Production de pétrole : 2,2 millions de barils/jour (2011)
Production d’automobiles : 3,4 millions de véhicules (2011)
Sources : Institut brésilien de géographie et statistique (IBGE), ministère du Développement, de l’Industrie et du Commerce extérieur (MDIC), Agence nationale du pétrole, du gaz naturel et des biocarburants (ANP), Association nationale des fabricants d’automobiles (Anfavea), Ubifrance.